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AGNOSTICISME

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au-dessus de tout. Le superlatif al)solu s’exprime aussi en fonction de Tétat subjectif que l’objet fait naître : « c’est adorable, charmant, épatant « i. Quand on A’eut renchérir, on recourt encore à la néiyation. Tout le monde a entendu les visiteurs de nos expositions universelles manifester leiu" admiration par ces mots : k On ne s’y ennuie pas ! En huit jours, je n’ai rien vul » Qu’en dites-vous ? demandais-je à un grand collectionneur d’anunonites etc. que j’avais conduit au Louvre : h Je n’ai rien fait, j’ai perdu ma vie ! » fut toute sa réponse. En face d’un grand malheur ou d’un bonheur inespéré : « Les bras nous tombent ; nous n’en pouvons rien dire », et nous trouvons que « c’est à n’y rien comprendre ». Toutes ces négations expriment des superlatifs absolus ; et tant que les enfants les prennent à la lettre, leurs bonnes jugent qu’ils n’ont pas atteint le plein usage de la raison et ne savent pas ce que parler veut dire. Si l’on analyse philosophiquement ces formules négatives, on y trouve : i" la connaissance quelquefois très nette d’un objet (vin dalicante, collections exposées etc.) dont cependant la nature n’est pas toujours exprimée parle langage, mais se comprend par le fil du discours ou par les circonstances ; 2" l’aflirniation de l’excellence de cet objet sur tous les objets de même genre, ou absolument, au moyen d’un symbole d’action. 3° Ce syndjole suppose une connaissance déterminée de l’objet, mais il ne l’exprime pas directement (les bras nous tombent devant des objets tout à fait disparates etc.) ; ce n’est qu’une dénomination extrinsèque pour signifier un superlatif absolu. Dans la littérature chrétienne et surtout mystique, pour exprimer l’éminence des perfections divines, rien n’est plus fréquent que l’emploi de formules négatives, semblables à celles du discours familier et de la poésie. L’Ecriture nous en donne l’exemple : Glorificantes Dominum quantumcumqite potueritis, supervalehit eiiim adhiic… Major est eniin omni laitde. Le concile du Vatican termine la superbe énuméi-ation des attributs de Dieu par ces mots : et super omnia, que præter ipsum sunt el concipi possunt, ineffaljiliter excelsus, Denz., 1782 (i 63 1). M. Le Roy cite ces paroles, en soulignant concipi et ineffabiliter, et il en conclut qu’il est k impossible d’avoir de Dieu une connaissance propre » (Dogme, p. 141)> que le concile enseigne avec lui, au sens exclusif, que les dogmes

« représentent en symboles d’action des vérités

de l’ordre pratique », p. 33 ;  ; et que’< notre foi dépasse nos idées », p. 338. Le sens du concile est tout différent. 1° Le concile énumère quelques attributs de Dieu dont nous avons une connaissance propre, et pour cela il emploie les deux procédés de négation déjà étudiés (attributs négatifs, attributs absolus avec négations complétives) ; et pour que rien ne manque, il a recours à la voie d’éminence, d’abord par superlatif énoncé directement : in se et ex se beatissimus, enfin par voie de négation : ineffabiliter excelsus. Tout cela a été calculé, voulu, connue on le voit dans les actes du concile, Coll. Lac, Acta Vatic, col. 102 sqq. Cf. sur l’incompréhensibilité, attribut fl/ ; so/H, Fraxzelix, De Deo uno, th. 17 et 18. 2° Le concile ne réduit pas ce que nous savons de Dieu à des symboles d’action, représentant des vérités d’ordre pratique. Le concile se sert de synd)()les d’action : « Dieu est au-dessus de tout ce que nous pou’ons concevoir et supérieur à toutes les créatures plus que nous ne pouwns le dire », pour exprimer l’éminence absolue de la natiu-e divine, parce que nous savons a) que Dieu est en soi « l’infini noétique » ; b) et qu’il est absolument distinct et indépendant du monde ; or dire qu’il est ineffable et au-dessus de tout ce que nous pouvons concevoir, c’est exprimer d’un seul coup ces vérités

de l’ordre objectif ; et la meilleure manière de le faire est de les exprimer en fonction de l’incapacité où nous sommes et serons toujours, même au ciel, de penser Dieu comme il se connaît lui-même. Ainsi, le dogme de rincompréhensibilité, loin de nous enseigner

