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ALBIGEOIS

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que les pierres. Aussi craignons-nous que le glaive spirituel ne puisse plus les sevrer de l’hérésie : le glaive qui frappe le corps leur donnera seul un salutaire avertissement. « L’appel à la force publique partait ainsi du côté du pouvoir séculier ; TEglise en acceptait le principe, mais sans toutefois en hâter l’application. En 1180, le pape Alexandre III jugeait une croisade nécessaire ; ce qui n’empêchait pas la papauté de rechercher, pendant près de trente ans encore, par des moyens pacifiques, la conversion des hérétiques du Midi. Innocent III, ce grand pape que certains historiens (voir Michelet, Hist. de Fiance, t. II, p. 480) se plaisent à représenter comme un homme de proie et de violence, suivit la même voie pendant les huit ou dix premières années de son pontificat (i 198-1208). Il envoya successivement ses légats, Jean de Saint-Paul, Raoul et Pierre de Castelnau, avec la mission très expresse de paciiier les provinces méridionales, soit i)ar la persuasion, soit avec le secours des autorités locales ; il soutint le zèle de prédicateurs comme l'évêque d’Osma et saint Dominique, et provoqua des missions cisterciennes où l’on ^it jusqu'à douze abljés de l’ordre parcourir les diverses régions du Languedoc. Tous ces efforts échouèrent par la trahison des princes et par la violence des hérétiques — « Ce n'étaient point des sectaires isolés, écrit Michelet, mais une Eglise tout entière qui s'était formée contre l’Eglise. Les biens du clergé étaient partout envahis. Le nom même de prêtre était une injure. Les ecclésiastiques n’osaient laisser voir leur tonsure en public. Ceux qui se résignaient à porter la robe cléricale, c'étaient quelques serviteurs des nobles, auxquels ceux-ci la faisaient prendre pour envahir sous leur nom quelque bénélice. Dès qu’un missionnaire catholique se hasardait à prêcher, il s'élevait des cris de dérision. La sainteté, l'éloquence ne leur imposaient point. Ils avaient hué saint Bernard. « (Hist. de France, t. II, p. 469.) Les AUiigeois tendaient donc à la spoliation, à la destruction même de l’Eglise dans le midi de la France.

L’hérésie albigeoise était, en effet, l’antithèse du catholicisme ; l’antithèse doctrinale : les Albigeois reconnaissaient deux principes, se donnaient à euxmêmes le nom de purs ou cathares, et considéraient l’Eglise catholique comme la personnilication du mal ; l’antithèse sociale : les Albigeois tendaient la maiu aux sectes orientales, adversaires de l’Europe chrétienne, et pactisaient avec l'élément sémitique, juif et arabe, si puissant en Languedoc, et surtout de l’autre côté des Pyrénées : « Montpellier, écrit Michelet, était plus lié avec Salerne et Cordoue qu’avec Rome. »

A côté de l’intérêt religieux sur lequel Innocent III avait l'œil ouvert, la question se posait donc de savoir si, tandis que l’ordre européen était maintenu à grand’peine entre de puissants rivaux comme Philippe-Auguste et Jean d’Angleterre, tandis que Saladin reprenait Jérusalem et ({ue les Almohades frappaient à la porte de l’Espagne, on verrait s'établir au cœur de la chrétienté un foyer permanent de troubles et de désordres. Voilà p()ur<pu)i Innocent III ajiporta tant d'énergie et de décision dans la répression de l’hérésie albigeoise. Mais encore est-il juste de remar<|ner que le premier sang versé ne le fut point par l’ordre du pape ; il fut, au contraire, le résultat d’un lâche attentat qui, selon le droit de tous les temps, créait un casiis helli contre son auteur. Le légat pontifical, Pierre de Castelnau, avait maintes fois pressé le comte de Toulouse, Rayuujnd VI, de |)rendre un parti et de se décider enliu pour l’Eglise contre l’iiércsie. Le comte avait donné sa promesse. Mis en demeure de l’exécuter, il se retraudia derrière des prétextes qui ne furent pas jugés valables par le légat.

