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CRITICISME KANTIEN

essentielle, que le Kantisme, en tant que Kantisme, ne saurait dès lors exister, et qu’il est obligé poui- vivre de se transformer, malgré la volonté de son auteur, en pur idéalisme, comme la philosophie postérieure l’a historiquenænt démontré (v. infra, col. 707). Cette contradiction intime n’a par personne été mieux mise en relief que par le contemporain et rival de Kant, le philosophe Jacobi ; celui-ci fut le premier qui la dénonça : « D’une part, dit-il, il est contraire à l’esprit de la philosophie Kantienne de parler d’ol)jets dont l’action sur les sens évoquerait des représentations ; d’autre part, sans ce postulat, on n’arrive pas à comprendre qu’une voie reste ouverte à cette philosophie… Je dois avouer que cette difliculté ne m’a pas peu retenu dans l’antichambre… ; pendant des années, à plusieurs reprises, je dus recommencer la

« Critique de la raison pure » : Sans la supposition

des choses en soi, je ne pouvais entrer dans le système, — AVEC cette supposition, je ne pouvais y rester. » (Jacobi, ïf’erke, Leipzig, 1812, II, p. 303.)

Pour épargner à Kant cette contradiction, on a tenté diverses voies. (Voir Riehl, Kritik., i, p. 4^2 ; B. Erdmanx, Prolog., lui, lxiv ; Krit., p. 40 sqq. ; K. Fischer, Kr.d. Kant. Philosophie, ]). 24 sqq. ; BouTRoux, Revue des Cours, mars igo5, p. 205 ; Delbos, La phil. pratique de Kant, p. 197 à 203.) On a nié que Kant ait admis l’existence de choses en soi (FiciiTE ; et de nos jours, entre autres, Cohen : Kanls Théorie der Erfahrung, 2' éd., p. 168 à 170 ; Konimentar zal. Kants Kritik, Leipzig, Diirr’scheBuchh., 1907, p. 22 sqq. et passim). S’il y a, en particulier dans la Critique de la raison pure, des passages équivoques où l’on peut disputer sur la question de savoir de quels objets il s’agit (par ex. CritJ, 2>-- éd., p. 287 sqq.), d’autres endroits sont assez clairs pour écarter tout doute. Voici les principaux : Crit.^, pp. 89, 63, 80 ; Proleg., pp 71, 72. 80, 124, 125 ; Fond., pp. 188, 204 ; Crit.'-, p. 6. (En faveur de l’interprétation idéaliste, on peut citer, Crit. ', p. 286 sq.) — Aussi bien Kant a protesté expressément contre les déformations de sa pensée par des disciples qui prétendaient s’attacher à l’esprit plus qu'à la lettre ; il a maintenu, non sans irritation, que les expressions de la critique doivent être prises « à la lettre » (voir sa Déclaration relative à la Doctrine de la science de Fichte, 7 août 1799 ; cité par Vaihinger, Commentar, II, p. 15). L’objection de Jacobi porte donc à plein contre le Kantisme *. — Il ne nous appartient pas de suivre celui-ci dans son évolution idéaliste^.

//) Indications concernant quelques points secondaires de la Critique de la Raison pure.

I. Esthétique transcendantale. — La preuve transcendantale (voir supra, col. 787) de la subjectivité du temps et de l’espace (c’est-à-dire de leur non-réalité comme attributs des choses en soi), se fondant tout entière sur la théorie des jugements synthétiques a priori, est réfutée avec cette théorie même (voir supra, col. 7^0).

Quant aux arguments spéciaux ou métaphysiques qu’y ajoute Kant, on peut en voir la teneur et la critique dans n’importe quel manuel. H. Vaiiiinger résume les principales controverses auxquelles ils

1. On peut encore donner à 1 objec tien de Jacobi une autre forme : Kant se sert du principe : « Pour apparaître, il faut être » afin d éviter ce qu’il appelle, avec raison, une absurdité, et pouvoir affirmer lexistence des choses en soi (voir supra, col. 7 : }Hi. Or il n’a pas le dioil (l’employer ce principe, car on ne peut savoir qu’il existe des cbo-es en soi, si l’on ignore tout de leur nature. Ainsi raisonne E. Zi ; lm : r contre Kant ; <>iv Cesc/i. d. deuischen Phit., Miinchen, Oldenbourg-, 1873, p. 514.)

