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AGNOSTICISME

ro

sance scientifique (voir supra, col. 89) ; la foi a une certitude autre que la science (voir art. Foi). Mais M. Le Roy ayant sur la valeur de la science et sur les résultats de la critique des sciences des opinions particulières, il faut absolument nier que la connaissance morale et religieuse se réduise au nominalisme, dé^niisé sous le nom de pragmatisme, auquel il ramène les sciences positives. D’aillevu-s, depuis que ^^'ILLIAM J.A.MES ct ScHiLLER Ont publié, Tun le Praginatism, VaxiireV Hunianism, la «. vérité au sens pragmatique)' a, de tous côtés, fort mauvaise presse. On demande a^ec insistance, sans obtenir de réponse, comment on distinguera les « bonnes » pratiques et recettes des autres : et nous voilà au rouet. La réponse n’est pas neuve ; mais le système ne l’est pas davantage ; les sceptiques l’ont depuis longtemps proposé. Voici ce que j’en lis dans un luthérien du xviii" siècle :

« In theoreticis diiin oinni orationi orationem similem

adversari contendunt, tollunt prohabiliiatem, cui rationem -itæ et régulas prudentiæ inniti dictitant, h. e. sua ipsius propugnacula es’ertunt, et distinctionem inter actionf.m vitæ et veritatis coxtemplatioxem destruunt, qua sola se ab insaniæ suspicione défendant. >' Reimanxus, Historia univ. Atheismi, Hildesiae, i~jih, p. 4- Cette réponse suffit ici, voir art. Pragmatisme. S M. Le Roy, cependant, nous demandera d’expliquer comment et pourquoi le phosphate de chaux joue maintenant en médecine le rôle de l’ancienne « eau de corne de cerf » ; pourquoi les mêmes remèdes appliqués au même mal produisent les mêmes résultats, en France et en Angleterre, quoique les médecins anglais refusent de reconnaître comme entité morbide ce que les médecins français dénomment sypliilis héréditaire. Nous croyons que l’explication est assez facile à donner. Bien que M. Bergson, à la suite de quelques anciens rêveurs. De Pot., q. 7, a. g, ad 6, les confonde comme un vulgaire phénoméniste, l’espèce humaine continue à distinguer l’ordre de la causalité et celui de la connaissance. Et M. Le Roy a beau entier la voix, pour nous suggérer l’immanence de tout dans tout, notre expérience quotidienne l’emporte sur tout ce bruit de paroles. 4" Mais les géométries non-euclidiennes, l’application de l’algèbre à la géométrie, les propriétés des nombres finis non valables pour les nombres infinis, la solution des problèmes d’optique ou d'électricité etc., dans des hypothèses contradictoires, etc ? M. Le Roy a sur tous ces points ses solutions, qui sont du goût de M. Bergson, et M. Bergson nous renvoie aux travaux de M. Le Roy. Mais nous savons que beaucoup de savants traitent M. Bergson comme un simple

