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AGNOSTICISME

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pense nécessairement Dieu comme juste et bon ; Spencer concède que fatalement on le pense, avtc

« quekpie forme de pensée)^. La question précise de

l’ag-nosticisme n’est pas de savoir d’où viennent à ces philosophes ces idées siu- Dieu. Est-ce de la Bible avec le Rabbin et le pasteur anglican Mansel, de la conscience morale avec Kant, des associations héréditaires actuellement prévalentes avec Spencer, de l’expérience religieuse avec Ritschl et Sabatier ? tout cela, ce sont de graves problèmes, mais ce n’est pas le problème de l’agnosticisme. Celui-ci consiste en ceci : Quand il s’agit de passer de ces idées, d’où qu’elles viennent, à une affirmation objective sur la réalité divine en soi, que fait-on ? Les agnostiques dogmaticpies, par esprit de système — le nominalisnie est le trait d’union de tous ces systèmes — s’abstiennent de toute affirmation ; en dehors du fait brut de l’existence de quelque chose de divin, leiu* formule commune est tout se passe comme si. il faut que nous pensions que : telles attitudes sont commandées etc. Or les modernistes, au moment décisif, n’agissent pas autrement et ne disent rien de plus. Ils reprochent d’ailleurs amèrement aux théologiens

« leur intellectualisme », c’est-à-dire leurs alTirmations

catégoriques et déiinies sur la nature intrinsèque de Dieu, Summa. L q-’3, art. 12. MM. Le Roy et Tyrrell ont en horreur toute théologie, tout raisonnement sur Dieu ; et leur effort a consisté à nous faire une religion que puisse accepter un kantiste, un spencérien, un moniste, un phénoméniste, un protestant ou un juif libéral ; c’est dans ce but apologétique ( ?) que l’un a voulu libérer l’esprit catholique de toute philosophie spécifiquement chrétienne, et l’autre, de toute théologie. Or, la doctrine révélée sur Dieu est une métaphysique et le dogme implique une philosophie ; et par suite certaines philosophies sont inconciliables avec le christianisme, celles par exemple, qui nient la possibilité ou la légitimité de la métaphysique. .

3° Mais nous sommes chrétiens et nous avons la foi ; nous ne sommes donc pas agnostiques. — Réponse. Nous n’avons pas à discuter la foi personnelle et subjective des modernistes ; cette question n’est pas de notre compétence, mais bien de celle des juges ecclésiastiques. Dans tout ce travail, nous ne nous sommes occupés que des doctrines ; et nous continuerons dans cet esprit jusqu’à la dernière ligne. Sous cette réserve, il faut pourtant discuter la position des modernistes telle que leurs écrits la manifestent, fl) Pour dépasser Kant et Spencer, ils se donnent l’expérience religieuse. L’Eglise leur dit que l’expérience religieuse, telle qu’ils l’entendent avec beaucoup de protestants piétistes et autres, est hérétique. Mais, pour aller au bout de la discussion, passons. Arrivent-ils, oui ou non, à des jugements déterminés sur Dieu en soi ? Vos symboles intellectuels vous permettent-ils d’affirmer, par exemple, la personnalité divine, au sens objectif, absolu, sans équivoque ? Si oui, je vous réponds, comme S. Thomas à Maïmonide : « Sur le point précis de la cognoscibilité de Dieu, vous dites au fond la même chose que nous, puisque vous reconnaissez que non seulement nous pouvons le désigner par dénominations extrinsèques, par de purs symboles, mais encore que, par les formules religieuses, nous le pensons au sens absolu, secundum quod in se est. L’Encyclique Pascendi § Equidem nobis, vous fait la même réponse : Hoc quærimus, an hujusmodi inimanentia Deum ah homine distingua necne ? Si distinguit. quid tum a catholica doctrina differt, aut doctrinam de externa revelatione car rejicit ? Mais, dans cette hypothèse, il vous faut avouer que le point de départ philosophique de tout votre système est faux ; que la philosophie

