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CRITIQUE BIBLIQUE

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laissent au Christ une taille humaine ? C’est précisément le critère employé par P. W. Schmiedel, Encyclop. bibl. (Cheyne), col. 1881, quand il croit déterminer les neuf passages des Evangiles, appelés par lui les piliers fondamentaux de l’histoire vraie de Jésus, et qui doivent servir à juger du caractère historique de tout le reste. Sans doute, on a le droit d’exiger un surcroit de garanties pour le récit d’un miracle, précisément pai-ce qu’il relate un fait extraordinaire ; mais encore ne faut-il pas déclarer d’avance et en bloc que ces garanties n’existent pas et ne sauraient exister, j^arce que « les gens crédules seuls croient avoir vu des miracles », qu’en réalité « on n’en a jamais vu ». Rexan, Vie de Jésus, 1. c, p. vi. Et un peu plus loin, le même auteur écrit : « Jusqu’à nou-A’el ordre, nous maintiendrons donc ce principe de critique historique, qu’un récit surnaturel ne peut être admis comme tel, qu’il implique toujours crédulité ou impostiu’e, que le devoir de l’historien est de l’interpréter et de rechercher quelle part de vérité, quelle part d’erreur il peut receler » (p. xcviii).

S’il est deux miracles sur lesquels les critiques d’auiourd’hui reviennent à satiété, — M. Loisv plus que tout autre, — mais sans avoir encore réussi à s’en débarrasser correctement, c’est la conception virginale du Christ et sa résurrection. Or, quand on a lu les explications qu’ils proposent pour rendre compte des textes, sans admettre la réalité même des faits, on reste convaincu que la position prise de nos jours par la critique indépendante à ce sujet ne se fonde pas tant sur des motifs d’ordre historique que sur les prétendues exigences de la science moderne, à savoir de la philosophie et de la physiologie. C’est ce dont convient M. Guigxebert. « L’idée de la résurrection réelle d’un corps réellement mort n’a pu être adoptée que dans un temps et par des hommes à qui manquaient les notions physiologiques acquises depuis ; ce n’est pas douteux ; mais encore faut-il savoir comment ils ont justiiié leur conviction. » Manuel d’hist. anc. du christianisme, 1906, I, p. 187. Voir encore Lake, Résurrection of Christ, igc^, p. 2"5. En ce qui concerne la conception virginale, voici comment un vétéran de l’exégèse protestante apprécie les difficultés mises en avant par les théologiens modernistes.

« En réalité, ce n’est pas pour des raisons

demandées à la biologie qu’ils font objection à ce point de la foi chrétienne, mais parce qu’ils ne veulent pas admettre le surnaturel, ni une intervention divine quelconque dans le monde. » C. A. Bhiggs, TIte Virgin liirtli ofour Lord, 1909, p. 33.

r) Ce n’est pas à dire que tous les travaux des critiques incroyants dépendent, surtout en leur entier, du préjugé rationaliste ; il suffit de les avoir lus pour se convaincre du contraire. Même quand ils en relèvent, il ne s’ensuit pas que leurs conclusions soient invariablement fausses ; tout bon logicien sait que la vérité sort accidentellement de l’erreur. Il peut se faire, et il est arrivé en effet, que la prévention défavorable au miracle ait présidé à des études qui, en lin de compte, ont abouti à des conclusions acceptables. Mais il n’en reste yias moins certain que si, en matière de critique hislori(iue (et par contre-coiq), bien que dans une mesure plus restreinte, sur le terrain tle la critique littéraire et de la critique textuelle), les savants n’arrivent pas à s’entendre, c’est, plus souvent qu’on ne pense, à cause de l’altitude respective prise par eux dans la question spéculative du surnaturel. La distance qui les sépare date d’avant hiirs travaux spéciaux sur le texte biblique. C’est ce ([ue M. Loisy reconnaissait en 189/1, quand il écrivait :

« La science rationaliste traine partout avec

elle l’erreur de son parti pris, la négation étroite du surnaturel. Cependant si elle a un défaut radical, qui

la perdra, à moins qu’elle ne s’en corrige, elle a une cjualité indiscutable, c’est qu’elle travaille et qu’elle suit une méthode meilleure que ses principes philosophiques. » Les études bihiiques, p. ^9.

