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la tendance qui nous pousse à prévoir l’exislence de l’un dès l’apparition de l’autre » (7° Essai sur l’entendeiwnt linmain). Mais d’où vient l’idée de cette /"orce. de ce pouvoir attribué à la cause pour prot/jt/ze l’effet".* Hume l’explique par une association qui s’établit entre les choses inanimées et le sentiment de résistance ou le sentiment de l’effort que nous expérimentons, lorsque notre corps donne naissance ou tout au contraire s’oppose au mouvement. « Un être vivant ne peut mettre en mouvement les corps extérieurs sans éprouver le sentimentd’un nisiis, d’un effort ; de même, tout animal reçoit une impression ou un sentiment de choc de tout ()l)jel extérieur qui se meut. Ces sensations, qui sont exclusivement aninuiles et dont nous ne pouvons « / ; /707/ tirer d’inlërence, nous sommes pourtant disposés à les transporter dans les objets inanimés et à supposer que ces objets éprouvent aussi quelques sentiments analogues, lorsqu’ils communiquent ou reçoivent le mouvement » (ibid.). Cette supposition, que la relation de cause à effet contient quelcjue chose de plus qu’une succession inyariahle, est-elle fondée ? Nullement, répond Hume, car même dans le seul domaine de l’expérience interne, nous n’avons pas le moindre mojen de savoir si l’effort volontaire que nous expérimentons est bien ce qui produit le mouvement coi-porel qui le suit ; ce mouvement corporel voulu n’est pas même la conséquence immédiate de la volition ; il en est séparé par une longue chaîne de causes que nous n’avons ni connues ni voulues (mouvement de certains muscles, de certains nerfs et des esprits animaux).

Selon Hume, la causalité se réduit donc à la succession de deux phénomènes, nous sommes portés à croire que cette succession est invariable ; mais ce n’est là que le résultat d’une habitude ; jusqu’ici les faits contingents ont été précédés d’autres faits, mais rien ne nous assure qu’il doit toujours en être ainsi. De plus, à supposer que la causalité s’applique et s’appliquera toujours à tous les phénomènes de l’univers, comment aurions-nous le droit de nous élever par elle à une cause première située en dehors du monde phénoménal ? Le même point de départ sensualiste conduit Hume, comme Berkeley, à nier la matière, il n’y a que des sensations, des phénomènes sans substance ; il est de même de notre esprit. — Par une étrange contradiction, Hume, au début de son Histoire naturelle de la Religion, estime et apprécie la preuve de l’existence de Dieu tirée de l’ordre de hi nature, a L’organisation de toute la nature nous parle d’un Auteur intelligent ; et il n’y a pas de penseur philosophe qui puisse, après mûre réflexion, suspendre un instant son jugement devant les premiers principes du déisme et de la religion naturelle » (sur cette contradiction de Hume, cf. Hume, sa i/> et .sa /^/iZ/oso/j/i/V.parTh. Huxley, trad.fr., Alcan, p. 207). Stl’ar r MiLL admet et développe la même doctrine. Même point de départ : les concepts ne sont rien que des images concrètes { » cconq)agnées d’un nom commun {Pltilos.de Hamilton, p. 371-880 ; Logique, l. l’"', p. I21). De là se déduit sa théorie de la causalité ; Mill prévient (Logique, 1. 111, c. 5, § 2) qu’il n’entend

« pas parler d’une cause qui ne serait pas elle-même

un phénomène. Je ne m’occupe pas, dit-il, de la cause première ou ontologique de quoi que ce soit. Adoptant une distinction familière à l’école écossaise, et particulièrement à Uiai), ce n’est pas aux causes efficientes que j’aurai affaire, mais aux causes p/nsifjues… Ce que sont ces causes (eflicientes) ou même s’il en est de telles, c’est une question sur lacjuelle je n’ai pas à me prononcer… La seule notion de causalité, dont la tiiéorie de l’induction ait besoin, est celle qui peut être acquise par l’expérience. La loi de causalité, qui I est le pilier de la science inductive, n’est que cette loi I

familière, trouvée par l’observation, de l’invariabilité de succession entre un fait naturel et quelque autre fait qui l’a précédé, indépendamment de toute considération relative au mode intime de production des phénomènes ». De ce point de vue tout empiriste, « la cause d’un phénomène est un phénomène antécédent invariable », mieux « la cause d’un phénomène est l’assemblage de ses conditions, car on n’a pas le droit, philosophiquement parlant, de donner le nom de cause à l’un des antécédents à l’exclusion des autres ». Enlîn il faut que la succession ne soit pas seulement invariable comme celle du jour et de la nuit, mais encore qu’elle soit inconditionnelle. — Stuart Mill est amené par là à cette conclusion : 1a distinction del’agenl et du patient est illusoire. Ce sera la principale ol)jeotion des modernistes contre les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu : « La distinction du moteur et du mobile, du mouvement et de son sujet, l’affirmation du primat de l’acte sur la puissance partent du même postulàtdela pensée commune, le postulat du morcelage » (Le Roy, « Comment se pose le problème de Dieu », Res’ue de Métaphysique et de Murale, mars 1907). Le passage de St. Mill demande à être cité, on y voit nettement comment l’empirisme conduit fatalement au nominalisme radical : tout ce qui n’est pas immédiatement saisi par les sens devient entité verbale. « Dans la plupart des cas de causalion, dit Mill, on fait communément une distinction entre quelque chose qui agit et une autre chose qui pàtit, entre un agent et un patient. Ces choses, on en convient universellement, sont toutes deux des conditions du phénomène ; mais on trouverait absurde d’appeler la seconde la cause, ce titre étant réservé à la première. Cette distinction, pourtant, s’évanouit à l’examen, ou plutôt se trouve être purement re/bale ; car ellerésulted’unesimple forme d’expression, à savoir, que l’objet qui est dit actionné et qui est considéré comme le théâtre où se passe l’effet, est ordinairement inclus dans la phrase par laquelle l’effet est énoncé, de sorte que, s’il était indiqué en même temps comme une partie de la cause, lien résulterait, ce semble, l’incongruité de le supposer se causant lui-même. .. Ceux qui admettent une distinction radicale entre l’agent et le patient, se représentent l’agent comme ce qui produit un certain état ou un certain changement dans l’état d’un autre objet qui est dit patient. Mais considérer les phénomènes connue des états des objets est une sorte de liction logique, bonne à employer quelquefois parmi d’autres modes d’expression, mais qu’on ne devrait jamais prendre pour renonciation d’une vérité scicntili(iuc » (Logique, 1. iii, c. 5, § 4).

Dans ses L’ssais sur la Religion (Le Théisme, i^c partie : argument de la cause première… argument tiré des signes du plan de la natiu’e) (écrit en 1868 et 1870), St. Mill lire les conclusions de ses principes sensualisles et nominalistes. Il commence par reconnaître qu’<( il n’y a rien dans l’expérience scientifique qui soit incompatible avec la croyance que les lois et les successions de faits soient elles-mêmes dues à une volition divine » (p. 127). Mais que vaut l’argument de la cause première ? « L’expérience correctement exprimée nous dit seulement que tout changement provient d’une cause, et la cause de tout changement est un changement antérievu"… Mais il y a aussi dans la nature un élément ondes éléments permanents (nuitière cl force), et nous ne savons pas si ces éléments ont commencé à exister. L’expérience ne nous apporte aucune preuve, pas même une analogie, qui nous autorise à étendre à ce qui nous parait immuable une généralisation fondée sur notre expérience des phénomènes variables… Bien plus, comme tout changement a sa cause dans un changement