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CRITIQUE BIBLIQUE

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son document, il les rapporte sépai’ément ou encore les combine dans un seul et même récit. C’est la théorie dite des doublets. — Presque tous les critiques indépendants, auxquels se sont ralliés quelques catlioliques, estiment que ce i^rocédé rédactionnel court d’un bovit à l’autre du Pentateuque. C’est dans ce sens qu’un professeur catholique allemand, Alfons ScHULz, Doppelberichte im Pentateucli (dans la collect.

« Bihlische Studien », XIII^, 1908), a essayé

d’établir qu’une vingtaine de narrations j^lus ou moins longues ont été composées de la sorte. En ce qui concerne le N. T., un petit nombre de catholiques ont pareillement fait bon accueil à la théorie des doublets. Mgr Batiffol, Six leçons sur les Eyeaigiles, 1897, II. 67, s’en fait le rapporteur bienveillant ; tandis que M. Girodox, Comment, crit. et moral sur Vév. selon S. Luc, igo3, p. 66, en parle comme d’une chose qui va de soi. « A priori, écrit-il, on i^eut dire qu’ils étaient inévitables, étant donné le mode de composition des Evangiles. » Dans la Bev. hibl., 1898, p. 541, le P. PiiAT s’est élcA’é contre ce laissez-passer donné à la théorie des doublets à propos des Evangiles ; il ne le fait pas au nom de l’inspiration, mais de la critique. Cependant, il admettrait volontiers un IJrocédé littéraire, i^résentant quelque analogie avec les doublets ; qui en a les avantages, sans les inconvénients.

« Quelques doublets, écrit-il, surtout dans

S. Matthieu, autorisent une autre hj’pothèse. L’écri-A ^ain sacré aurait rapporté une parole de Jésus-Christ à sa place chronologique, ensuite il l’aurait répétée à un autre endroit, dans un cadre artiQciel, pour éclairer et compléter un corps de doctrines » (p. 553).

Il est incontestable que la théorie des doublets soulève une difficulté spéciale contre l’inerrance biblique. Si l’évangéliste croyait à la diversité des faits et des discours, que l’on dit ne faire qu’un, ne s’est-il pas trompé ? Si l’auteur du Pentateuque a additionné dans son récit toutes les circonstances de ses deux documents, même celles qui s’excluent mutuellement ; n’a-t-il pas fait erreur ? Voilà la question. D’autre part, nous sommes ici siu" un terrain encore mal exploré, surtout du point de vue doctrinal ; et il est regrettable que M. Mangenot n’ait pas, dans son livre sur V Authenticité du Pentateuque, 1907, donné une réponse à la difficulté formulée à la p. 42, sous le titre « Doubles récits ». Faut-il se hâter de barrer le chemin à la théorie littéraire des doublets, au nom de l’inerrance biblique ? C’est une méthode expéditive, mais qui n’est pas toujours à l’abri des dangers de la précipitation. Il y a quelques années à peine, des auteiu’s bien intentionnés, mus par des considérations analogues, se refusaient à admettre que Moïse eût eu recours à des documents écrits pour rédiger le Pentateuque, à l’exception peut-être de la Genèse et des premiers chapitres de l’Exode. Or, la Commission biblique vient d’autoriser l’hypothèse des sources, orales ou écrites, sans aucune réserve. Décret du 27 juin 1906, duh. 3 ; Denz. ^o, 1999.

