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p. 130.) Les six amendements qui demandaient la suppression du mot certo furent repousses à une très grande majorité ; l’un d’eux portait : « J’approuve si l’on supprime le mot certo ; car encore que la proposition où il entre me semble vraie philosophiquement, néanmoins avec ce mot elle ne me paraît pas assez clairement révélée pour être définie comme un dogme. » Ces amendements ne pouvaient pas être acceptés : L’Ecriture (Sagesse, c. xiii, i-5, — Rom., c. I, 20) appelle cfl/V/s, ijisensés, inexcusables les hommes qui n’ont pu découvrir Dieu par la raison. Ensuite, comment prouver l’existence de la révélation aux incrédules, si la raison ne pouvait démontrer par elle-même l’existence de Dieu ? Voir aussi la condamnation d’HERMÈs (Denz., 1620) et de Frohscham-MER (n* 1670). Les scolastiques avaient d’ailleurs toujours regai’dé comme erronée l’opinion qui rejette la démonstrabilité proprement dite de l’existence de Dieu (opinion de Pierre d’AiLLY et de Nicolas d’Autrecourt). s. Thomas la qualifie d’erreur (C. Gentes, 1. I, c. 1 2), la déclare manifestement fausse (De Veritate, q.x, ai. 12). Denième Scot, In IV Sent., 1.1, dist.2, q. 3, n. 7, Ba>'nez, Molina, Suarez, etc.

Le Concile admet donc que la raison laissée à ses seules forces peut connaître Dieu avec une certitude absolue. Pourquoi n’a-t-il pas employé l’expression cei-fo demonstrari potest au lieu de certo cognosci potest ? Ce n’est pas une concession au fidéisme ou au criticisme : les propositions que durent signer les lidéistes portent « cum certitudine probare potest ». Comme le montre M. Vacant (op. cit., p. 297), le Concile a préféré le verbe cognosci au verbe demonstrari pour ne pas trancher les questions qui divisent les philosophes qui suivent les doctrines de Platox et de Descartes et ceux qui suivent les doctrines de saint Thomas d’Aquix. Pour les premiers, nous avons une idée innée de Dieu, les êtres contingents ne font qu’éveiller en nous cette notion, la rendre consciente et distincte. Pour S. Thomas au contraire, et pour presque tous les théologiens, la connaissance de Dieu est essentiellement acquise et médiate ; notre entendement ne connaît immédiatement que les êtres contingents et les premiers principes rationnels : et il ne s’élève à Dieu que par une démonstration dont les premiers principes fournissent la majeure et l’existence des créatures la mineure. Le Concile se montre favorable à la doctrine de S. Thomas par l’addition ae rébus creatis », mais ne prétend pas exclure la conception platonicienne ou cartésienne. Seul l’ontologisme a été condamné (tuto tradi non potest) par le S. Ollice (Denzinger, n°* 1 669-1 663 et 1891-1930) : il remplace l’idée innée que les Cartésiens nous attribuent par une vue immédiate de Dieu, et voit, dans cette connaissance de Dieu, essentielle à notre esprit, la source de toutes nos autres idées.

De même le Concile n’a pas employé le mot ratiocinatio, mais ratio : et il entend par raison notre faculté naturelle de connaître la vérité, il l’oppose à la foi, vertu surnaturelle. Au chapitre troisième de la Constitution I)ei Filius, il est dit que cette raison naturelle s’oppose à la foi en ce qu’elle nous fait adhérer à la vérité des choses à cause de cette vérité même dont elle nous donne la perception, propter intrinsecam rerum yeritatem nnturali rutionis lamine perceptam, et non pas à cause de l’autorité de Dieu.

