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ce genre, dans la Bible, ne doivent pas toujours être prises à la lettre. La « terre » et même « toute la terre », c’est souvent une région plus ou moins limitée, sur laquelle se concentre actuellement l’attention de l’auteur inspiré ou de ceux qu’il fait parler. Déjà S. JÉRÔME l’a constaté, en expliquant l’oracle où Isaïe annonce que l’armée de Cyrus « ravagera toute la terre », ut disperdat omnem terram ('Is., XIII, 5) : « Idioma est enim sanctæ Scripturae, ut omnem terram illius significet provinciae, de qua sermo est. » ('P. L., XXIV, col. 456.) De même le docte Sanctius, commentant les Actes des Apôtres où nous lisons que, le jour de la Pentecôte, il y avait à Jérusalem des Juifs pieux de toutes les contrées qui sont sous le ciel ('Act., II, 5), écrit : « Dicuntur Judæi ab omni regione, quæ sub cælo est, convenisse, juxta vulgatum Scripturæ morem, quae, cum omnem terram aut quid simile dicit, non omnem absolute, sed juxta materiam subjectam intelligit. » (Comment, in Act. Ap., Lugduni, 1616, p. 56.) Les exemples de cet usage abondent dans l’Écriture. Pour ne pas sortir de la Genèse, rappelons que, dans l’histoire de Joseph, on lit qu’  « il y eut famine dans tous les pays, sur toute la terre », et que « de toute la terre on venait en Égypte pour acheter des grains ». Assurément Moïse n’a pas voulu dire que la famine s’était déclarée en même temps sur tout le globe et qu’on venait des extrémités de l’Europe occidentale, de la Chine, de l’Amérique, acheter des grains aux greniers de Joseph, en Égypte. Il parle de la Palestine et des pays voisins, avec lesquels la famille de Jacob pouvait être en rapports.

La relation du déluge elle-même contient un passage que, sans l’exploiter comme ont fait quelques partisans du déluge restreint, on peut invoquer contre une exégèse trop littérale de tous les termes généraux de ce récit. Parlant du retour de la colombe après le premier envoi : « Elle revint à l’arche, dit le texte {Gen., VIII, 9), n’ayant pas trouvé où poser le pied, parce qu’il y avait de l’eau sur la surface de toute la terre. » Moïse semble bien ici appeler « toute la terre » simplement l’espace que le pigeon voyageur de Noé avait pu explorer. De même, donc, quand il écrit que les eaux ont couvert « toutes les hautes montagnes qui sont sous tout le ciel », il a pu vouloir parler seulement des montagnes que voyait Noé, qui n’étaient pas nécessairement très hautes.

Les expressions générales de la description du cataclysme n’obligent donc pas à admettre que, d’après la Bible, l’inondation diluvienne a couvert le globe tout entier, en passant par-dessus les plus hautes montagnes, ni qu’elle a détruit tous les animaux de la terre. Et les difficultés que soulève l’interprétation strictement littérale seraient une raison suffisante pour affirmer qu’en effet cette interprétation ne représente pas la pensée de l’Esprit saint.

Mais la tradition catholique n’est-elle pas unanimement contraire à l’interprétation plus large ? Nous ne répondrons pas, comme d’autres l’ont fait, que la tradition même unanime ne nous impose pas son sentiment sur ce point, parce qu’il ne s’agit pas d’une matière intéressant la foi. Quelle que soit la valeur de cette réponse, qui nous paraît plus que douteuse, nous soutenons qu’il n’y a pas, en réalité, sur ce sujet, une tradition constante et sans contradiction parmi les docteurs catholiques. Les Pères sont vraiment unanimes à affirmer, croyons-nous, comme une vérité de foi, la destruction par le déluge de l’humanité primitive tout entière (on peut voir leurs témoignages principaux dans les Questions actuelles d’Écriture Sainte, 1895, pp. 284-301). Si, de plus, quelques docteurs, pressant la relation de Moïse, appellent avec une certaine insistance notre attention sur la submersion du globe tout entier et l’anéantissement de toute vie terrestre, la plupart ne touchent ces points qu’en passant, et s’ils laissent entendre qu’ils les admettent comme faits, ils ne disent pas qu’ils s’imposent à notre créance au même titre que la destruction des hommes.

De plus, il résulte de plusieurs indications, que la question de l’universalité absolue du déluge était agitée déjà dans les écoles théologiques du IVe ou du Ve siècle, et qu’elle y était parfois tranchée par la négative, sans qu’on trouve la trace d’une protestation chez les docteurs catholiques. On sait positivement que Théodore de Mopsueste, fameux par sa science et malheureusement aussi par ses erreurs, niait cette universalité absolue (I. Philoponus, De mundi creatione, l. I, c. XIII, dans Galland, Bibliotheca VV. Patrum, t. XII) : et cependant le Ve Concile œcuménique, certainement bien instruit de l’opinion de Théodore sur ce point, ne l’a pas comprise dans la longue série des propositions extraites de ses commentaires sur la Genèse, que ce Concile a frappées de l’anathème (Mansi, S. Conciliorum amplissima collectio, t. IX, col. 203 sq. Cf. Brucker, Questions actuelles, 1896, p. 311-313).

III. Réponse générale aux objections tirées des sciences naturelles. — Du moment que nous n’avons pas à défendre l’universalité géographique du déluge, les principales objections de la science moderne contre le récit qu’en fait la Bible disparaissent. Il ne s’agit plus d’un cataclysme absolument inconcevable : spécialement ordonné par Dieu, le déluge diffère peut-être encore par ses proportions plus imposantes des bouleversements analogues, constatés dans l’histoire de notre globe ; mais il n’offre plus rien que ne puisse expliquer l’action des grandes forces naturelles mises en mouvement par la puissance divine. La destruction de vies animales et de végétaux n’a pas, nécessairement, été considérable ; et l’on voit que la tâche de Noé dans le sauvetage a pu être facile : il a pu se contenter d’introduire dans l’arche les animaux domestiques, ceux qui pouvaient lui être le plus utiles, à la sortie, pour son service ou pour aliment. Enfin l’amplitude des ravages du déluge, en général, dépendra de l’étendue de la terre habitée qu’il devait embrasser, afin d’atteindre tous les hommes : rien ne prouve que l’humanité fût déjà répandue sur une très grande partie du globe ; le récit de la Genèse nous paraît plutôt insinuer assez clairement le contraire.

IV. Objections géologiques. — Les géologues, dit-on, ne connaissent aucun fait d’où il résulte qu’il y ait jamais eu une inondation couvrant toute la terre, jusqu’à dépasser les plus hautes montagnes, comme l’affirme la Bible. Bien plus ils trouvent la preuve du contraire, dans les monceaux de cendres et de scories qu’ils observent, par exemple, sur les montagnes de l’Auvergne et qui proviennent de volcans éteints longtemps avant l’apparition de l’homme ; car ces dépôts n’auraient pu résister à une inondation de ce genre et auraient été infailliblement emportés par les eaux. — Répondons d’abord à la seconde partie de l’objection. Celle-ci suppose l’universalité géographique du déluge, et tombe, si, comme nous l’avons montré, cette universalité n’est imposée ni par l’Écriture ni par la tradition de l’Église. Quant à l’absence de traces du déluge, elle a été contestée, quelquefois avec des arguments qui ne sont pas dénués de toute valeur (voir notamment Chambrun de Rosemont, Études géologiques sur le Var et le Rhône, 1873 et 1876). Mais nous l’admettons sans peine. Le plus extraordinaire serait qu’il restât des