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AGNOSTICISME

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Comme d’ailleurs il affirmait avec emphase que dans Texpérience relig-icuse, telle qu’il l’entendait, la représentation intellectuelle avait sa part, puisqu’on allait à Dieu avec toute son ànie ; beaucoup de théologiens, tout en combattant vigom-eusement les conséquences erronées que M. Tyrrell déduisait ou affirmait, hésitaient à le ranger parmi les agnostiques ; et il m’est arrivé, en écrivant sur M. Le Roy, de donner à entendre que l'épistémologie de M. Tyrrell était au fond soutenable (Etudes sur le décret Lainentnhili, Y>a.ries dans l’Univers, août 1907, tii'é à part, p. 73). Through Scylla and Charyhdis ne m'était pas encore parvenu ; il m’avait été impossible d’acquérir la certitude que M. Tyrrell niât tout nexus o^'ec/i « s déterminé entre nos représentations intellectuelles et la réalité divine. Le doute maintenant n’est plus possible.

M. Tyrrell en est clairement Acnu aux symboles qui servent, il est vrai, à désigner l’Absolu, l’Infini, d’une façon inadéquate, mais sans nous permettre de porter un jugement immuable et ferme, à la fois objectif, déterminé et précis, sur la natm-e intrinsèque de Dieu. D’après lui, les formules religieuses n’expriment que le retentissement de la réalité divine dans l'âme des croyants. « A S. Pierre, le Christ s’est tout à coup présenté sous l’idée de Messie, de Fils du Dieu vivant. A l’auteur du quatrième évangile, comme Logos éternel… Dans chacun de ces cas le même ébranlement d’expérience religieuse donne une réaction mentale différente… Le théologien observera que le Christ en toutes circonstances a été placé dans la plus haute catégorie de glorification dont chaque intelligence se trouvait meublée… Vox l’expérience chrétienne postérieure il est devenu le Fils consubstantiel à son Père, grâce à une théologie courante qui trouvait une telle exaltation concevable et conciliable avec l’intégrité de la nature humaine… C’est parce que les hommes ont senti et éprouvé que le Christ était leur Dieu, leui" sauveur, leur pain spirituel, leur vie, leur voie, leur A'érité, qu’ils l’ont conçu sous toutes ces formes et ces images, dont les unes sont plus adaptées que les autres à satisfaire le besoin qu'éprouve l'âme d’exprimer sa plénitude » (Scylla, p. 289). Mais ces conceptions, d’après M. Tyrrell, n’ont jias de valeiu' doctrinale : « Ces conceptions en tant que révélées n’ont pas de valem* théologique directe ; elles ne sont qu’une partie de l’expérience dont elles aident à déterminer le caractère » (ibid.).

Je me souviens d’avoir lii, je ne sais plus dans quel mystique, l’interprétation suivante des paroles que jjrononça Moyse, Ex. 34, 6 sqq., Dominator Domine Deus etc. L’auteur supposait que Moyse vit l’essence divine ut est in se et ne la connut pas seulement comme nous (bien que mieux) secuiidum cjuod est in se. Comme celle-ci est ineffable, il en concluait que les versets Dominator etc. n’expriment pas ce que voyait Moïse, mais que cette accumulation de paroles ne signifie que l'état mental du prophète, qui manifeste son saisissement en multipliant les épithètes. Cette exégèse est contestable pour bien des raisons ; mais admettons-la pour un instant. Ce mystique très orthodoxe était-il moderniste à la façon de M. Tyrrell ? Nullement, et pour deux raisons, i" Il n’appliquait ce système d’interprétation qu'à deux versets de l’Ecriture, à un cas singulier, dans l’hypothèse de la vision face à face : hypothèse que d’ailleurs rejette à bon droit M. Tyrrell. 2° Bien que n’exi)inmant pas dans Ex. 34, 6 l’objet divin tel précisément que Moyse le voyait, ce mystique admettait que ces paroles, Dominator elc, ont d’elles-mêmes une valeur de représentation déterminée, une portée métaphysique : incapable de dire ce qu’il voyait, comme il le voyait, ut est in se — c’est l’hypothèse

