Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/461

Cette page n’a pas encore été corrigée

905

DÉCRÉTALES (FAUSSES)

901

qu’il est possible de découvrir le but poursuivi par le faussaire.

On y trouve d’abord une série de lettres dont la confection s’imposait à Isidore par suite du plan qu’il a adopté. Le Lihei- Pontipcalis indique, au cours des notices biographiques qu’il consacre à chaque Pape, les décisions d’ordre canonique qui lui sont attribuées. Isidore, suivant pas à pas le Liber PontificaUs. a cru devoir confectionner de toutes pièces les lettres mentionnées par quelques mots dans chacune de ces biographies. Ce ne sont pas ces lettres qui peuvent nous révéler le but poursuivi par Isidore ; en effet, il s’est imaginé devoir les composer pour mieux marquer le caractère d’antiquité dont il voulait que fût empreinte sa compilation.

Ce qui nous révèle sa pensée, ce sont les documents qu’il a composés de sa propre initiative, sans avoir à se préoccuper de se mettre en harmonie avec les textes historiques antérieurement connus. De ces documents, se dégagent deux idées fondamentales.

En premier lieu, Isidore se préoccupe d’assurer la liberté de l’Eglise, en affranchissant les personnes et les biens ecclésiastiques de l'étreinte du bras séculier. Contre les personnes, l’arme la plus fréquemment employée était l’accusation ; aussi la pensée exprimée avec une insistance extrême dans les Fausses Décrétales est qu’il importe avant tout que les évêques ne soient pas injustement accusés, plus encore qu’ils ne soient pas chassés de leurs sièges à la suite de ces mesures violentes auxquelles les puissants du siècle n’hésitent pas à recourir. Isidore réserve le jugement des évêques, comme d’ailleurs celui de tous les clercs, au tribunal ecclésiastique ; au surplus, les causes des évêques, étant considérées comme des causes majeiu’es, peuvent toujours être portées devant le Pape par voie d’appel ou autrement ; en tout cas, le concile provincial, juge ordinaire des évêques, ne saurait les déposer sans en avoir référé au Pape. Ajoutez à cela que la procédure daccusation est réglementée minutieusement, de façon à éviter toutes les injustices et toutes les vexations ; ajoutez-y que l’auteur du recueil isidorien condamne, comme la suprême iniquité, le fait d’enlever un évêque à son siège avant un jugement régulier, et promulgue en maints endroits la règle qui sera plus tard résumée en ces quatre mots : Spoliatun ante omnia restituendiis. En même temps, comme, un peu partout, le patrimoine fait des libéralités des fidèles est plus ou moins mis au pillage, l’auteur des Fausses Décrétales prononce les condamnations les plus sévères contre ceux qui se rendent coupables de ces déprédations, et met en lumière le caractère des biens consacrés à Dieu, qui, pour aucun motif, ne doivent être soustraits à leur destination. Qu’il s’agisse des personnes ou des biens ecclésiastiques, les Fausses Décrétales représentent un effort énergique pour allîrmer l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis des puissants de ce monde.

Pour mener cet effort à bonne liii, il faut lui donner un point d’appui inébranlable. Isidore, qui manifestement n’a qu’une confiance médiocre dans le j)ouvoir séculier, cherche à s’appuyer sur l’Eglise romaine, dont il rappelle les privilèges avec conqilaisance. Le pape est dans l’Eglise le juge suprême (m dit le dernier mot dans les causes majeures, directement, et non pas seulement par voie d’appel. Sa juridiction s’exerce sur les évêques isolés, et aussi sur les évêques réunis en conciles. Isidore enseigne que la tenue des conciles, même régionaux, est subordonnée à l’assenlimenl, ou tout au moins au contrôle, du Siège Aposlolique. En somme, Isidore a bien plus besoin du pouvoir du Saint-Siège pour y appuyer les évêques, que les papes n’ont besoin d’Isidore pour y

étayer leur propre pouvoir. Jamais les Fausses Décrétales n’eussent été rédigées dans les termes que nous connais^.ons, si le Saint-Siège n’eût été, au temps de leur rédaction, en possession d’un pouvoir dont le concours était indispensable pour assurer l’indépendance de l’Eglise dans l’Empire franc.

En second lieu, Isidore se propose, non seulement de soustraire l’Eglise à l’asservissement dont la menacent les puissances extérieures, mais de la préserver d’un péril intérieur, celui de l’anarchie ; c’est pourquoi il ne cesse de mettre en lumière les traits principaux de l’organisation ecclésiastique. L’Eglise lui apparaît comme un édifice essentiellement stable, construit sur un plan consacré par le temps, au point que, tel qu’il le conçoit, ce plan, d’ailleurs immuable, remonte aux origines, et que, si des altérations viennent à s’y produire, le véritable remède consiste à le rétablir dans son premier état. Au bas de cet édifice, il montre la paroisse constituée sur la base d’une division territoriale, gouvernée par le curé, dont la mission est viagère (//i eu diebus vUæ siiæ diirandus), mais qui dépend étroitement de l'évêque : il célèbre le culte dans une église affectée d’une manière permanente à sa destination. Au-dessus de lui, sans intermédiaire, est l'évêque, élu et consacré en vue d’une cité déterminée, du consentement des évêques de la province. Isidore revient avec une insistance extrême sur les devoirs du clergé et des fidèles vis-à-vis de l'évêque, qui est pour lui la colonne sur laquelle repose l’Eglise locale ; aussi est-ce un véritable crime, digne des censures les plus sévères, que d'ébranler son autorité. D’ailleurs Isidore se montre très peu sympathique aux chorévêques, personnages parasites, contre lesquels il nourrit un ressentiment particulier ; ils n’ont guère de place dans son système, non plus que les évêques des bourgades et les évêques qui n’ont pas été consacrés pour une cité déterminée. Isidore ne connaît, en fait de pasteurs du premier ordre, que les évêques placés à la tête des ch’ltafes.

Que si la constitution du diocèse est monarchique, il n’en est pas de même, dans la pensée d’Isidore, de celle de la province. Le gouvernement de la province est confié, d’après lui, non au métropolitain, mais à l’assemblée des évêques qu’il préside. C’est un trait de son œuvre que la part qu’il fait aux comprovinciales episcupi, qui interviennent dans toutes les affaires graves. Au-dessus du métropolitain, Isidore admet l’existence de primats et de patriarches ; mais sur leurs attributions, ses décisions sont incertaines et incohérentes : visiblement, c’est une institution qui n’a pas à ses yeux une importance capitale. En effet, c’est la Papauté qui est pour lui la véritable clé de voûte de l'édiOce ecclésiastique.

On peut découvrir dans les documents réunis par Isidore d’autres aspirations tendant à la réforme de la société chrétienne, dont il est le partisan résolu : mais toute son œuvre est dominée par les deux tendances capitales que je me suis efforcé d’indiquer : d’une part assurer l’indépendance de l’Eglise, d’autre part présenter dans les textes des premiers siècles le modèle de sa constitution, qu’il estime immuable et qu’il se propose de restaurer. Ce sont d’ailleurs les idées nuiitresses des réformateurs au premier rang desquels il s’est placé.

III. Date des Fausses Décrétales- — H paraît certain que les Fausses Décrétales n’ont pu être composées avant 847. En effet, on s’accorde généralement à penser avec Hinschius que les Fausses Décrétales dépendent des Faux Gapitulaires de Benoit le Diacre, qui ne sont pas antérieurs à cette année. On peut même dire, sans grande témérité, que les Décrétales