Sauf meilleur avis, mieux vaut commencer par l’examen des faits qui nous sont signalés. Dans quelle mesure sont-il fondés en texte ? Il est clair, jiar exenqile, que les raisons de M. IIaunack, Die Apostelgeschichte, 1908, p. 142-146, ne suffisent pas, tant s’en faut, à établir cjue Act., iv, 31 n’est qu’un doublet du récit de la descente du Saint-Esi^rit, qui se lit déjà au ch. 11. Supposons que, par cette enquête consciencieuse (.srt/17"sse « sH ac judicio Ecclesiae), l’on vienne à fournir la preuve qu’il y a réellement dans la Bible des doublets, ne fût-ce qu’un seul ; alors, il ne restera plus à l’apologiste qu’à faire voir comment cet état des textes est compatible avec l’inspiration et l’inerrance. Le cas échéant, il n’est pas difficile de 1 l)révoir dans quelle direction on am-a à chercher.’Pour connaître l’attitude de l’hagiographe vis-à-vis de ses sources, et jusqu’où s’est étendue l’autorité de son témoignage certain, il conviendra de le demander aux habitudes littéraires de son milieu. Cf. Ign. GviDi, Prccédés de rédaction de Ihist. sémite, dans la Re’ue biblique, 1906, p. 509. Il est à remarquer que le P. CoRNELY, Introd. specialis in V. T.libros, 1887, II, I, p. 264, ne s’oppose pas, en principe, à l’hj^pothèse des doublets ; il demande seulement qu’on en prouve l’existence et qu’on mette ce fait littéraire d’accord avec la doctrine catholique de l’inspiration.

lY. — La critique biblique et l’apologétique

1. Tradition et critique. — a) L’apologétique biblique se i^ropose de justilîer les positions traditionnelles du croyant au regard des Livres Saints. De son côté, la critique entend soumettre ces mêmes textes au contrôle des méthodes rationnelles, d’après lesquelles on étudie les autres littératures. A n’envisager les choses que d’un point de vue spéculatif, ces deux prétentions, loin de se contrarier, doivent se prêter un mutuel appui : l’œuvre de l’apologétique n’étant possible que moyennant celle de la critique ; et celle-ci ne s’opposant pas à ce que l’on fasse tourner ses résultats à la défense du caractère surnaturel de l’Ecriture. Tradition et critique apparaissent dès lors comme deux voies différentes pour joindre un même but, se garantissant l’une l’autre par l’identité même de leurs conclusions.

Pour exprimer cet accord normal de la Révélation avec la Science, on pourrait se servir d’une formule de Tertullien. « L’Ecriture Aient de Dieu, la nature Aient de Dieu, les institutions humaines Aiennent de Dieu ; tout ce qui est contraire à ces trois choses ne Aient pas de Dieu. Quand l’Ecriture rend un son incertain, la nature parle clair, et, grâce à son témoignage, l’Ecriture cesse d’être équivoque ; si l’on vient à douter des Aœux de la nature, les institutions humaines font assez A’oir ce que Dieu agrée davantage. » De yirg. vel., 16 ; P. L., II, gio.

En réalité, il s’en faut que les choses aillent si aisément. Parce que ses préoccupations sont avant tout d’ordre pratique, l’apologiste a hâte d’aboutir pour tenir tête aux difficultés courantes. Or, il peut se faire qu’une solution reccvable aujourd’hui soit néanmoins sans Aaleur permanente ; surtout sur le terrain des controverses bibliques, qui touchent à tant de choses et dont le sort se trouA’e forcément lié aux décou-Aertes que l’onfaitchaque jourdans l’antique Orient. En outre, l’apologiste qvii prend la plume pour défendre les positions traditionnelles est exposé à faire de la Tradition un bloc indiA’isible, comme s’il n’y aA’ait pas lieu de distinguer ici entre les éléments de bon aloi et ceux qui le sont moins ou même point du tout. S’il n’y prend garde, la Aiolence et l’imprévu de l’attaque l’amènent à défendre, au même titre, le certain et l’incertain, l’incontestable et l’indéfendable. Dans ces conditions, il est jn-esque inevitable que l’apologétique d’aujourd’hui ne prépare pas des embarras jiour l’apologétique de demain ; et l’on sait s’il en coûte d’avoir à rectifier son tir, à changer ses positions. — D’autre part, la critique avcc laquelle l’apologiste doit compter n’est pas l’art abstrait et impersonnel de distinguer le vrai du faux, mais la critique se faisant concrète et tangible dans les écrits des saA-ants, qui ont la prétention de la représenter, pai’ce qu’ils se réclament de ses méthodes etformulent, en son nom, des conclusions. Cette critique ne relèAe pas seulement de la méthode, elle tient encore des préjugés, des ignorances et des passions de ceux qui la pratiquent ; avec eux, elle devient souvcnt incroyante, et parfois agressivc. '