Que pouvons-nous savoir de Dieu à la lumière de la raison ? Le Concile dit : « Dieu principe et fin de toutes choses » ; et dans le canon correspondant : « Le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur. » Comme le montrent les explications données à ce sujet par le rapporteur de la Députation de la Foi, il est défini que l’homme, par sa seule raison, peut reconnaître que Dieu est sa fin, et par conséquent

quels sont nos principaux devoirs envers lui. Mais, par contre, en donnant à Dieu le titre de Créateur, le canon ne prétend pas définir que la raison peut démontrer par ses seules forces que Dieu est créateur, qu’il a tiré le monde du néant. Le Concile a ici simplement voulu retenir les termes dont l’Ecriture se sert pour désigner le vrai Dieu. Cependant on ne peut guère admettre que Dieu est principe et fin de toutes choses, sans être amené à lui reconnaître le le titre de Créateur et à déduire de là tous les attributs divins énumérés au chapitre i*""" de cette même Constitution.

Le Concile n’a pas défini que le pouvoir physique de connaître naturellement Dieu passe facilement à lacté, mais cette doctrine, communément admise par les thçologiens, est annioins proxima fîdei, et le texte conciliaire est favorable à cette interprétation (cf. plus loin, IPpart., ch.i, no i, distinction de la démonstration savante et de la connaissance du sens commun).

Les Théologiens nient même communément la possibilité de l’ignorance ou de l’erreur invincible au sujet de l’existence de Dieu auteur de l’ordre naturel :

« In’isibilia Dei per ea quæ facta sunt, intellecta

conspiciunlur. » (Rom., i, 20.) S’il ne peut y avoir ignorance ou erreur invincibleàl égard des premiers préceptes de la loi naturelle, il ne saurait y en avoir à l’égard de leur auteur. Aussi l’Eglise a-t-elle condamné la distinction « entre le péché philosophique, contraire à la seule raison, et le péché Ihéologique, qui seul serait une offense à Dieu et qui existerait seulement chez ceux qui arrivent à la connaissance de Dieu ou pensent à Dieu au moment où ils pèchent » (Denzinger, n’^ 1290). Cf. Billuart, Cursus Theol., t.l, p. 38, et, dans ce Dictionnaire, art. Athéisme.

L’idée de Dieu, premier être, première intelligence, souveraine bonté, ne peut pas plus s’effacer dans la conscience humaine que les premiers principes de la loi naturelle. C’est seulement tel ou tel attribut essentiel de Dieu qui peut être un certain temps méconnu ; ainsi les principes secondaires de la loi naturelle peuvent être abolis par suite de mauvaises habitudes, comme chez ceux qui ne regardent pas comme péchés le vol ou même les péchés contre nature. Cf. S. Thomas, I » IIe, q. 94, a. 6.

Cet enseignement commun des théologiens se trouve aujourd’hui de plus en plus confirmé par les travaux de Andrew Lang, The making of religion, 1’édit., Londres, 1900 ; du P. Sciimidt dans VAnthropos (années 1908 et 1909), de Mgr Le Roy, La religion des primitifs, Psivis, 1909. Selon Lang et le P. Schmidt, l’idée de Dieu ne dérive pas, comme on le dit communément depuis Tylor et Spexcer, de l’animisme, du culte des ancêtres et de celui de la nature, elle leur est antérieure et résulte du jeu naturel des principes fondamentaux de la raison en particulier du principe de causalité. Cette idée rationnelle de l’Etre suprême est souvent altérée par les mythes que l’imagination y ajoute. Ces deux éléments rationnel et imaginatif se font concurrence à travers tous les siècles. L’histoire des religions est en grande partie le récit de leur rivalité. Cf. Bugxicourt, art. Animisme, et Condamin, art. Babyloxe et la Bible.

Quelques modernistes ont prétendu établir l’impossibilité morale de jamais parvenir naturellement à la connaissance de Dieu, en s’appuyantsur ce qu’affirme le Concile au sujet de la nécessité morale de la révélation. Mais il suffit de lii’e attentivement ce dernier texte conciliaire pour voir qu’il ne s’oppose en rien à la thèse communément admise par les théologiens. Si la révélation est moralement nécessaire, ce n’est pas pour connaître seulement l’existence de Dieuetles principales obligations morales et religieuses, c’est pour que « les points qui dans les choses