Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/381

Cette page n’a pas encore été corrigée

745

CRITICISME KANTIEN

746

le sentiment sui geneiis de l’obligation : le vouloir profond (= intelligible) fait loi pour la volonté superlicielle (= sensible), et l’homme se sent forcé, par le respect de sa propre dignité, à s’unifier intérieurement, en contraignant la sensibilité à coïncider avec la raison. — En ce sens, on peut dire que la volonté est à elle-même la source de l’obligation : elle obéit à sa législation propre’ ; mais il faut ajouter tout de suite, pour rester d’accord avec les résultats précédemment obtenus (cf. la 2 « formule) : en tant que cette législation est universelle, c’est-à-dire portée également par toutes les volontés.

Nous obtenons ainsi la troisième formule de l’impératif moral, celle qui délinit précisément l’autonomie (Fond., p. 157) : « Agis avec l’idée de ta volonté comme législatrice universelle ». — Si tous les hommes étaient lidèles à cet impératif, s’ils veillaient à respecter leur propre autonomie, l’entente des volontés serait parfaite, et l’on verrait réalisé un système où les personnes seraient harmonieusement coordonnées, un « royaume des fins » (Fond., p. 16’j sq.).

L’objectivité du devoir. — Il est temps de revenir à la question fondamentale et de lui donner la réponse sans laquelle tout ce qui précède n’aurait qu’une valeur hypothétique ; car on a bien défini ce qu’est le devoir ; on n"a pas encore établi, critiquement, qu’il est.

Grâce aux analyses précédentes, cette question est devenue beaucoup plus précise. Elle se posait tout à l’heure ainsi : à quelle condition l’impératif moral n’est-il pas illusoire ? (Voir supra, col.’^'5.) On peut l’exprimer maintenant dans ces termes : à quelle condition l’homme peut-il, doit-il, considérer comme s’adressant à lui le commandement de n’agir jamais que par une maxime universalisable ?

Il est aisé de voir, dit Kant, qu une seule condition est requise : la liberté. Si l’homme n’est pas libre, il ne peut agir en vertu d’une loi toute formelle ; et réciproquement, si l’homme doit se déterminer par une forme intelligible, il faut qu’il échappe à ce qui règle les autres événements de la nature, — il faut qu’il soit en dehors de la causalité qui enchaîne les phénomènes, c’est-à-dire qu’il soit libre (Oi/.-, p. 46 sq.).

Mais cette condition est-elle vérifiée ? Oui, répond Kant, ou du moins tout se passe comme si elle l’était. Peu importe, en effet, que l’homme soit ou ne soit pas libre ; de fait, // ne peut s’empêcher de penser qu’il l’est- ; et cette persuasion n’a rien d’absurde, pourvu qu’on en transporte l’objet dans le monde transcendant (voir supra, col.’]fi). Dès lors, pratiquement, au point de vue de la loi, c’est tout comme si Ihomme était libre : il ne peut s’empêcher de penser que la loi s’adresse à lui. Cela suflil pour que désobéir soit se condamner (Fond., p. 182 sqq.).

Ainsi, la morale est fondée ; à l’apparence du devoir correspond bien une réalité du devoir, ou du moins, pour nous, c’est tout comme. L’idée, la conviction de ma lil)erté fait de moi, pratiquement, le citoyen d’un monde intelligible ; par ailleurs, je suis évidemment un être sensible : nous avons donc l’inadéquation requise (voir ci-dessus) poiu- expliquer

1. Ce n’est pas flnns le même sons que Kant emploie lo mot loi, quand il dit qu’elle est infailliblement voulue par la volonté sainte, et qu’elle est poiléo ])ar la volonté elle-même. Dans le second cas, il s’aj^il pio[)rcmont du caractère obligatoire de la loi (de l’obligation substituée îi la nécessité).

