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CRITIQUE BIBLIQUE’72

fait, influé sur le mouvement d’études dont l’A. T. est l’objet depuis un siècle.

3. La critique du Nouveau Testament. — a)

Des Sociniensà Strauss.— L’humanisme du xv^ siècle avait été un mouvement antichrétien, le libre examen des protestants devait aboutir à la libre pensée, le développement scientifique des temps modernes (philosophie, histoire, sciences naturelles) soulevait contre la foi traditionnelle des difficultés nouvelles. C’est sous cette triple influence que la vérité du christianisme fut mise en question avi xviii’siècle, et, par contre-coup, l’autorité des livres qui en racontaient les origines. Déjà Wolf et son école, les Sociniens et les Arminiens aA’aient exalté l’humanité du Christ au détriment de sa divinité ; dans la tliéolog-ie de ces derniers, Jésus n’était plus, en définitive, qu’un homme, dans lequel Dieu s’était exceptionnellement révélé. Cependant, ils restaient respectueux de sa personne et de son œuvre. Les déistes anglais (To LAND, COLLINS, ^yOOLSTO^, TiNDAL, MoRGAX, CtC,

cf. Fr. ViGOUROux, Les Livres Saijits et la critique rationaliste, 1 884, 1, II), ainsi que les pseudophilosophes français devaient être moins modérés. Avec Voltaire et Bayle, l’attaque se fit haineuse, bien que sous le masque du sarcasme ; avec l’Allemand Reimarus (1694- 1768), elle fut violente. Des notes de ce dernier, publiées par Lessing, sous le titre de Wolfeiibiittel (1774-1778), représentaient les écrits du X. T. comme le résultat d’une fraude intéressée ; l’auteur s’en prenait surtout au récit que les évangélistes font de la résurrection. Jésus -Christ lui-même aurait été conduit par l’ambition de fonder un immense empire terrestre. Cet écrit fut le premier coup redoutable porté à la conception rigide que les protestants se faisaient de l’inspiration biblique ; Michælis (1750) l’avait déjà ébranlée, et Semler (1721-1791) devait achever de la discréditer. Celui-ci proposait, comme critère d’interprétation des Evangiles, l’hypothèse que le Christ et les Apôtres s’étaient accommodés aux idées de leur milieu. Est-ce pour cela que Semler est appelé par beaucoup le père de la critique du Nouveau Testament ? Pour faire écho à Semler, EicHiioRN n’avait qu’à appliquer ici les principes qu’il apportait à la critique de l’A. T.

Le catholique reçoit les Evangiles des mains de l’Eglise, d’après le mot de S. Augustin, Evangelio non crederem nisi me catholicæ Ecclesiæ commoveret auctoritas ; les protestants avaient remplacé ce magistère ecclésiastique par le témoignage immédiat et intérieur de l’Esprit-Saint ; aujourd’hui Semler et Eichhorn proposent de remplacer le témoignage de l’Esprit par la preuve historique. L’histoire décidera de l’autlienticité des textes, l’authenticité garantira la vérité du récit surnaturel qu’ils renferment, et cette vérité deviendra, à son tour, une garantie de l’origine divine des textes eux-mêmes.

C’est à cela qu’aboutissait, avec la fin du xviii siècle, le mouvement de critique historique et religieuse, auquel les rationalistes d’Allemagne ont donné le nom d’Aufklàrung ; ce qui veut dire affranchissement des ténèljres, progrès et culture intellectuelle.Ci.ScuLos-SER, Geschiclite des achtzehnten Jahrhundert, 1848, VII, 1 Abt., p. I. Ces attaques de la première heure ne restèi-ent pas sans riposte. On peut voir dans M. Vigouroux, op. cit., p. 657, une bibliographie assez complète des principales apologies publiées par les catholiques au cours du xviii « siècle. Les plus connues furent celles de Huet, évêque d’Avranches (1630-1721), et de l’abbé Guëxée (1717-1803), sm-tout les Lettres de quelques juifs de ce dernier. Du côté des anglicans vinrent des ouvrages de grande valeur, notamment : Lardxer, Credibility ofthe Gospel

history, 1727-1743, mais l’auteur a lui-même des tendances au Socinianisme ; W. Paley, Evidences of christiaiiity, 1794 ; et surtout Horæ paulinae, 1790 ; Th. Ciialmers, The évidence and authority of the Christian révélation, 1834. Les Démonstrations évangéliques de Migne, du t. IX au t. XII, reproduisent la plupart de ces apologies.

