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DÉCRETALES (FAUSSES)

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ont contribué, sous son pontificat, au développement de la règle : Spoliatns ante omnia restituendus, dont ils ont consolidé le fondement, en même temps qu’ils introduisaient une précision plus grande dans son application. A cela se réduit leur influence. Il est vrai que le pontiticat de Nicolas I^"" a largement contribué à développer, dans l’Eglise, le mouvement de concentration qui s’est opéré autour du Pontife Romain. Mais le courant centralisateur était formé à Rome quand y furent apportées les Fausses Décrétales ; si elles furent une expression de ce courant en Gaule, elles ne l’ont pas créé au siège du gouvernement de l’Eglise.

L’examen des lettres des successeurs de Nicolas I^"" au ix « siècle ne prouve pas que les Fausses Décrétales, dont on relève quatre ou cinq citations pendant quarante ans, aient joui à Rome d’une grande autorité ; il est remarquable qu’elles ne soient pas citées une seule fois dans les nombreuses lettres de Jean "V^III. Rien ne prouve que leur rôle à la cour pontiûcale ait été j^lus important au x^ siècle. Ce n’est qu’au xi « siècle qu’elles y prendront une incontestable autorité.

En dehors de Rome, l’influence des Fausses Décrétales s’est développée plus ou moins rapidement dans les diverses régions de la chrétienté. De ce côté des Alpes, leur fortune est rapide ; dès 860, elles sont fréquemment citées ; ce qui en atteste le succès, c’est que bientôt on en fait des extraits que l’on réunit en recueils pour en faciliter l’usage. Cependant les passages tirés des apocryphes isidoriens entrent dans les collections canoniques de la Gaule ou de la Germanie ; par exemple, en ijo6, Regixon de Prum en admet un certain nombre dans ses célèbres Libri Synodales. Cette situation ne se modifie point au x « siècle. Sans doute, dans sa collection canonique, Abbox de Flecry semble ne pas faire usage des Fausses Décrétales ; mais, en 991, elles sont invoquées au concile de Saint-Baste par les défenseurs de l’archevêque de Reims, Arnoul. Au commencement du XI’siècle, lorsque Burchard de ^Yorms rédige son Décret, qui bientôt se répandit dans tout l’Occident et y jouit d’une grande vogue, il y accueille nombre de textes d’origine isidorienne.

L’Italie s’est montrée moins empressée, ce semble, à accepter la compilation du faux Isidore. Cependant dans les vingt dernières années du ix’siècle et au x’, cette collection est très répandue dans la péninsule ; elle fournit nombre de fragments aux auteurs de collections canoniques, à commencer par VAnselmo dedicata, qui date sans doute d’une année comprise entre 883 et 897 ; d’ailleurs les textes d’Isidore jouent un grand rôle dans la polémique ouverte entre les canonistes italiens, au cours des premières années du X* siècle, à propos de la validité des ordinations du pape Formose et des translations d’évêques d’un siège à un autre. Désormais les Fausses Décrétales sont entrées dans l’usage courant, des deux côtés des Alpes.

Dans la seconde moitié du xi* siècle, au temps de la réforme de Grégoire VII, non seulement l’authenticité des Fausses Décrétales n’est contestée par personne, mais les textes tirés des apocryphes isidoriens, sont considérés comme un véhicule commode pour plusieurs des idées maîtresses sur lesfjuelles repose l’œuvre des réformateurs. Aussi les collections canoniques cjui sont plus particulièrement la manifestation de leurs tendances, notamnienl la collection en 74 titres qui est la première en date, celle d’Anselme DB LucQUEs, celle du cardinal Dklsdedit, contiennent de nombreux et importants passages des Fausses Décrétales. Ce recueil devient aussi l’arsenal des polémistes du xi’et du xii’siècle ; il suflit, pour

s’en rendre compte, de jeter les yeux sur les écrits intitulés LibeUi de lite imperatorum et pontipcum, publiés dans 1^ collection des Monumenta Germaniae. Cependant, les fragments isidoriens, cqui ont pénétré en grand nombre dans les recueils canoniques d’YvBS de Chartres et de ses contemporains, entrent en foule dans le Décret de Gratiex. Pendant quatre siècles, du xi « au xv, l’autorité du faux Isidore est universellement reconnue ; ses apocryphes jouissent du même prestige que les textes authentiques.

