Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/430

Cette page n’a pas encore été corrigée

843

CULTE CHRETIEN

844

prières à haute voix, encens, prostrations devant la statue du dieu.

Mais une fois sorti du temple, où l’on laissait son dieu, tout était fini. On était quitte envers lui. Il n’avait plus rien à dciuandcr. La piété en% ers les dieux n’avait pas d’influence sur la forme de la vie. Il n’y a pas dans le paganisme de vérital)Ie vie intérieure. En somme, pas de vraie religion.

Le christianisme lit sur ce point une réolution complète. Dieu, le seul Dieu, le vrai Dieu, le Dieu unique, maître tout-puissant et éternel, veut des fidèles qui l’adorent en esprit et en vérité — non pas sur le mont Garizim ou sur celui de Sion, mais dans l’intérieur de l’ànie.U veut un culte qui consiste, non dans quelques i)ratiques extérieures, prières, encens, ou tout ce que vous voudrez imaginer, mais un culte fondé sur l’amour, sur la charité, le désintéressement, et qui entraîne avec lui la réforme de l’individu.

Or ce cuite est au fond de toute liturgie chrétienne. C’est le culte du Dieu un et véritable par le Christ. Le culte de la Sainte Vierge ou des Saints ne le contredit pas, parce que, tout en les honorant, nous les honorons seulement dans la mesure où ils ont été les serviteurs de Dieu.

Il faut en dire autant des formules, des prières et des pratiques de la liturgie. Nous savons qu’elles n’ont de mérite qu’autant quelles viennent du cœur et qu’elles s’adressent au vrai Dieu.

Nous savons qu’un signe de croix ne serait qu’un vain simulacre dénué de tout mérite ou de toute efficacité, si, en même temps que la main le trace, il n’y avait pas dans le cœur un acte de foi au Père, au Fils et au Saint Esprit. Ainsi des autres rites. On pourrait les étudier l’un après l’autre, on trouvera toujours qu’ils sont le signe extérieur d’une chose intime et véritable, comme la parole parlée est le symbole extérieur d’une pensée de l’esprit.

On dénichera peut-être aussi quelques usages qui peuvent procéder des mêmes préoccupations que certains usages païens. Est-ce à dire que notre culte est païen ? Tout ici dépend du principe d’action, qui est diamétralement opposé ; l’analogie n’est qu’apparente. Mais disons-le hardiment : ce que j’appellerai l’àme de la liturgie, est monothéiste ; elle est chrétienne ; notre liturgie est originale, elle n’a ni père ni mère en dehors de l’Eglise et du Christ ; elle sort des entrailles mêmes du christianisme. S’il y a eu, et s’il y a encore chez nous quelques abus, que prouvent-ils ? sinon qu’au fond des âmes grossières de quelques paysans convertis, il y a toujours un penchant à la superstition et à l’idolâtrie, que rien ne saurait supprimer et que nous sommes les premiers à déplorer.

On voit donc à quoi se réduisent ces emprunts. On relève des analogies entre les rites païens et les rites chrétiens ; mais il ne faudrait pas conclure, comme on l’a fait trop souvent, de rapprochements plus ou moins ingénieux à un emprunt.

Il est à craindre que les nombreux mécomptes, survenus dans ces exercices, ne corrigent pas les savants ; on se rappelle qu’à un moment l’épitaphe d’Abercius a été considérée comme celle d’un prêtre païen de Cybèle ou de toute autre divinité ; Jacolliot retrouvait dans la religion des brahmines tout le christianisme et l’enseignement de Jésus. Aujourd’hui c’est l’Eucharistie que saint Paul aurait tout simplement empruntée à Corinthe aux mystères d’Eleusis ; cet autre cherche des analogies à l’Eucharistie dans la religion des Aztèques, dans celles des Bédouins, ou des dévots de Dionysos Sabazios, enfin dans Mithra (voir à la bibliographie).