2. Car. ainsi que 1 explique Kant, par le fait que Ihomme se consiilèrc comme être raisonnable, il se regarde comme relevant d’un monde autre que celui des phénomènes sensibles, c’est-à-dire d’un monde où il n’y a aucune raison de supposer le règne de la nécessité (l.’c).

l’origine de ce sentiment particulier qu’on appelle l’obligation, — et en même temps un parallélisme merveilleux avec la raison pure ; car comme les concepts de l’entendement pur, s’ajoutant aux données de l’intuition sensible, rendent possibles les propositions synthétiques a priori spéculatives, de même c’est la liaison de la volonté pure pratique à la volonté sensible qui permet le jugement synthétique a priori pratique qu’est l’impératif catégorique (Fond., p. 193 sqq.).

Il ne reste plus qu’à déduire les devoirs particuliers, c’est-à-dire à traiter de la « matière » de la vie morale. Il nous est inutile de suivre Kant sur ce terrain. (Voir Les principes métaphysiques de la morale, trad. Tissot, 1854, p. 135 sqq.)

La Métaphysique morale.

Le primat de la volonté (Crit. -, p. 218 sqq.). — La i-aison spéculative n’avait de légitime que l’usage immanent ; on vient de voir qu’il n’en est pas de même, selon Kant, delà raison pratique. Pour celle-ci, non seulement l’usage logique, correspondant à ces jugements analytiques qui énoncent des obligations conditionnelles, est licite, mais il en faut dire autant de l’usage transcendant, par lequel la raison formule le jugement synthétique a priori pratique qu’est l’impératif du devoir ^ Il en résulte une conséqrience considérable : c’est qu’en vertu même de leur différence de portée, ces deux emplois de la raison ne sont pas coordonnés, mais subordonnés l’un à l’autre. Quand la raison spéculative a fait tout ce quelle peut par elle seule, et qu’impuissante à connaître des réalités métaphysiques, elle s’est satisfaite du moins à les concevoir, la raison pratique survient. Elle a besoin, elle, des réalités métaphysiques ; elle profite alors de ce que la raison spéculative les conçoit, et lui demande de faire, par amour pour elle, un pas de plus, en les affirmant.

La foi (Crit.’, p. 634 à 641)- — Affirmer sans savoir

— alFirmer, non parce qu’on connaît, mais parce qu on a besoin d affirmer, c est (avec quelques précisions qu’on Aa voir) ce que Kant appelle croire. Les propositions théoriques, qui sont 1 objet de ces affirmations, s’appellent des postulats. — La foi à ces postulats n’est pas proprement un devoir (car il ne saurait y avoir un devoir par rapport à une proposition théorique, Crit.-, p. 22g ; 261) mais un besoin, une nécessité pratique. Et comii.e ce besoin tient à la nature même de la raison pratique, il est universel ; on peut donc dire qu’il est fondé et que l’adhésion qu’il provoque est (subjectivement) légitime.

Les postulats de la raison. — Les postulats sont au nombre de trois : il 3’a la liberté, dont il a été déjà parlé, l’immortalité de lame et l’existence de Dieu.

Voici comment Kant établit, non pas (il importe de le remarquer) que l’àme est immortelle (^= connais 1. D’où vient cette différence et pourquoi privilégier la raison pratifiue, puisqu’au jugement même de Kant [fond., p. 83 ; CriL-, p. 2"21) elle n’est que la raison si>éculalive considiTée sous un autre aspect ? — Kant répond : c’est qu’ici l’on n’a plus affaire ; i un objet donné, pose une fois pour toutes {^egeben). qu’il s’agirait de connaître, mais à un acte proposé [au fgegeben), qu’il s’agit de réaliser. Dans le 1°’cas, l’usage transcendant de la raison re(iucrnit, pour être légitime, des conditions que l’objet ne vérifiait pas, ne pouvait pas vérifier ; dans le 2’cas, les conditions ne se tiennent pas du côté de l’objet, lequel n’est pas, mais doit être : elles sont toutes du côté du sujet et se ramènent à la liberté. Or on a vu que la liberté est une condition que l’homme ne peut s’inipécl.er de regarder comme Aérifiée