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CONVERSION

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sagesse, et les doctrines de Jésus-Christ et de ses apôtres, ne prouvent qu’une chose, dont nous sommes aussi persuadés que personne : la survivance de la raison humaine et d’une partie des principes de la religion naturelle au milieu des ténèbres, des erreurs, des rêveries et des folies du paganisme. C’est précisément sur ces restes, sur ces ruines, que les prédicateurs de l’Evangile appuyaient leur démonstration de la religion nouvelle, puisqu’ils sollicitaient pour elle, non une adhésion aveugle, mais une obéissance rationnelle, rationabile obsequium (saint Pacl aux Romains, XII, i). Et c’est en ce sens que Clément d’Alexandrie, comme beaucoup d’autres écrivains et théologiens catholiques, a pu dire que la philosophie ancienne avait servi de préparation et d’introduction au christianisme (cf. Suicer, Thés. eccL, v. çt/sjstia) : Nos modernes adversaires ne le diront jamais avec plus d’éloquence et de netteté que cet illustre Alexan<hin. Mais ce qu’ils disent, et qu’il n’eût jamais dit, lui qui savait raisonner rigoureusement, c’est que le jirodigieux succès du catholicisme Aient de là. Car, enfin, pourquoi donc cette philosophie grecque et romaine n’a-t-elle pas conquis et transformé elle-même le monde ? Pourquoi, inqjuissante aux mains de ses détenteurs naturels, a-t-elle tout d’un coup réussi entre les mains du Christ et de ses disciples ? Pourquoi le monde ne s’est —il pas donné à Platon et à Sénèque, mais à Pierre et à Paul ? Il y a donc eu un élément, une force, une puissance qui a manqué à ceux-là et qui s’est rencontrée en ceux-ci. Cette force estune intervention surnaturelle de Dieu. Et aujourd’hui encore, d’où vient à l’Eglise sa force incontestable de durée, derésistanceetd’expansion ? Comment peut-elle gagner des âmes, nombreuses et avides de vérité, dans l’Europe civilisée et furieusement travaillée par la rationalisme ? Comment, en face des missions protestantes dont le système de conversion n’a rien que de commode pour les prosélytes aussi bien que pour les apôtres, peut-elle amener des tribus et des peuplades entières à adopter cette folie de la croix dont parlait saint Paul (I Cor. i-iv), et dont ses missionnaires n’ont aucunement modifié la méthode et le caractère ? Elle le peut par la seule puissance capable de dompter et de transfigurer la nature liumaine, particulièrement viciée dans ces régions ([ue ni la foi ni la philosophie n’ont éclairées ; l’Ile le peut par la seule vertu surnaturelle de Celui qui ayantfait les nations guérissables, a répandu son sang divin pour les guérir (I Petr. ii, ^2l^). C’est autre chose en effet, pour une société religieuse, de s’enrichir des défaillances et des apostasies d’une société rivale, et autre chose d’attirer à soi les âmes saines, fortes, avides de lumière et de perfection. Or, on sait « piel lot, en matière de conversion, est celui du catliolicisme, et quel lot est celui des autres religions : un protestant disait de sa secte, et il eût pu dire de toutes les religions opposées à l’Eglise romaine : <’Quand le pape rejette les mauvaises herbes de son jardin, c’est dans le nôtre qu’elles viennent tomber. »

La considération des moyens enqdoyés pour la propagation des religions qui sont ici en conqjctition ne doit pas être négligée, encore qu’elle soit vulgaire et presque banale à force d’être rappelée et connue.