C’est là un fait dont l’apologiste doit tenir compte, s’il ne Aeut pas perdre contiance dans la méthode elle-même, comme si elle était responsable de ces conflits ; s’il ne veut pas aussi se faire illusion sur l’étendue des résultats que l’apologétique générale peut attendre de la science particulière qui s’appelle

« critique biblique ». Ce n’est pas sur ce terrain tout

positif que se résoudra, du moins pleinement, le problème fondamental débattu entre croyants et incroyants. Re.xax le déclare en des termes qui ont paru excessifs, mais dont la clarté a du moins le mérite de dissiper toute équivoque. Je le cite : « Quant aux réfutations de mon livre (il s’agit de la Vie de Jésus), qui ont été faites par des théologiens orthodoxes, soit catholiques, soit protestants, croyant au surnatm’el et au caractère sacré des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, elles impliquent toutes un malentendu fondamental… Et qu’on ne dise pas qu’une telle manière de poser la question implique une pétition de principe, que nous supposons a priori ce qui est à prouver en détail, savoir que les miracles racontés par l’Evangile n’ont pas eu de réalité, que les Evangiles ne sont pas des livres écrits avec la participation de la Divinité. Ces deux négations-là ne sont pas, chez nous, le résultat de l’exégèse ; elles sont antérieures à l’exégèse… Il est donc impossible que l’orthodoxe et le rationaliste qui nie le surnaturel puissent se prêter un grand secours en de pareilles questions… » Vie de Jésus, 1. c, p. v-vi. Voir aussi Xoeldeke. Hist. litt. de l’A. T., trad. franc., p.’^ et 20. — A. S.^batier a bien senti Timpuissance où se trouve l’exégète ou même l’historien, tant qu’ils se tiennent rigoureusement sur leur terrain, de porter la conviction dans certains esprits. Après avoir établi que Paul n’est ni un halluciné, ni un visionnaire, au sens défavorable du mot, mais qu’il a réellement yu le Christ ressuscité, il ajoute :

« Celui qui accei^te la résurrection du Sauveur serait

mal venu à mettre en doute son apparition à son apôtre ; mais celui qui, avant tout examen, est absolument sur que Dieu n’est pas, ou que, s’il est, il n’intervient jamais dans l’histoire, celui-là écartera sans doute les deux faits et se réfugiera dans l’hypothèse de la vision, fùt-elle encore plus invraisemblable. Le problème se trouve alors transporté de l’ordre historique dans l’ordre métaphysique. » L’Apôtre Paul, 3’édit., 1896, p. Di-52.

3. Le parti pris dogmatique. — a) A son totir, le critique incroyant dénonce l’ingérence du parti pris dogmatique dans les études bibliques entreprises par les catholiques et les protestants conservateurs. Nous venons d’entendre Renan et Xoeldeke mettre hors la science quiconque croit au surnaturel. C’est un fait que, sur le terrain des éludes qui par quelque côté touchent aux intérêts religieux, la foi de l’écrivain reste, aux yeux des critiques rationalistes, comme une tare congénitale, qui suffit à déprécier la valeur de son œuvre ; même si elle est de celles qui, par ailleurs, forcent l’attention et commandent l’estime.

Les écrivains qui rédigent la Revue critique ou encore la Theologtsche Literaturzeitungsacnireconnaître, à l’occasion, l’érudition, la méthode, la probité scientifique, voire même l’exactitude de certaines conclusions, qui se rencontrent dans des ouvrages sortis de plumes catholiques ; mais s’agil-il de conclure, avec les auteurs dont ils s’occupent, à quelque influence surnaturelle dans l’histoire, ils s’y refusent, sous prétexte que le croyant, le théologien, l’apolo-