Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/352

Cette page n’a pas encore été corrigée

68’CONSCIENCE

688

ou par contre-coup, il atteint et le groupe social et les membres qui le composent.

Cependant l’absolu peut seul fonder la notion véritable de mérite. C’est lorsqu’ils sont frappés de la lumière divine, que nos actes bons ou mauvais prennent leur signiûcation réelle. De deux façons nous méritons ou déméritons aux j^eux de Dieu. Il est tout ensemble la lin dernière et le chef de la communauté universelle. Au premier titre, nos actes libres offensent ou satisfont la majesté divine, selon qu’ils s’écartent du but de notre vie ou qu’ils y tendent. Comme souverain dit monde et de chaque être en particulier, Dieu s’intéresse à toutes les démarches de notre libre arbitre. Pour ce motif encore, nos actes sont devant lui méritoires ou déméritoires.

Leur importance, et la difficulté plus ou moins grande que nous avons à surmonter dans la pratique du bien, entrent en considération quand il s’agit de les évaluer. Pourtant, du point de vue moral, qui, pour être absolu, doit être le point de Aue religieux et divin, c’est lardeur, c’est la pureté de la décision volontaire, qui fixent le mérite de nos actions. Beus autem iritiietiir cor.

Dans l’ordre surnaturel que nous révèle l’enseignement chrétien, cette vérité devient encore plus manifeste.

D’abord, c’est un dogme, proclamé en particulier par le concile de Trente, que les bonnes œuvres des justes sont méritoires. Par leurs actes de vertu, les justes méritent une augmentation de grâce, la béatitude éternelle et un surcroit de gloire. Le concile ne faisait que professer la doctrine des Ecritures et l’enseignement des Pères de l’Eglise. Il rappelait les textes célèbres : Gaudete et e.rultafe, quoniam mêmes vestra copiosa est in cælo (Matth., , 12) ; Accipiet coronam i’itæ qiiam repromisit Beus diligentihus se (Jac.i, 12). Il s’inspirait de la parole de saint Ignace : Sinlte me bestiariim esccnii fieri, ut possim Deum mereri, et de l’interrogation de saint Ambroise : A’onne evidens est meritorum aut præmia aut supplicia post mortem manere ?

Les conditions qu’énumère la théologie pour que nos actes aient véritablement un mérite surnaturel, mettent dans une lumière plus vive encore cette relation de la responsabilité humaine avec l’amour divin que nous signalions plus haut. La justice n’est pas le dernier mot du problème. Il faut dire comme Ravaissox, mais dans un sens plus précis, que nous vivons dans l’ordre de la grâce.

Seuls les justes, c’est-â-dire ceux qui possèdent la grâce sanctifiante, peuvent mériter surnaturellement. La récompense promise, la vision béatifiante, n’est-elle pas l’héritage des fils, et ne suppose-t-elle pas qu’on est de la famille de Dieu ?

Seuls les actes surnaturels, c’est-à-dire produits sous l’influence de la grâce, ont une valeiu" méritoire. Autrement, que deviendrait l’enseignement de Jésus-Christ ? Il ne serait plus vrai de dire que, sans lui, nous ne pouvons rien faire. Il ne serait plus vrai de dire que nous sommes les membres et qu’il est la tête, que nous sommes les ceps de la vigne et qu’il en est le tronc.

Seule enfin la promesse d’un Dieu aimant et libéral peut nous assurer que, sans déroger â son infinie dignité, il se considèi’e comme le débiteur des âmes justes et tient leurs mérites comme absolument efficaces. Les ayant créées par amour, et non par intérêt ou par nécessité, c’est par amour, en somme, et non par justice, qu’il les récompense dans l’éternité. Et nos credidimus caritati.

M. PiAT concluait une récente étude sur le Fondement de l’obligation morale par cette double remai*que :

« que la science de la conduite a sa clef de

Aoûte dans l’idée du commandement divin », et que

« la théorie par excellence du commandement divin, 

c’est la morale chrétienne. » (Bévue pratique d’apologétique, i" mars 1909.)

Le commandement di^in, dont l’Eglise rappelle aux hommes l’autorité someraine, fonde, en effet, la loi morale. Nul prétexte mjstique et nulle prétention rationaliste ne sauraient en écarter la notion impérieuse et contraignante.

Mais, soit qu’il s’agisse de consulter la Aolonté de Dieu, soit qu’il s’agisse de régler la volonté de | l’homme, il est permis de chercher par quelle raison J s’expliquent, à leiu* tour, les préceptes et les décrets divins.

"Nous avons signalé la doctrine de saint Thomas sur la primauté de l’amour divin. Voici comment il l’explique : « Tout acte de la justice divine suppose un don de la miséricorde et se fonde siu" lui. Rien, en effet, ne peut être dû à la créatiu’e, sinon en vertu de quelque chose qui préexiste ou qui a été prévu en elle. Ce quelque chose, â son tour, s’il lui est dû, ne peut l’être qu’en vertu d’un troisième terme. Et, comme la régression ne peut se poursuivre à l’infini, on doit arriver à quelque chose qui est un pur don de la bonté divine… Ainsi, dans les œuvres de Dieu, la miséricorde apparaît à la racine même de tout. Sa A’ertu opère de conséquences en conséquences, et même y joue le rôle prépondérant, puisque la cause première agit plus puissamment que la cause seconde. » (I= », q. XXI, a. 41 c.)

Ce raisonnement d’allure métaphysique ne nous entraîne-t-il pas bien loin de cette sphère des érités siipérieures à toutes les objections et accessibles à toutes les bonnes Aolontés, que nous disions être la sphère de la morale chrétienne ? Si éloignés qu’ils soient ou qu’ils paraissent des simples fidèles, les théoriciens de la morale chrétienne et traditionnelle restent en contact avec eux par l’intermédiaire même de leurs déductions les plus subtiles, et surtout par la communauté d’une même couviction pratique. Comme le plus humble des croyants, saint Thomas ne professe-t-il pas, en somme, que la création est l’œuA’re du « bon Dieu », et que les êtres doués d’intelligence et de liberté doivcnt librement répondre à : son amour ? i

Les advcrsaires les plus perspicaces de l’enseigne- j ment de l’Eglise, comme Charles Renouaier, lui re- prêchent précisément d’attribuer le rôle primordial, non pas â la justice, mais â la charité, dans la conduite des hommes et dans celle de Dieu. Cette accusation, qui peut s’accompagner de commentaires ou de sous-entendus calomnieux, exprime en elle-même une Aérité incontestable. Pour le chrétien pénétré de la religion qu’il professe, l’amour que Dieu lui manifeste est le principe même de la crainte et de la reconnaissance qui l’anièient. Il se reconnaît redcvable et responsable de sa Aie entière euvcrs la bonté dÎA’ine. Il aime et il redoute, dans un sentiment dont la complexité défie presque l’analjse.

Cet infini si doux qu’il en est formidable. l

(V. Hugo, La Légende des siècles.)

Le A-ague déisme, qui était alors toute la religion du poète, ne pomait établir qu’un rapport mal déterminé entre l’amour infini et la conscience humaine. Mieux que cette religion imprécise, mieux même que la thèse de théodicée naturelle que nous empruntions tout â l’heure â saint Thomas, la réAélation chrétienne nous apprend quelle relation unit les deux termes et par quelles libres dispositions de la ProAÎdence dÎA-ine s’accroît le prix de notre existence.. C’est dans l’enfant de Bethléem, c’est dans le supplicié