2. Voir article Idkai.isme.

ont donné lieu (Commentar, II, p. 290 sq.). Mais la doctrine même de la subjectivité du temps et de l’espace déborde les preuves qu’en a données Kant, et le kantisme lui-même. (Voir art. Idéalisme.)

2. Analytique transcendantale. — Cette section de la Critique est la plus difficile. On y peut distinguer deux parties : celle que nous avons résumée (voir supra, col. 788), où Kant cherche à fonder l’objectivité des catégories, en faisant dépendre de l’esprit la nature ; celle où Kant explique en détail le mécanisme de cette dépendance. Dans la première partie, Kant argumente en vertu des mêmes principes dont il a été montré ci-dessus le non-fondé (v. supra, col. 701) ; il suppose qu’on ne peut tirer de l’expérience rien d’universel et de nécessaire, et il équivoque sur les deux sens du mot a priori : son raisonnement n’a donc point de valeur. — Quant à la seconde partie, elle est trop complexe pour être examinée en quelques lignes. Nous nous contenterons de signaler l’objection principale, et, à notre avis, insoluble, qu’on doit faire au système : a) D’une part, pour expliquer l’action transcendantale des catégories, il est nécessaire de supposer une certaine prédisposition et comme une hétérogénéité qualitative dans la matière brute ; Kant n’en parle pas, mais // doit l’admettre. (Ainsi DuNAN, Essais de Philosophie, 1902, p. 215 ; voir Radier, Psychol., p. 890 ; Ueberweg, Geschichte… 9' éd., p. 826.) b) D’autre part, si le phénomène varie avec la nature de la chose en soi, celle-ci n’est pas inconnaissable : le phénomène peut servir en quelque façon à la déterminer ; et la thèse agnostique de Kant est réfutée par Kant lui-même. (Ainsi Zeller, Gesch. d. d. Phil., i^éd., p. 513 ; PAULSEN, Z)/e Kultur der Gegemvart, Systematische Philosophie, 1907, p. 896.)

8. Dialectique transcendantale.

a) Psychologie : La distinction du phénomène et du noumène « n’a pas de signification » quand il s’agit du sens interne. Si elle en présentait une, quand il était question des objets extérieurs, c’est parce qu’on supposait médiate la perception des sens. Mais la perception de la conscience (sens intérieur) est nécessairement immédiate. Un intermédiaire ici « est une fiction vide, inventée pour le parallélisme de l’espace et du temps » (Paulsen, I. c, p. 897 ; de même dans son Im. Kant. trad. anglaise. London, 1902, p. 200 ; UebeuAVEG fait la même difficulté, Geschichte… 9e éd., p. 821).

— Si la perception est immédiate, ce que je perçois n’est pas le phénomène d’autre chose, c’est la chose même perçue, c’est-à-dire le moi sentant, pensant, voulant ; et Ton peut donc arriver à déterminer sa nature.

b) Cosmologie : voir supra, les Antinomies, col. 762.

c) Théodicée : La réfutation de l’argument ontologique, renouvelée par Kant, avait déjà été faite par saint TiioMAs(.S'. Th., 1 », (f. 2. a. i, ad 2 ; s’y reporter).

— Quant à la réduction de l’argument cosmologique à l’ontologique, elle est nettement sophistique. En effet, dans l’argument ontologique la proposition :

« l'être parfait est nécessaire [A] » ne suppose prouvée aucune existence. C’estune proposition <jue nous

pouvons appeler logique ou essentielle : el l’argument ontologique consistera précisément à arriver, à l’aide de cette proposition, à l’affirmation dune existence. Par contre, dans l’argument cosnu)logique, la proposition : « l'être nécessaire est parfait » suppose l’existence de l'être nécessaire déjà prouvée a posteriori : c’est une proposition existentielle ; telle est donc bien aussi la proposition qui en résulte par conversion : « Quelque être parfait est nécessaire » ou cette autre qu’on considère comme matériellement équiva-