Pendant quatre siècles, le catholicisme lutte de toutes parts contre la force j)olili<iue la mieux armée et la moins scrupuleuse (]ui fui jamais, et d’iiorriblcs persécutions le frappent dans ses chefs, les papes et les évoques, dans son clergé inférieur, et dans toutes ses catégories d’adhérents. La conversion de l’empereur Constantin lui laisse à peine le temps de respirer, et la persécution recommence avec les hérésies foiiienlécs ou du moins api)uyées par l’autorité impériale. Si, depuis lors, les gouvernements des peuples

convertis au christianisme ont parfois secondé ses doctrines et ses œuvres, ils n’ont pas entièrement oublié les traditions Aiolentes de leurs devanciers païens ou hérétiques, donnant ainsi la main aux tyrans barbares qui, aujourd’hui encore, tentent d’entraver la propagation delà foi catholique par laprisonet par l’assassinat. Et la foi catholique se propage quand même, comme elle l’a fait dès l’origine, par la prédication simple et familière, par la charité et parles bienfaits, par l’exemple d’une vie austère et d’un désintéressement absolu, par la patience, la résignation, la joie héroïque dans les tourments et jusque dans la mort, Dieu coopérant à cet apostolat par sa grâce intérieure, et par des prodiges extérieurs, quand il le faut. En regard de ce tableau, qu’on place celui du mahométisme et du protestantisme, fondés avec le concours dévoué, fanatique même, des rois ou des peuples armés pour les défendre et les répandre ; avec l’or des grands, intéressés au triomphe de ces nouveautés, ou avec l’aide des masses populaires emportées par l’esprit de rébellion ; avec l’approbation et l’appui moral enfin des philosophes qui voient dans Rome et dans Athènes les chrétiens livrés aux flammes ou aux bêtes ; des humanistes et des érudits qui applaudissent aux excès des paysans déchaînés par Luther et Bucer ; des encyclopédistes et des poètes voluptueux qui encouragent les débuts de la Révolution française ; qu’on place, dis-je, ce tableau en face de celui des origines du christianisme, et qu’on ose soutenir encore que celles-ci n’ont rien eu que de naturel, d’humain, que son expansion a été l’effet logique et nécessaire de causes purement naturelles ! Sans doute, le christianisme exerce un grand attrait sur certaines âmes, et il a des consolations, des espérances, des joies, que nulle autre religion n’offre au même degré. Mais d’où lui vient cet attrait supérieur à celui des voluptés et des ambitions terrestres ? D’où lui vient cette force attractive prédite par son fondateur quand il a dit : « Elevé au-dessus déterre, j’attirerai toutàmoi » ? (Joan., xii, 82). Le bon sens répond : ce cjui attire vers la terre est terrestre ; ce qui attire vers le ciel est céleste. Et, pour conclure, si la conversion du inonde au catholicisme n’est pas, au point de vue de la rapidité et de l’étendue, sans quelques analogies historiques, elle est au point de vue moral et philosophique absolument unique et incomparable (cf. Perronk, Tract, de vera religione, cap. iv, prop. iii-iv).

2° Voici maintenant le résume des objections faites contre les conversions particulières dont l’Eglise catholique se glorifie. — Les conversions générales et d’ensemble, celles de certains peuples et de certaines tribus, ont été souvent le résultat de manœuvres politicpies, de i)ressions exercées sur les consciences, de violences ouvertes, de guerres cruelles, de persécutions implacables. Comment ne pas s’indigner, par exemple, de la façon dont Clovis a converti les Francs, Charlemagne les Saxons, Louis XIV et Louis XV les protestants ? Que prouvent de telles conversions, ou plutôt que ne prouvent-elles pas ? Ces conversions par masses ne furent-elles pas souvent aussi l’effet d’un engouement populaire, d’un fanatisme excité par des prédications ardentes ou par des faits d’apparence extraordinaire, mais en réalité purement naturels ? Quant aux conversions individuelles, elles s’expliquent i)ar des motifs de l’ordre sentimental, par des intérêts personnels, par des influences absolument communes quand elles ne sont pas inavouables, enfin par ce besoin de changement et de nouveauté qui travaille quantité d’esprits, à certaines époques surtout. Et du reste, des faits comme ceux-là ne sauraient avoir la valeur d’une démonstration objective de la vérité du chris-