On ne saurait trop rappeler qu’analogie ne suppose pas forcément un rapport de filiation. L’oubli d’un

principe si simple, en archéologie, a égaré pour longtemps les critiques ; il a fallu des efforts prolongés pour rappeler la vraie méthode’. Il en est de même en liturgie, et il faudra se défier sur ce point des études superficielles.

Mais enfin, en supposant que ces analogies, au lieu de n’être que de simples rencontres, fussent véritablement des emprunts faits aux cultes païens, faudrait-il en conclure que, i^ar cette porte, le paganisme est entré dans l’Eglise ? Je ne le crois pas. Un rite est un signe, un symbole. Comme la parole, il représente une idée ; mais, de même que la parole, il peut être employé à divers usages et en divers sens. J’ai essayé d’expliquer ailleurs (cf. les art. cités. Revue d’Apologétique, p. 223) comment l’élément liturgique employé dans le culte, comme l’huile, l’eau, les cendres, l’imposition des mains, etc., sont des symboles usités presque dans toutes les religions avec une signification déterminée. On devrait en conclure que tout élément est indifférent en soi, et peut être employé à diverses fins. Pour en avoir le sens complet, il faut donc l’étudier dans sa synthèse, c’est-à-dire avec ses formules, et le sens précis que l’Eglise leur donne. Si, par exemple, l’eau a été employée par les païens pour leurs lustrations et purifications, ce n’est pas à dire que l’idée du baptême leur a été empruntée par les chrétiens, le contraii-e est du reste démontré par l’histoire. Le baptême a sa signification bien déterminée par un ensemble de rites et de paroles ; une vague ressemblance ne saurait suflire poiu* nous faire conclure à un emprunt. En discutant cette thèse, dans un article du reste bienveillant sur nos Origines liturgiques, un critique protestant de la Theologische Literaturzeitung, 1908, n. 4> col. 115, P. Dre ws, nous oppose, comme absolument concluant, un exemple tiré des rites du baptême en Egypte et en Espagne. Le néophyte devait fouler pieds nus une peau de bête. Cet usage rappellerait la crojance païenne que les démons se revêtent de peauxde bêtes. (Cf. RouDE, Psyché’^ II, p. ^5.) Que penser de cet exemple ? Nous n’irons pas, avec certains théologiens, chercher l’origine de cette coutume jusque dans la peau qui couvrait les épaules de Jean le Baptiste. Tout d’abord nous avons formellement reconnu que certains abus ou usages superstitieux ont pu se glisser dans le culte de telle ou telle église. On en trouvera des exemples recueillis patiemment dans deux ouvrages d’érudits catholiques, L’Histoire critique des pratiques superstitieuses, du P. Le Brux, de l’Oratoire, 4 vol., Paris, 1850, et le Traité des superstitions, de l’Abbé Thiers, 4 vol., 4° éd.. Avignon, 1777. Quand nous rencontrons des abus de ce genre, nous sommes les premiers à le déplorer et à les réprouver. L’Eglise, dans les canons de ses conciles dont on pourrait faire à ce seul point de vue une collection bien instructive, a cent fois condamné des pratiq^ies superstitieuses ou idolâtriques. Mais de quelques exceiitions on ne saurait faire la règle, ni rendre l’Eglise responsable de ces abus. Nous ne serions pas trop sévère pour le cas qui nous est cité. Une église particulière a pu accepter comme courante cette opinion des païens que les démons se revêtent de peaux de bêtes. Pour montrer sous un symbole plus frappant qu’il renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres, et méprise désormais ses attaques, il piétine cette peau, qui est le symbole dont il se couvre. Ailleurs on avait le rite de la sputation, et le néophyte crachait pour

I.Lacombe, L’histoire envisagée comme science, p. 238 ; Brutails, L’archéologie du moyen âge et ses mcthodes. Pans 1900, p. 32, 37 sq. Mêmes mécomptes dans les comparaisons que Ton pourrait faire entre la religion juive et la’liturgie chrétienne. (Voir nos Origines liturgiques, p. 194.)