kantienne et spencérienne, en tant qu’elle prononce que notre esprit est totalement incapable de porter un jugement objectivement valal)le sur la nature intime des choses et de Dieu, est ruinée et ruineuse. Cela concédé, si vous accordez ^ raiment que Dieu est en soi personnel, les théologiens pourront discuter avec vous sur le mode de cette i^ersonnalité ; jusqu’à ce que vous vous soyez fait une opinion sur le sujet, ils vous permettront aussi de dire : « Dieu est personnel, d’une manière ou d’une autre », restant bien entendu que la seconde partie de la phrase ne détruit en rien le sens plein et objectif de la première. C’est ainsi qu’on procède en théologie, quand après avoir prouvé la personnalité divine, on se demande : utrum sit univocum, utrum analogum, qua analogia etc.

b) Mais, hélas ! les modernistes refusent de porter un jugement déterminé sur la nature intrinsèque de Dieu. Le sens des formules i-eligieuses, considérées comme exclusivement régulatives et pragmatiques, revient donc à ceci : " Dieu est bon » signifie « tout se passe comme si, je dois faire comme si », mais de la réalité en soi, je ne sais rien, hormis le fait brut de l’existence de quelque chose. Oui, ils se tiennent assurés que tout se passe comme si ; ils disent même qu’ils ont la foi, parce que cette assurance que « tout se passe comme si, qu’il faut penser et faire comme si », leur est donnée par Dieu dans l’expérience religieuse. Or, dans l’Ecriture, Dieu ne dit pas : « Croyez que tout se passe comme si j’étais juste et bon, et vous ne vous tromperez pas. » Cette phrase n’est pas fausse, puisque de fait tout se passe bien comme il ferait dans l’hypothèse d’un Dieu en soi juste et bon ; et c’est la raison pour laquelle on concède aux agnostiques croyants ou dogmatiques, que cette formule désigne le vrai Dieu, non en lui-même, mais par dénomination extrinsèque, par périphrase. Mais — et tout est là, quand il s’agit de la foi — Dieu dit catégoriquement : « Crojez que je suis sage et bon » ; croyez-le tel quel, au sens plein, sans hypothèse, absolument ; croyez-le ainsi précisément parce que c’est moi qui vous l’ai dit, et vous ne vous tromperez pas. Voilà l’objet de la foi sur Dieu. Tant que les modernistes n’en viendront pas là, il nous faudra tristement les ranger au rang des disciples du Rabbin Maïmonide, qui lui aussi admettait le sens régulatif et pragmatique des formules. D’ailleurs, l’exégèse des modernistes ressemble étrangement à celle du rabbin rationaliste, dont Pic de la Mirandole a écrit : isti qui scilicet secundum p/iilusopkiam exponere ceperunt Bihliam. ceperunt a modico tempore. Primas enini fuit rabi Morses de Egypto, quo adintc vivente floruit Averruès cordubensis ; Apolugia tredecim quoestionum, Venetiis, iSig, quat. g. A rapprocher de la lettre de Grégoire IX, Denz., ^^3 (3^9), citée par l’Encyclique Pascendi ; Denz., 2026.

4" Un quatrième moyen d’écarter le reproche d’agnosticisme est celui qu’emploie M. Le Roy et auquel il est fait allusion dans le Programme des Modernistes italiens. En voici l’idée : 1" M. Le Roy n’est pas agnostique, puisqu’il est idéaliste, et que, dans l’idéalisme, l’agnosticisme n’a pas de sens : l’inconnaissable y est une pseudo-idée ; voir supra, col. 3. — Réponse. Ex absurdosequitur quodlibet. 2*^1)011ner à notre connaissance religieuse exactement la même valeui* qu’à notre connaissance scientifique, c’est lui donner le maximum de valeur : or, c’est ce que fait M. Le Roy ; donc, c’est l’Eglise qui est agnostique et non pas lui. — Réponse. Quand même M. Le Roy aurait les idées de tout le monde sur la valeur de la connaissance scientifique, nous ne lui concéderions pas son antécédent ; la connaissance religieuse, même naturelle, est d’un autre ordre que la connais-