Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/376

Cette page n’a pas encore été corrigée

735

CPJTICISME KANTIEN

736

La religion.

L’esprit du kantisme.

Article IL Examen du criticisme.

Le kantisme et l’orthodoxie.

Le criticisme théorique. Les erreurs fondamentales qugements synthétiques a priori, antinomies, choses en soi). Les points secondaires.

Le criticisme moral.

Les erreurs fondamentales. Les points secondaires.

Le criticisme jugé par ses conséquences.

Conclusion.

Littérature.

Abréviations :

Crii.* = Critique de la raison pure, trRd. Tremesay gues et Pacaud, Paris, Alcan, igoô. Crit.^^ Critique de la raison pratique, trad. Picavet,

Paris, Alcan, 1888.

Prol. = Prolégomènes à toute métaphysique future,

trad. nouvelle, Paris, Hachette, 1891. Fond. = Fondements de la métaphysique des mœurs,

trad. V. Delbos, Paris, Delagrave, 1907.

Article premier : Exposé du criticisme.

Les deux sens du mot Criticisme.

Rompant avec la théorie scolasticjue de la perception, la philosophie post-cartésienne avait presque universellement admis que nos sens ne nous renseignent immédiatement que sur la façon dont ils sont affectés. Dès lors le problème se posait, en droit, de la relation qui existe entre les impressions produites en nous par les choses et les choses elles-mêmes, c’est-à-dire, pour employer déjà les termes de Kant, entre ce qui apparaît, le phénomène (f(/.tvdy.£voj), et ce qui est mais n’apparait point, la chose en soi, le noumène {voo’j/j.svo-j’). Le phénomène ressemble-t-il au noumène, du moins peut-il conduire à une connaissance du noumène ? telle est la forme la plus simplifiée sous laquelle se présente Vidée critique. — De ce point de vue, le Criticisme est donc un problème : la raison est mise en demeure de se prononcer, avant toute spéculation, sur la portée métaphysique de ses pouvoirs ou, ce qui revient au même, sur sa propre compétence à parler de réalités placées en dehors de l’expérience, c’est-à-dire en dehors de l’intuition sensible, actuelle ou possible.

Mais le criticisme a un autre sens : il désigne aussi une doctrine : c’est alors la solution particulière donnée par Kant au problème susdit. Nous examinons ici le criticisme comme doctrine.

La Métaphysique.

Le point de départ de Kant est, en un sens, délibérément celui d’un dogmatiste. Admirateur de J.-J. Rousseau et de Newton, il ne songe pas à mettre en doute la réalité dudeA’oir ni l’objectivité de la science : ce sont là pour lui deux faits qu’aucune doctrine ne saurait ébranler sans se condamner. Il admet donc la valeur de la raison. Mais il croit s’apercevoir qu’on ne peut sans danger se fier à toutes ses démarches : admirable tant qu’elle travaille sur les données sensibles, la raison tombe dans des contradictions quand elle se risque au delà de l’expérience (Prol., p. 33 ; voir dans la Critique * tout ce qui concerne les antinomies). D’où vient cette différence de succès dans les procédés d’une même faculté ^ ? C’est sans doute,

1. Le mol « faculté » est pris ici pour désigner simplement

« un ensemble de phénomènes homogènes « , Pas plus

que la distinction de la sensibilité, de l’entendement et de la raison, cette terminologie kantienne n’a une portée métaphysique.

pense Kant, que la raison ne trouve pas également dans tous les domaines les conditions qui rendent son exercice légitime : le meilleur des instruments fonctionne de travers quand on le détourne de son usage. — Mais alors, si l’on veut éclaircir une fois pour toutes les droits de la Métaphysique à se présenter comme science, une tâche s’impose : il faut pousser l’examen plus loin qu’on n’a fait encore et, au lieu de s’attacher au contenu de la connaissance, remonter jusqu’à ses conditions. Telle est l’œuvre que se proposera Kant. Cette enquête d’un genre tout nouveau mérite un nom spécial : ill’appelle transcendantaleK {Prol., p. 2^5, 80 ; Crit.*, p. 56.)

Le procédé. — Il reste à décoinrir un procédé commode pour organiser la recherche et même pour l’instituer d’une manière concrète : Kant pense le trouver dans les fameux jugements synthétiques a priori.

L’esprit porte deux sortes de jugements, les uns analytiques, c’est-à-dire tels que le prédicat est contenu dans la notion du sujet, par exemple : les corps sont étendus ; ces jugements offrent peu d’intérêt, ils n’enrichissent pas la connaissance (Crit. p. 46 sq.) ; les autres, synthétiques, c’est-à-dire tels que le prédicat ajoute une détermination nom’elle à la notion du sujet, par exemple : le sucre est doux. — Mais il y a plus ; Kant croit reconnaître parmi ces derniers jugements des propositions universelles et nécessaires ; il en signale qui relèvent de la Mathématique :

« La ligne droite est la plus courte entre deux points » 

(Crit.^, p. 51), — de la Physique : « Dans tous les changements du monde coi-porel, la quantité de matière reste la même >> (ibid.), — de la Métaphysique :

« Tout ce qui commence a une cause » (ibid., p. 52).

C’est là, pense-t-il, un fait remarquable ; car tant qu’il s’agit de jugements synthétiques particuliers et contingents, il est aisé d’en assigner le fondement ou la raison : si on lie à un sujet un attribut que sa simple notion ne contient pas, c’est parce que l’expérience montre la connexion réalisée, la synthèse faite. Mais ici sur quoi s’appuie-t-on ? Ce ne peut être sur l’expérience, car celle-ci n’offre jamais que des cas singuliers ; de plus, elle dit ce qui est, non ce qu’il est nécessaire qui soit ; c’est donc sur autre chose, = X. (Crit.^, p. 48 ; cf. Prol., p. 84 sqq. ; rapprocher Crit.’-, p. 16 sq.) Or ces jugements synthétiques, qu’on peut appeler a priori pour signifier qu’ils n’ont pas leur raison dans l’expérience, forment le contenu même du savoir, puisque le savoir a pour objet, et objet unique, l’universel et le nécessaire. Dès lors, la question qui se posait tout à l’heure en termes encore abstraits et vagues peut se formuler d’une manière plus précise : rechercher les conditions de la connaissance revient à se demander comment sont possibles des jugements synthétiques a priori.

C’est en effet par ce biais que Kant abordera son enquête, et voici comme il la conduira : estimant posséder dans la Mathématique et dans la Physique des jugements synthétiques a priori d’une valeur incontestable et incontestée (Crit.*, p. 53 ; Prol., p. 85), c’est à ces jugements qu’il s’attachera pour remonter analytiquement aux Conditions d’une connaissance a priori en général. L’Esthétique transcendantale étudiera les propositions de la Mathématique (science à intuition, « (VôyjTt ?) ; l’Analytique transcendantale, celles de la Physique (science à concepts). Il ne restera

1. Par extension on appellera aussi de ce nom le résultat de la recherche. Ainsi est transcendantal, dans la langue de Kant, « ce qui, antérieur à la connaissance, rend la connaissance possible ». Par contre, est dit transcendant, ce qui ne peut tomber sous l’expérience immédiate ; le mot est donc synonyme de « métaphysique ».