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CURIE ROMAINE (CARDINAUX)

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apostolique », en tant que les Apôtres remplissaient auprès de saint Pierre le rôle de conseillers et de coadjuteurs que les cardinaux remplissent maintenant auprès du pape. Vers la même époque, l’Université de Prague exigeait de tous ses gradués qu’ils reconnussent dans les cardinaux les successeurs des Apôtres. — Pas n’est besoin de longues réflexions pour démêler dans ces assertions la part du vrai et du faux. L’histoire atteste, comme la tliéologie catholique enseigne, que ceux des pouvoirs de l’apostolat qui étaient ordinaires, c’est-à-dire inhérents à la hiérarchie ecclésiastique, se sont perpétués dans l’épiscopat, et non point sous une autre forme. Rien n’empêche de rattacher, si l’on veut, ou, mieux, de comparer le corps des cardinaxix au corps des Apôtres ; néanmoins, suivant toutes les données liistoriques et traditionnelles, le premier est, non pas l’héritier, la continuation proprement dite, mais une imitation partielle du second ; entre les deux il y a analogie, non identité juridique. Encore l’analogie se borne-t-elle au concours apporté de part et d’autre au chef de l’Eglise par le groupe qui l’entoure ; le droit, si important et si caractéristique, qui concerne l’élection du pape, reste en dehors du point de comparaison. C’est en ce sens, assurément, qu’EuGÈXE IV, dans sa constitution A’un mediocri^ affirme que l’office des cardinaux est, par ses commencements, contemporain du bienheureux Pierre. C’est une ressemblance du même genre que Sixte-Quixt a en vue et fju’il applique à la situation des Apôtres par rapport au divin Maître, lorsqu’il écrit, constit. Postquam {eriis : « Les cardinaux de la sainte Eglise romaine représentent les Apôtres servant le Christ notre Sauveur durant sa prédication du royaume de Dieu et son accomplissement des mystères du salut de l’humanité. » Autrement, il faudrait admettre non seulement que l’institution des cardinaux est aussi ancienne que l’Eglise, mais qu’elle lui est antérieure, puisque l’Eglise et sa hiérarchie visibles n’ont été véritablement établies qu’après la résiu-reclion du Christ.

Les presbytériens et des jansénistes ont avancé une théorie qui va à rencontre de la précédente en se jetant dans l’excès contraire. D’après eux, les cardinaux seraient purement et simplement les successeiu’s des curés, et leur situation actuelle se présenterait comme le produit de l’ambition et des empiétements successifs des officiers de la cour romaine.

— Il suffirait, pour réfuter cette thèse, de rappeler ce qui a été dit plus haut de la signification et de l’emploi primitifs du nom de cardinal. Il en résulte, en effet, que les ministres ainsi qualifiés se rencontraient d’abord dans toutes les églises, tant urbaines que rurales, tandis qu’il est généralement admis que les villes, sauf peut-être Rome et Alexandrie, n’ont pas été dotées du régime paroissial avant l’an looo. Notre observation ne perdrait évidemment rien de sa force, au contraire, si l’on voulait prétendre, avec le savant Phillips, que les cardinaux n’ont jamais existé que dans les villes. Mais, sans aller jusque-là, nous devons bien convenir, sur la foi des monuments, qu’au viii’siècle l’antique dénomination était restreinte, dans son application, au clergé des églises cathédrales. On en serait donc venu, à une certaine époque, à réserver le nom propre des curés aux seuls lieux où il n’y avait ni curés ni paroisses ! Qui admettra la vraisemblance d’un pareil processus ? Pourtant le fait et la date de la restriction indiquée nous sont garantis par des témoignages d’une clarté parfaite. En voici quelques-uns. Le pape Zacharie, dans une lettre de’j/S ii Pépin le Bref, parle d’un canon du concile de Néocésarée, qu’il résume ainsi : De presbyteris agrorum, qiiam obedientiam debeant exliibere episcopis et presbyteris cardinalibus. P. L.,

