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ces nouvelles idées à la lumière de l’idée d’être ; c’est alors qu’elle connaît le « quelque chose qui est » comme sujet un et permanent, comme être au sens plein du mot, comme ce qui existe ou subsiste (substance). De là elle est conduite à préciser l’idée de manière d’être, qui ne peut se définir qu’en fonction de ce qui est être par soi, ens eiitis. L’idée confuse de manière d’être précise ainsi l’idée de substance, et est ensuite précisée par elle (S. Thomas, Sumin. TheoL, I », q. 85, a. 5). — Le morcelage qui sépare l’être et la manière d’être n’est donc pas un morcelage utilitaire du continu sensible, c’est un morcelage de l’intelligible, qui s’impose métapliysiquement ou a priori, en vertu du principe d’identité.

De ce point de vue se solutionne facilement la seconde antinomie kantienne, qui porte sur la substance corporelle : le continu est divisible, mais non pas divisé à l’infini (Aristote, Pliysic, 1. YI) ; la substance corporelle et étendue n’est pas une collection contradictoire d’indivisibles inétendus, son unité est assurée par un principe supérieur à l’ordre spatial, la forme substantielle qui est toute dans le tout et toute en chaque partie et qui demande telle étendue minima comme condition de la subsistance du composé.

Quant à la distinction numérique des substances individuelles de l’ordre sensible (distinction présupposée par certaines preuves de l’existence de Dieu, mais non essentielle à ces preuves), nous n’en aurons souvent qu’une certitude physique, celle de l’expérience et des lois approchées que la science expérimentale découvre. Mais le critère de l’unité substantielle d’un être ne sera pas seulement, comme le croit M. Le Roy (Jicv. de Met. et Mor.. juill. 1899. p. 383), son unité quantitative dans l’espace, unité perceptible au toucher. Cette unité quantitative ne suppose souvent qu’une union accidentelle, celle d’un agrégat de molécules. Le vrai critère de l’unité substantielle d’un être sera l’activité, et « l’action qui révèle l’unité du tout doit être produite par une seule partie, et non par l’association des parties, mais il faut que dans cette action se révèle l’influence des autres parties ; — exemple souvent cité : une jument qui a l’os canon brisé produit un poulain qui présente à l’os canon une sovulure comme s’il avait été fracturé ». C’est à l’aide de ce principe qu’on établit l’individualité des animaux supérieurs (cf. P. de Muxxynck.

« L’individualité des animaux supérieurs)llevue Thomiste.

1901. p. 644)- Lorsque, dans le réel, nous distinguons deux animaux ou l’animal et son milieu, ce n’est pas seulement un « arrangement, une simplification commode pour la parole et pour l’action ». M. Bergson, dans l’Evolution créatrice, avoue que le corps vivant est isolé par la nature elle-même, bien que son individualité ne soit pas parfaite. — Pour ce qui est de la distinction substantielle des âmes humaines, elle est objet de certitude métaphysique et peut se démontrer rigoureusement. La raison qui fonde la liberté est intrinsèquement indépendante de l’organisme dans l’exercice de son acte qui atteint l’être universel, elle suppose donc un principe subsistant et simple, intrinsèquement indépendant de la matière, du monde des corps (operari sequitur esse, et mndus operandi modum essendi). Ce principe subsistant et simple, qui a conscience de soi et est maître de soi. doit être distinct des principes subsistants semblables. S. Thomas l’établit longuement, P. q. ^5. a. 2 : Intellectum esse unum otnnium hominum omnino est impossibile… Si unus intellectus esset omnium hominum, non posset diversificari actio intellectualis mea et tua respecta ejusdem intelligibilis ; esset tantum una intellectio. — Enfin il deviendra évident qiie les âmes humaines sont distinctes de l’absolu, si l’on démontre qu’il ne peut y avoir au sein de l’absolu ni

multiplicité ni devenir. — Le principe de raison d’être va nous montrer précisément que tout ce qui est nniltiple (composé) et changeant ne peut avoir en soi sa raison d’être, et doit en fin de compte avoir sa raison dans un être qui est pure identité, pur être, pur acte, pure perfection. — De ce point de vue, il importera peu que le monde dont nous partons pour prouver Dieu soit une seule substance ou plusieurs substances, il sullira qu’il y ait en lui multiplicité (au moins accidentel le) et devenir. Dieu ne pourra être conçu comme la snlistance du monde, ce serait dire qu’il est déterminé et par là même perfectionné par les phénomènes multiples et transitoires qui se surajouteraient à Lui. Il cesserait d’être à l’être comme A est A, pur être, ou pur acte.

7° Le principe de raison d’être, fondement plus prochain des preuves de l’existence de Dieu. Il se rattache au principe d’identité par une réduction à l’impossible, en ce sens il est analytique. — Le principe de raison d’être, sur lequel reposent immédiatement les preuves de l’existence de Dieu, n’est pas. comme le principe de substance, une simple détermination du principe d’identité, mais il s’y rattache par une réduction à l’impossible. — Le principe de raison d’être se formule :

« Tout ce qui est a sa raison d’être », ou « tout être

a une raison suffisante, conséquemment « tout est intelligible ». Ce principe est évident de soi, et ne saurait être l’objet d’une démonstration directe, mais il se démontre indirectement ou par l’absurde. Tandis que la démonstration directe donne l’évidence intrinsèque d’une proposition non immédiate ou non évidente de soi, par l’intermédiaire d’un mojen terme, la démonstration par l’absurde d’un principe immédiat ne peut prétendre en donner l’évidence intrinsèque, elle prouve seulement que celui qui nie ce principe est amené à nier le principe de contradiction, que celui qui en doute est amené à douter du principe de contradiction. C’est une doctrine unanimement reçue dans l’Ecole : la métaphysique explique et défend les premiers principes par réduction à rimpossil)le, en les rattachant au principe d’identité, immédiatement impliqué dans la toute première idée, l’idée d’être (cf. IV’Metaphys, , Comment, de S. Thomas, leç. 6. — Summ. TheoL, I^ II » ", q. 94, a. 2 ; — SuARKZ, S. J., Disp. Met., disp. m. sect. 3, no 9 ; — Jkan de s. Thomas. O. P., Cursus Phil., q. 25, a. 2 ; — GouDix. O. P., éd. 1860. t. IV, p. 205 ; — Klel’tgex, S. 3.. Phil. scol., n. 298, 294 ; — Zigliar.^. O. P., Ontol.. p. 235 ; De la lumière intellectuelle, t. III, p. 205 ; — Delmas, s. J., Ontol.. p. 642. — Nous avons longuement développé ce point, Revue Thomiste, sept. 1908.’. Comment le principe de raison d’être se rattache au principe d’identité ti après S. Thomas », article reproduit dans Le Sens Commun, la L^hilosophie de l’être et les formules dogmatiques, p. 208, Paris, Beauchesne, 1909).

Exposons cette réduction à l’impossible. Il faut préciser d’abord le sens de la formule du principe :

« Tout ce qui est a sa raison d’être. » La raison d’être

est double : intrinsèque ou extrinsèque. La raison d’être intrinsèque d’une chose est ce par quoi elle est de telle nature déterminée, avec telles propriétés et non pas autrement ; le carré doit avoir en soi ce par quoi il est carré, avec telles propriétés, plutôt que cercle avec telles autres propriétés. S’il était seulement question de raison d’être intrinsèque, ce principe ne serait qu’une simple détermination du principe d’identité ; de ce point de vue en etîet, il envisage la substance comme essence. Nier que tout être a en soi ce par quoi il est tel, lorsque par lui-même et parce qui le constitue en propre il est tel, c’est évidemment