Celui-ci l’excommunia et jeta l’interdit sur les terres soumises à sa domination. Simulant le repentir. Raymond VI sollicita bientôt une nouvelle conférence avec le légat. Elle eut lieu à Saint-Gilles. Dans cette entrevue, le comte fut violent, il proféra contre le légat des menaces de mort. Le lendeuiain, Pierre de Castelnau s’apprêtait à passer le Rhône, lorsqu’il fut assailli par un écuyer du comte qui lui enfonça sa lance au-dessus des côtes. La mort fut presque instantanée. Le moribond n’eut que le temps de lixer son meurtrier et de lui dire (8 janvier 1208). « Que Dieu te pardonne, comme je te pardonne. » Le meurtrier ne fut pas poursuivi ; il trouva même asile auprès d’amis du comte.

Cet acte odieux a fort embarrassé certains historiens ayant des sympathies secrètes ou avouées pour les Albigeois. Sans un mot de blâme pour le meurtrier et ses complices, H. Martin a le courage d’insulter à la victime en parodiant les mots de pardon prononcés par celle-ci ! « Ces hommes, s'écrie-t-il, implacables pour venger Dieu, comme ils disaient dans leur étrange langage, savaient, en effet, pardonner pour eux-mêmes. » (Hist. de France, II* part., liv. XXII.) La mort de Pierre de Castelnau appela de nouveau l’excommunication sur la tête de Raymond VI. Innocent III fît prêcher la croisade dans le nord et dans l’est de la France (Lettre d Innocent III du 9 mars 1208). Les mêmes faveurs spirituelles étaient attachées à la croisade des Albigeois qu'à celle de Terre Sainte. Aussi d’innombrables légions de croisés s’avancèrent vers le Midi, sous la conduite d’un chef reconnu par le roi de France, Simon de Montfort.

Lorsque le comte de Toulouse aperçut cette nuée d’hommes aruiés, il hâta sa réconciliation avec l’Eglise, qui lui accorda son pardon ; réconciliation peu sincère, on le verra, en dépit de la pénitence acceptée. La croisade ne pouvait cependant reculer, en présence de ce repentir tardif et équivoque d’un prince d’ailleurs impuissant à rétablir l’ordre. Les opérations militaires commencèrent par le bas Languedoc. Simon de Montfort prépara le siège de Béziers.

Que n’a-t-on pas dit sur les croisés et sur ceux qu’ils venaient combattre, sur les hommes du Midi et sur les hommes du X’ord ? Le Midi, c'était la richesse, la prospérité, la civilisation sous tous ses aspects ; le Nord, au contraire, c'était la barbarie, l’ignorance, la pauvreté cupide et violente. On a ainsi trouvé le moyen de mettre un crime de plus à la charge d’Innocent III, puisque c'était lui le promoteiu- de la croisade, qui déchaînait la barbarie conti-e la civilisation (voir IL Mautin, Hist de France, t. III, p. '5-j !. — Michelet, t. II, p. 406 t’t 199)- H n’est rien cependant de plus problématique qiu » cette prétendue supériorité du Midi sur le Nord : u La civilisation, écrit M. H. de l’Epinois, se manifeste ordinairement au dehors par des nueurs plus parfaites, par la culture des lettres et des arts, par le développement du commerce, par l’enthousiasme pour les entreprises généreuses ; or, rien ne prouve fpie les mœurs du Nord fussent plus barbares ou plus corrompues que celles du Midi ; il y avait dans le Midi moins de foi et plus de scepticisnu'. Si on invoque la littérature, le Midi, je le sais, avait ses troubadours et ses canzone : nuiis le Nord avait ses trouvères et ses chansons de geste, que nous commençons seulement à connaître. Si on invofjue la culture des arts, il y avait dans le Nord autant de nu)nuuienls d’architecture, autant de Notre-Danu--de-Paris qu’il pouvait y en avoir dans le Midi. Si le commerce était llorissant à Narbonne, à Reaucaire, dans le Languedoc, il y avait aussi à Saint-Denis, à Provins et en Champagne des foires justement célèbres. Quant aux pensées qui poussent aux entreprises généreuses, les croisés du