« amateur » en science, et que d’autres savants encore

cond)attcnt les solutions de M. Le Roy. La critique de l’idée du temps et du mouvement de Plotin fait le fond de la phiiosopliie des sciences de M. Bergson ; M. Le Roy suit les traces de Kant, dont le nominalisme repose tout entier sur la doctrine des formes de la sensibilité. Anima complet tempus, disait Aristote et répétèrent les scolasti([ues. Kant profita de l’observation ; sans s’expliquer clairement sur la subjectivité de l’espace et du temps — on discute encore sur sa pensée — il calqua sur la théorie qu’il avait donnée de ces formes, toute la doctrine des catégories. M. Le Roy commet à son tour un pareil saut de génère ad genus ; et c’est pourquoi sa critique des sciences déplaît à tant de spécialistes, ((iii d’ailleurs ne résolvent pas tous également bien les problèmes soulevés. Les anciens scolastiques ont étudié la question à propos de dilFérenls faits scientifiques qu’ils connaissaient. Ce n’est pas le lieu d’exposer leurs doctrines ; nuiis en voici le point central. Euclide, dans son cinquième livre, propose des modes de raisonner sur la quantité continue ou discrète, qui sont valables dans les scien ces, et qui pourtant sont contraires à l’une des règles du syllogisme : ab opposito antecedentis non valet ad oppositum consequentis. L’antinomie était trop apparente pour échapper aux i-éflexions des scolastiques. Voici leur solution — et, à mon avis, elle résout la question de la critique des sciences : les modes de raisonner euclidiens valent seulement pour la qiiantité continue ou discrète, à ne considérer précisément dans le continu que la propriété de la mensurabilité — propriété qui implique un travail spécial de l’esprit et la dvirée ; on ne peut donc pas s’en servir dans les raisonnements métaphysiques, où l’on ne s’occupe pas de la mensurabilité, mais de l’essence des phoses ; et de là vient que les raisonnements géométriques ne nous apprennent rien de la nature intime de la quantité, qu’il faut étudier i>ar d’autres procédés. Comme, d’ailleurs, le continu n’est pas de soi qualitatif, on peut le considérer sans la qualité ; et, si l’on prouvait l’identité de la qualité et de la quantité, il resterait encore que le luathématicien pourrait continuer à s’occuper du continu en négligeant la qualité. Cf. Ptolemæus, Philosophia mentis, Romae, 1 702, p. 258 ; Argentinas, In prolog. Sent., sub finem quæst. i. Et voilà pourquoi les Polytechniciens ([ui entrent au séminaire n’ont pas à y oublier ce qu’ils ont appris à l’Ecole, comme le sait M. Le Roy.

B. Il ne nous reste i^lus qu'à dire un mot sur un point très grave que nous avons réservé jusqu’ici, à savoir la doctrine des modernistes sur le mystère de la Sainte Trinité.

Nous avons dit que MM. Le Roy et TvRRELLnient toute valeur ontologique aux formules trinitaircs. M. Tyrrell dit explicitement : « Un Dieu en trois personnes — Père, Fils, Esprit — est une formule qui serait contradictoire, si elle avait une valeur métaphysique et non purement prophétique ct symbolique ; cette formule a une valeur d’imagination, de dévotion et pratique ; elle indique d’une manière obscure une vérité qui ne peut se définir ct qui cependant exclut l’Unitarianisme, l’Arianisme, le Trithéisme, le Sabellianisme et toute autre semblable impertinence de curiosité métaphysique » {Snlla. p. 343).

M. Tyrrell et M. Le Roy (Dogme, p. 268) ont fait cette grande découverte que les innombrables hérésies sur Dieu que l’Eglise a condamnées, ont toutes consisté à porter des jugements erronés sur la nature intrinsèque de Dieu. Ils en concluent que le vrai moyen d'éviter toutes les hérésies est de s’abstenir de tout jugement de ce genre, et de nous en tenir à des jugements sjiuboliques, les énoncés prophétiques n'énonçant directement que la réaction mentale personnelle du prophète sous l'ébranlement de l’expérience religieuse (Scylla, p. 289) ; ou, suivant M. Le Roy, les formules « traduisant la réalité par ce que nous devons être à son égard, et désignant dilïércnts groupes d’attitudes et de dénuirehes » (Dogme, p. 154). La question est de savoir si le procédé par lequel M. Tjrrell exclut l’Unitarianisme etc. n’exclut pas aussi, parmi les autres impertinences de curiosité métaphysique, la foi chrétienne, celle des apôtres et celle de Nicée, èxrvjj cvtiz ; To’j -nv-rpo' ;. Voir supra, col. 2g.

L'équivoque entre M. Tyrrell et les théologiens a duré longtemps, et voici pourquoi. En psychologie scolastique. pas d’actes intellectuels sans le concours de l’imagination : d’autre part, dit très bien Vasquez : Aon possuiuus audita voce Deus, ut ipsam rem intelligamus, non apprehendere aliquid aliud, cujus instar Deus ipse a nobis cognoscatur : quod nullus Scholasticorum negare potest (in I, disj). 58, n. 6). Connaissant cette doctrine, M. Tyrrell calculait ses phrases (signées) de façon à l’y impliquer toujours.