A partir du xv « siècle, l’étoile du faux Isidore pâlit. Le cardinal Nicolas de Cuss flaire la falsilication ; d’autres partagent ses méfiances ; qxielques-uns des gi-ands érudits du xvi « siècle, tel Antoine Augustin, laissent apercevoir leurs hésitations ; d’autres comme Antoine Le Conte, dans la seconde moitié du xvi’siècle, n’ont plus d’illusions sur l’authenticité des Décrétales antérieures à S. Silvestre. En 1628, le protestant D.vviD Blondel, achève le travail de la critique dans son œuvre (Pseiido-Isidoriis et Turrianus apulantes), dirigée contre La Torre, défenseur malheureux de l’authenticité d’Isidore. A dater du xvii’siècle, les Fausses Décrétales ont perdu toute autorité, et sont définitivement classées au premier rang de la série des apocryphes. De nos jovirs on s’accorde assez généralement à y voir une œuvre de membres de l’Eglise franque, dont le but a été non pas, comme on le répétait jadis, de créer ou tout au moins d’étayer le dogme de la primatie du Saint-Siège, mais de réaliser dans l’Eglise certaines réformes grâce à l’appui du Siège apostolique, dont l’autorité s’imposait à tous.

YI. Bibliographie. — (On s’est borné à indiquer les travaux les plus récents.) — Pour le texte, éd. d’Hinschius : Décrétâtes psendoisidorianae, Leipzig, 1868 (précédé d’une introduction critique). — On trouvera aussi le texte dans Patrologia latiria, t. CXXX.

Travaux. — R. P. Lapôtre, Z>e^4/ ! « s/asio bibliothecario Sedis Apostolicae, Paris, 1885 (n’est point en librairie) ; abbé Lesne, La hiérarchie en Gaule et en Gez-rtian^V, 742-882, Paris-Lille, 1905 ; F. Loi, Etudes sur le règne de Hugues Capet et la fin duyi’siècle, Paris, 1908, et la Question des Fausses Décrétales, dans la Revue historique, t. XCIY, 1907 ; Langen, Aochmals : Wer ist Pseudoisidor ? dans Historische Zeitschrift, t. XLYIII, ann. 1882 ; Lurz, Ueber die Heimat Pseudoisidors, Munich, 1898 ; Maassen, Pscudoisidor-Studien. dans les >itzungsberitchte de l’Académie impériale de Yienne, classe de philos, et d’hist., t. CYIII et CIX, ann. 1885 ; Millier, Zum Verhdltniss Xicolaus I und Pseudoisidor s ; ^l’eues Archiv der Gesellschaft fiir altère deutsche Geschichtskunde, t. XXI (1900) ; Schrors, Ilinkmar, Erzbischof von Reims, Fribourg en B., 1884, et deux articles publiés dans YHistorisches Jahrbuch, t. XXY et t. XXYI (1906 et 1906) ; E. Seckel, Pseudoisidor, au t. XYI de la 3’édition do la Realencyklopddie fiir protestantischc Kirche, Leipzig, 1905 ; B. Simson, Die Entstehung der pseudoisidorischen Fdlschungen in Le Mans, Leipzig, 1886 ; voir aussi un article de V Historische Zeitschrift, t. LXYllI, ann. 1892 ; de Smedt (R. P.), Les Fausses Décrétales. Vépiscopat franc el lu Cour de Rome, dans les Etudes religieuses, historiques et littéraires, 4’série, t. YI, ann. 1870 ; Ad. Tardif. Histoire des s urces du droit can « / « yj/e, Paris, 1887. p. 140-158 ; AYasserschleben, l’eber das Vaterland der falschen Dekretalen, dans Historische Zeitschrift, t. LXIY, ann. 1890 ; Paul Fournicr. Etudes sur les Jùiusses Décrétales, Revue d’histoire ecclésiastique, t. VII et VIII, ann. 1906 et 1907.

P. FOURNIER.