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puissance. Celte puissance, par elle-même n’étant pas l’acte, ne peut par elle-même passer à l’acte, elle demandera à être réduite à l’acte par une puissance active, puissance active qui elle-même aura besoin d’être prémue, et prémue en dernière analyse par une puissance active suprême qui soit son activité même, en ce sens immobile, acte pur, toujours identique à lui-même. Par là le devenir est expliqué et le principe de contradiction maintenu. — Aristote va même jusqu’à prétendre que seule sa position permet d’allirmer le devenir, comme elle permet d’affirmer l’identité.

« Ce système (d’Heraclite), qui prétend que l’être

et le non-être existent simultanément, doit conduire à admettre l’éternel repos, plutôt que le mouvement éternel. Il n’y a rien, en effet, en quoi se puissent transformer les êtres puisque tout est dans tout)> (IV Met., c. 5). — Un devenir sans sujet restant le même sous le changement cesserait d’ailleurs d’être uii devenir, il y aurait à chaque instant annihilation et création. Un devenir sans cause et sans ///( n’est pas moins impossible, comme nous allons le voir (col. 996 et 998).

M. Bergson donne une forme nouvelle à l’argument d’Heraclite : « Il y a plus, dit-il, dans le mouvement que dans les positions successives attribuées au mobile, plus dans un devenir que dans les formes traversées tour à tour, plus dans l’évolution de la forme que dans les formes réalisées l’une après l’autre. La philosophie pourra donc, des termes du premier genre, tirer ceux du second, mais non pas du second le premier ; c’est du premier que la spéculation devrait partir. Mais l’intelligence renverse l’ordre des deux termes, et sur ce point la philosophie antique ijrocède comme fait l’intelligence. Elle s’installe dans l’imnmable, elle se donne des Idées et passe au devenir par voie d’atténuation et de diminution )) (Evolution créatrice, p. 34 1-342). « Une perpétuité de mobilité n’est possible que si elle est adossée à une éternité d’immutabilité, qu’elle déroule en une chaîne sans commencement ni fin. Tel est le dernier mot de la philosophie grecque. Elle se rattache par des fils invisibles à toutes les fibres de l’âme antique. C’est en vain qu’on voudrait la déduire d’un principe simple. Mais si Ion en élimine tout ce qui est venu de la poésie, de la religion, de la vie sociale, comme aussi d’une physique et d’une biologie encore rudimentaires, si l’on fait abstraction des matériaux friables qui entrent dans la construction de cet immense édifice, une charpente solide demeure, et cette charpente dessine les grandes lignes d’une métaphysique, qui est, croyons-nous, la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine » (ibid., p. 354) — M. Bergson adopte une philosophie dynamiste qui est exactement à l’antipode de cette métaphysique naturelle, pour cette raison qu’une pareille métaphysique n’est que la mise en système des dissociations, du morcelage effectués sur le flux universel par la pensée commune, c’est-à-dii-e par l’imagination pratique et le langage. L’intelligence, selon lui, n’est faite que pour penser « les objets inertes, plus spécialement les corps solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail ; nos concepts ont été formés à l’image des solides, notre logique est surtout une logique de solides », p. I, elle est incapable de représenter le réel, qui est essentiellement devenir et vie.

L’argument n’a pas fait grand progrès depuis Heraclite, nous voyons même de mieux en mieux son origine sensualiste. Si l’intelligence n’a pour objet que les corps solides, qu’on nous explique le verbe être, àme de tout jugement, et qu’on nous montre en quoi l’homme peut différer de l’animal. Si l’objet de l’intelligence n’est pas le corps solide, mais l’être et

tout ce qui a raison d’être, la proposition bergsonienne

« // y a plus dans le mouvement que dans

l’immobile » n’est vraieque des immobilités prises par les sens sur le devenir lui-même. Mais elle est fausse si on l’érigé en principe absolu, parce que alors elle veut dire « il y a plus dans ce qui devient et n’est pas encore que dans ce qui est ». L’immobile, pour les sens, c’est ce qui est en repos ; pour l’intelligence, c’est ce qui est, par opposition à ce qui devient, comme l’immuable est ce qui est et ne peut pas ne pas être.

— Le sensualisme bergsonien confond l’immutabilité qui est supérieure au mouvement avec celle qui lui est inférieure, celle du terme ad queni avec celle du terme a quo, la vie immobile de l’intelligence qui contemple les lois éternelles les plus hautes avec l’inertie de l’être inanimé. De ce point de vue, la vie végétative de l’estomac est supérieure à la vie sensitive des organes des sens, supérieure surtout à la vie immobile de l’intelligence ; le temps est supérieur à l’éternité, il est la vie, tandis que l’éternité est une mort. — M. BouTROux répondait de même à Spencer :

« L’éA’olutionnisme est la vérité au point de vue des

sens, mais au point de Aue de l intelligence il reste vrai que l’imparfait n’existe et ne se détermine qu’en vue du plus parfait… De plus l’intelligence persiste à dire avec Aristote : Tout a sa raison, et le premier principe doit être la raison suprême des choses. Or expliquer, c’est déterminer, et la raison suprême des choses ne peut être que l’être entièrement déterminé » {Etudes d’Histoire de la Philosophie, p. aoa). — « Tel est bien le dernier mot de la philosophie grecque », mais ce n est point, comme le dit M. Bergson, « par des fils invisibles que cette philosophie se rattache à toutes les fibres de l’àme antique » et à ce qui fait le fond de l’intelligence humaine. Il est faux qu’on ne puisse « la déduire d’un principe simple ». Elle se rattache à l’intelligence par la loi suprême de la pensée et du réel : le principe d’identité, impliqué dans la toute première idée, l’idée d’être. Elle s’y rattache, non pas par un morcelage utilitaire du continu sensible, imposé par les commodités de la vie pratique et le langage, niais par un morcelage de l’être intelligible, qui s’impose, nous allons le voir, sous peine de tomber dans l’absurde.

5° L’objection hégélienne (intellectualisme absolu) contre le principe d’identité. — A l’antipode de cet anti-intellectualisme d’Heraclite, repris aujourd’hui par M. Bergson, se trouve l’intellectualisme absolu de Hegel, qui ruine, lui aussi, la valeur objective du principe d’identité. Tandis que la philosophie sensualiste du devenir ramène le rationnel au réel vécu, au fait de conscience, ce qui doit être à ce qui est, le droit au fait accompli, la moralité au succès, la nécessité à une liberté sans intelligence et sans loi, sorte de spontanéité aveugle comme l’inconscient de Schopenhauer, la philosophie intellectualiste du devenir ramène au contraire le réel vécu au rationnel, ce qui est à ce qui doit être, le fait accompli au droit, le succès à la moralité, la liberté à la nécessité. Le bergsonisme n’est qu’un hégélianisme renversé.

— Hege) a nié le principe de non-contradiction, du point de vue intellectualiste, au nom même de l’idée d’être, et c’est l’origine de son panthéisme. Son argumentation, exposée dans sa Logique (trad. par A. Véra, 2e éd., § 85, t. I, p. 393-4 12), est justement résumée par l’historien Weber de la façon suivante :

« Etre est la notion la plus universelle, mais paicela

même aussi la plus pauvre et la plus nulle. Etre blanc, être noir, être étendu, être bon, c’est être quelque chose ; mais être sans détermination aucune, c’est n’être rien, c’est ne pas être. L’être pur et simple équivaut donc au non-être. Il est à la fois lui-même et