t. LXXXIX, col.933 ; 3aifé, Begesfa pontificum, n. 22’J7. Au siècle suivant, le diacre Jean (l’ancien), Vie de saint Grégoire le Grand, l. III, n. ii, P. L., t. LXXV, col. 135, écrit : /tem cardinales violenter in parochiis ordinatos forensibus in pristinum cardinem Gregorius reyocahnt. Dans un diplôme de Gauzelin de Padoue, qui porte la date de q’jS, nous lisons : Dum Dominas Adilbertns, Patas-iensis Ecclesiæ episcopus, resideret in cathedra siii episcopii, in donio S. Mariae matris ecclesiae, convocata sacerdotum, levitaruni, reliqiioriinique caterva, tum ex cardine urbis ejusdem quamqiie ex singulis plebibus in synodali conventn. Ces textes et d’autres semblables établissent une opposition entre le clergé des campagnes, presbyteri agrorum, parochi forenses, plehani, et le clergé de la cité épiscopale, celui-ci seul continuant, par certains de ses membres, la lignée des presbyteri cardinales. Qu’un changement de ce genre se soit produit dans le langage canonique, c’est chose cjiii se comprend, si. la synonymie de cardinalis et de incardinatus admise, on considère que les ecclésiastiques de l’entourage de l’évêque étaient, par suite de leur situation plus élevée, moins sujets à déplacement ; mais elle ne se comprendrait pas si l’épithète de cardinalis avait été antérieurement propre aux curés.

L’élévation progressive des cardinaux romains s’explique tout naturellement sans qu’il soit besoin de faire intervenir comme facteur décisif des vues ambitieuses et intéressées. L’évolution historique de la puissance du souverain pontife ne pouvait manfjuer d’entraîner un mouvement parallèle d’ascension pour ses conseillers ordinaires. Nous avons vu comment, partiellement d’abord, par Nicolas II, puis plus complètement, par le IIP concile œcuménique de Latran, le droit d’élire le pape leur fut réservé. De là évidemment, pour eux, une nouvelle cause d’accroissement d’influence. Du reste, rien de mieux justifié historicjuement et juridiquement, rien de plus conforme à l’analogie de la discipline ecclésiastique que l’attribution de ce droit. De même que, dans la plupart des diocèses, après la querelle des investitures, la participation du peuple et du clergé inférieur au choix de l’évêque dut être écartée, tandis que la législation des Décrétales, notamment au II concile de Latran (i 189), posait comme règle l’élection par le haut clergé, c’est-à-dire, le plus souvent, par le chapitre de la cathédrale (cf. ^^’ER^z, Jus Décréta linm, t. II, p. 891), de même pour Rome. Une différence pourtant est à signaler ici : c’est que le corps électoral, romain par sa fonction et sa dignité, représente en réalité, grâce à ses membres originaires de divers pays, l’Eglise entière ; et ceci encore est très rationnel, puisque ce n’est pas pour un seul diocèse, mais pour toute l’Eglise qu’il s’agit d’élire un pasteur. Ajoutons qu’à Rome, comme ailleurs, plus qu’ailleurs, l’exclusion de l’élément populaire, au xi" et au xii « siècles, s’imposait, à raison des factions, des troubles, des schismes même et des antipapes, dont son intervention avait été la cause ou l’occasion, et qui tendaient alors à passer à l’état de mal chronique.

On a reproché spécialement aux cardinaux de s’être arrogé, même pour ceux d’entre eux qui ne sont pas évêques, la préséance sur tous les évêques et arche-A’êques étrangers à letir collège. Mais ce point encore est une conséquence de leur union perpétuelle et intime aA’cc le Saint-Siège. En vertu de cette union, les cardinaux devaient apparaître et sont apparus dans l’Eglise comme les ministres du pape, bien plus, comme une représentation, une sorte de dédoublement de la personne du pontife. Or c’est une règle, admise aussi dans l’ordre civil, qu’à celui qui représente un prince on accorde les mêmes honneurs et les mêmes pré-