« une attitude à prendre », nous apprend au

contraire que vouloir pénétrer Dieu comme il se connaît lui-même, c’est un geste ridicule, une prétention chimérique. Par là, tout danger de panthéisme est écarté — c’était un des buts que se proposèrent les Pères du concile ; et si M. Le Roj- l’eût compris, il n’eût point hasardé le mot malheureux de « panthéisme orthodoxe ». Cf. Denzinger, 432 (358), Estote etc. 3° Loin de concéder qvie « notre foi dépasse nos idées », le concile dit précisément le contraire. Il nous indique en efïet, après l’Ecriture et la Tradition, quel est le procédé psychologique (superlatif absolu, exprimé par voie de négation) par oïi nous élèverons nos idées exactement à la hauteur de notre foi. Ce procédé est celui par lequel nous obtiendrons de Dieu en soi la représentation intellectuelle la plus parfaite qu’il nous soit donné d’atteindre ici-bas. Or, à n’en pas douter, notre foi ne va pas plus loin que cela : comment ferait-elle ? D’ailleurs, le concile ne dit pas que Dieu est au-dessus de nos idées, concipi possunt ; il dit, au sens objectif, que Dieu est au-dessus de toutes les choses que nous pouvons concevoir et qui ne sont pas lui. Et si l’on objecte : mais nos idées de Dieu sont du nombre de ces choses, et par conséquent le concile enseigne que Dieu est au-dessus de nos idées ; on répond : mais nous avons précisément l’idée qu’en ce sens Dieu est au-dessus de nos idées, qu’il le sera toujours, même durant la bienheureuse éternité, etcx^ie, quelque soit le progrès que nous fassions dans sa connaissance et dans son amour, la sagesse, la bonté divines, etc. seront toujours supérieures à ce que nous en pourrons penser et dire : supers alebit adhuc, major omni laude ; oculus non vidit… nec in cor koininis ascendit. L’idée très nette de l’éminence absolue de la nature divine et de ses perfections intrinsèques s’énonce par des symboles d’action, par des dénominations extrinsèques ; mais ces symboles ne font que recouvrir une aflirmation catégorique de l’esprit sur la nature divine en soi ; et cela est vrai, même de ce cjue l’on appelle la connaissance expérimentale de Dieu des mystiques, et aussi de la commune expérience des fidèles que Dieu invite à goûter sa douceur : gustate etvidete ; piæ des-otionis erudiamur affecta.

De tous les écrivains anciens, le pseudo-Denys est celui qui a le plus procédé par voie de négation. Mais il aboutit à l’éminence, et les négations qu’il multiplie ne sont pas des négations absolues, comme celles des néoplatoniciens : Nihil eorum quæ sunt… expUcat arcanum illud omneni rationem et intellectum saperons superdeitatis superessentialiter supra omnia superexistentis. M. Le Roy cite, d’après S. Thomas, un passage semblable et, comme toujours, il triomphe (p. 137, in I, q. 12, art. i). Que dirait-il du morceau suivant ? « Deus est non substantia, non s’ita, non lux, non sensus, non mens, non sapientia, non bonitas, non deitas, sed quiddam lus omnibus eminentius et præstantius. » (Mvsi. theol., 3.) Il s’agit là non plus « de la sagesse en général et telle que nous la concevons », mais bel et bien des attributs tels qu’ils sont en Dieu ; et c’est précisément parce qu’il s’agit des attributs tels qu’ils sont en Dieu, que la phrase est orthodoxe ; elle n’exprime qu’un superlatif absolu, et les derniers mots le disent clairement ; elle n’est donc, en aucun sens, agnostique. Il en va de même de cette phrase de S. Jean Damascène : Comenientius est ita de Deo prædicare aliquid ut ei omnia detrahantur, quippe nihil est eorum quæ sunt, non ut nihil