— Moyse l’exprimait en le transposant, en termes qui le disent secundum quod est in se. Si un ange A’enait à nous parler de Dieu, c’est nécessairement ainsi qu’il devrait s’y prendre pour être compris. Mais pour M. Tyrrell, 1° iln’j' a pas de cas singulier : tous les énoncés dogmatiques de l’Ecriture sont soumis à la même loi de ne signifier directement que l'état mental du théopneuste ; 2° les formules religieuses ne nous permettent pas de porter un jugement déterminé sur Dieu en soi.

Il est vrai que M. Tyrrell entend bien que les énoncés prophétiques nous permettent, comme traces ou traductions de l’impression extraordinaire produite par Dieu, de conclure ou plutôt d’expérimenter personnellement, à notre façon la sublimité divine. Cela s’entend : c’est une des raisons pour lesquelles les ouvrages des grands mystiques sont considérés comme des livres de dévotion. Mais, 1", l’Ecriture n’est-elle rien de plus que S. Bernard ou Thomas à Kempis ? 2" L’Ecriture ne nous apprend-t-elle rien de déterminé, de distinct siu- la sublimité divine : tout ce que l’Ecriture nous enseigne de Dieu en soi se réduit-il à l’impression vague de l’excellence divine que nous laissent certaines pages obscures de S. Jean de la Croix ? Telle page de l’Imitation me suggère une grande et très touchante idée de Dieu, j’en con-A’iens ; et le pieux auteur y fait adresser par Jésus-Christ à mon âme des discours qui, à certaines heures, l'émeuvent jusque dans ses replis les plus intimes. Mais les paroles historiques du Christ, le texte sacré, ont une tout autre autorité. D’abord, Thomas à Kempis ne m'émeut qu’autant qu’il est l'écho de l’enseignement évangélique : les dires du Bouddha laissent froides les âmes chrétiennes. Ensuite, le Christ m’instruit et ui’enseigne dans le texte sacré ; « la parole révélée nous a été donnée pour guérir notre âme toute entière, l’intelligence aussi bien que nos facultés émotives et nos puissances d’action » (M’Cosh, The Method, p. 609) ; et c’est pour cela que « celui qui a vu le Père » nous le révèle. Baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti, c’est tout d’abord une doctrine positive, qui s’adresse â mon esprit. Cf. Etudes, 20 avril igo8. Expérience et /b/, par S. Harent. Toute émotion mise â part, entendue au sens objectif comme l’Eglise l’entend, cette formule nous renseigne certes sur la sublimité de la nature divine : car rien, mieux que cet adorable mystère, ne nous apprend que nous ne pouvons pas nous comparer à Dieu, quo auctori suo se in nullo potest conferre. Mais cette doctrine n’engendre en nous cette persuasion intime, qui est d’une très grande valeur religieuse, qu’autant que nous la réalisons d’abord intellectuellement. Si l’on nous objecte, comme le fait M. Le Roy, « l’anéantissement » des mystiques, la connaissance par la ténèbre « sans forme intelligible déterminée », nous avons déjà donné l’explication à la fois théologique, grammaticale et psychologique de toutes ces façons de s’exprimer ; elles ne favorisent en rien l’agnosticisme, on l’a vu. Si l’on insiste, en prétendant que la connaissance confuse de Dieu, au sens des mystiques, est la plus relevée, nous répéterons que cette connaissance, si confuse qu’elle soit, débute par la foi et s’achève toujours par vine aflirmation sur la nature intrinsèque de Dieu ; qu’elle n’est donc jamais, comme celle des modernistes, une pure et simple dénomination extrinsèque. D’ailleurs, c’est une prétention singulière, de faire des états mystiques le type de l’acte de foi. A qui fera-t-on croire que nous sommes tous dans les transes d’un S. Jean de la Croix et que nous devons en passer par là à peine de crime d’infidélité? Benoît XIV déclare que l’EgUse ne requiert aucunement les « grâces mystiques » pour la canonisation des