Encore ici, on doit convenir que, si le rationalisme biblique est bien d’origine protestante, les catholiques furent les premiers à faire à la critique, dans leurs études sur le N. T., la place qui lui convient. C’est que leur doctrine en matière d’inspiration et d’autorité scripturaire les mettait en meilleure posture que les protestants vis-à-vis de l’histoire. E. Reuss, History ofthe Sacred Scriptures (trad. angl. de Houghton, 1884), p. 6 18, fait observer qu’aux xvi*^ et xvii^ siècles

« les Jésuites, beaucoup plus que les Protestants, 

couraient le risque d’être brûlés comme hérétiques, à cause de la liberté qu’ils prenaient vis-à-vis de la Bible ». A. Sabatier, Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, 1 904 -, p. 320, a écrit dans le même sens : « Richard Simon et certains docteurs jésuites frayaient ici la voie nouvelle dans laquelle on allait s’engager. »

L’époque dite de VAufklârung coïncidait avec la révolution philosophique désignée sous le nom d’idéalisme allemand (Kaxt, Fichte, Schellixg et Hegel). Cf. Diction, of Christ and the Gospels (Hastings), 1908, II, p. 869. La critique historique des origines du christianisme s’en ressentit profondément. Venturini d’abord, Natùrliche Geschichte des grossen Propheten von Nazareth, 1800-1802, puis, et surtout, Paulus, Das I^ehen Jesu als Grundlage einer reinen Geschichte des C/i ?7’s/ew<//ms, 1828, s’attachèrent à expliquer « naturellement » tout ce que les Evangiles racontent de Jésus, en distinguant entre le fait et son appréciation, c’est-à-dire l’explication qui en a été donnée, même par les témoins immédiats. Le fait peut être conservé ; quant à son explication, on doit la critiquer, car elle peut être erronée. C’est notamment le cas des récits qui représentent certains faits comme miraculeux. Paulus estimait que les évangélistes n’ont pas eu, le plus souvcnt, la prétention de rapporter des miracles. Du reste, Kant n’avait-il pas enseigné que la règle suprême de l’exégèse était de rechercher non pas tant ce qu’un autem*, fùt-il inspiré, avait dit, que ce qu’il aurait dû dire conformément aux données de la religion naturelle ? Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Ver71H « /V, 1793.EicnnoRN (-f-1827) devait ajouter que dans les Evangiles on peut traiter d’invention de la crédulité juive tout ce qui ne cadre pas avec la droite raison. Einleitung, I, p. 44 ; HI. P- 2. De la sorte, toute connaissance, même celle que l’on avait tenue jusque là pour révélée, se trouvait ramenée exclusivement aux ressources et aux lois de la psychologie humaine. D’après la Bible, Dieu avait fait l’homme à son image ; d’après les tenants du naturalisme, il fallait faire Dieu à l’image de l’homme.

L’exégèse « psychologique » prétendait garder les Evangiles sans les Evangélistes ; ce que ces textes contenaient d’historique n’était plus qu’un résidu. Mais vouloir ramener à des proportions naturelles un récit conçu perpétuellement d’un point de Aue surnaturel, c’était entreprendre de dessaler la mer. On ne tarda pas à s’en apercevoir. L’attaque avait été si extravagante qu’au lieu de ruiner l’autorité des Evangiles, elle l’avait plutôt afi"ermie.

b) De Strauss à Renan. — C’est alors que D. F. Strauss (1808-1874) proposa d’interpréter les Evangiles d’après la méthode mythologique, que l’on appliquait aux histoires profanes de l’antiquité. Semler. Eichhorn, Vater, de Wette avaient déjà étendu ce