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CONSCIENCE

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de l’Eglise, de s’opposer à la propagande hérétique. Mais l’affirmation de ce droit ne devient pas, pour cela, une revendication stérile et chimérique ; de même que les efforts tentés au cours des siècles pai* l’Eglise en vue de protéger la foi, ne sauraient être considérés comme une série de fausses manœuvres. En tâchant d'élever la réalité vers 1 idéal et d'équilibrer tous les intérêts en jeu, l’Eglise, n’eùt-elle pas encore trouvé et ne dût-elle jamais découvrir la formule délinitive de l'équation cherchée, rendrait du moins aux hommes ce service : de leur enseigner le prix de la vie et de stimuler en eux le sens de la responsabilité.

Le quiélisme, dont les principales manifestations se produisent entre la seconde moitié du douzième siècle et latin du dix-septième, consiste à restreindre soit le mérite, soit la culpal)ilité des hommes, en soustrayant arl)itrairement à l’empire de la liberté, à la sphère des obligations, au domaine des conseils, tout ou partie de l’activité humaine. Tantôt les nouveaux docteurs réclament d’intolérables sacrifices, comme de renoncer au désir du bonlieur éternel, et de la sorte ils prétendent mortifier les facultés humaines. Tantôt, et c’est la conséquence logique du système, ils débrident les instincts mauvais ou dangereux, soit en représentant les efforts de a ertu comme une forme inférieui-e, sinon illusoire, d’ascétisme, soit en exagérant le rôle et la fréquence des impulsions irrésistibles dans les péchés d acte ou de pensée. Le quiétisme provoque donc une crise dans révolution que nous retraçons ici. Il surgit en travers de la route que suit, dans son coiu-s providentiel, la notion chrétienne de responsabilité. Mais l’Eglise ne cesse de protester contre Ihérésie plusieurs fois renaissante, et par ses protestations elle accentue la direction et le caractère de la notion orthodoxe. Si l’on tient compte de 1 habileté et de l’obstination des quiétistes à propager leurs doctrines ; si l’on remarque, en particulier, que tels auteiu-s du dix-septième siècle employaient une sorte de langage convenu que seuls entendaient les initiés, et qui, en temps opportun, était dévoilé aux profanes ; on comprendra mieux quelle vigilance et quelle persévérance l’Eglise montra, de son côté, pour maintenir intacte la notion de responsabilité (R. P. Aug. Poulai.x, Des grâces d’oraison, c. xxvii, n. 6).

he jansénisme, ([n’il convient de rattacher à l’erreur ancienne des prédestinatiens et à celle des calvinistes, se présente, à première vue, comme la contre-partie du quiétisme. D’un côté, on allège outre mesure le fardeau de notre responsabilité ; de l’autre, on l’aggrave arbitrairement. Un excès comme l’autre met en danger la vérité. Si quiétistes et jansénistes n’avaient pas été contredits, la notion chrétienne de responsabilité partagerait sans doute aujourd’hui les destinées de la notion laïque. D’elle aussi l’on dirait : a Elle n’est pas morte, mais elle meurt. »

Mais l’Eglise, veille, avertit et condamne.

La controverse De auxiliis rappelle, à certains points de vue, la discussion pélagienne. Elle en diffère doublement. D’abord, elle se produit dans les limites de l’orthodoxie, entre théologiens dont l’Eglise n’a jamais condamné les doctrines respectives. Ensuite, — et cette seconde différence, autant que la première, intéresse l’histoire de la notion de responsabilité, — les deux doctrines se terminent par des issues différentes, l’une aboutissant à une conclusion dogmatique, l’autre s’orientant vers une attitude pratique, la première mettant en lumière les attributs du Juge souerain, la seconde ramenant le justiciable à l'étude de sa propre condition. Ce que l’esprit humain peut savoir et doit croire au sujet du plan providentiel, est fixé désormais. A vouloir indéfiniment

scruter les mystères de Dieu, il risque de méconnaître les devoii’s de l’homme. Sans rien oublier de l’enseignement traditionnel sur la nécessité et la gratuité du secours surnaturel, appliquons-nous à comprendre de mieux en mieux l'étendue de notre responsabilité. En ce sens, que la spéculation descende du ciel sur la terre. Telle me paraît être la conclusion la plus nette de l’histoire de cette controverse. Est-il possible, quand on croit à la divine mission de 1 Eglise, d’interpréter la conduite du gouvernement pontifical comme la vulgaire tactique d’un gouvcrnement humain, lequel, pour se débarrasser de discussions gênantes, cherche à les « enterrer » ? Xe convient-il pas d’attribuer une origine plus haute, plus pure et plus loyale, au cours moderne de la pensée chrétienne, et d’estimer que la Providence l’oriente doucement et victorieusement vers les applications pratiques de la notion de res-I )onsabilité, non pour ménager les susceptibilités humaines, mais pour éviter à la spéculation religieuse, des recherches désormais inutiles ?

Le champ demeure assez vaste à qui veut étudier les conditions et les lois de la responsabilité humaine. Le champ qui reste ouvert est celui delà morale et de la casuistique. Moralistes, et casuistes ont quelquefois péché par défaut ou par excès de sévérité. Avec la sagesse et l’autorité qui lui appartiennent, l’Eglise s’est chargée de dénoncer les erreurs et les dangers de leurs théories ou de leui*s solutions. Nous ne voulons donc aucunement présenter la défense de tous les moralistes et de tous les casuistes sans distinction. Mais voici, d’autre part, un certain nombre d’accusations imméritées. On ne saurait leur reprocher de i considérer d’ensemble les principes généraux et les circonstances particulières ; puisque, justement, la pratique morale consiste à réaliser les lois communes en des actes déterminés, et que tous les préceptes ne participent pas à l’universalité al)solue des prohibitions essentielles. On les accuserait à toi-t de vouloir substituer leur autorité humaine et personnelle à l’initiative des autres consciences, puisque, d’une part, ils enseignent sous le contrôle de l’Eglise, et que, ( d’autre part, ils s’adressent à des âmes qui se recon- j naissent le droit et le devoir de se confier à la direction morale et dogmatique de cette même Eglise. Enfin, sauf excès toujours possible, mais aussi toujoiu’s contrôlable par le magistère ecclésiastique, on ne doit pas s'étonner de la minutie de lem-s distinctions, car il est naturel d’y regarder de j)rès, quand se posent les questions de conscience et que l'éternité est en jeu. La casuistique est une science pratique que postule et justifie la notion même de responsabilité. « Ceux-là seuls, suivant laremai’tpie de Brc.nktière, en peuvent contester les titres, qui, par une grâce toute personnelle d’insensibilité morale, n’ont jamais douté d’euxmêmes, ni jamais senti, sous la leçon de l’expérience, que la vie de ce monde ne laissait pas d'être parfois une chose assez compliquée. » (Iie^^ue des Deux Mondes, 15 nov. 1881, La Casuistique dans le roman.)

La condamnation, luaintes fois répétée, du libéralisme, est l’affirmation, autant de fois renouvelée, de notre responsabiUté. Et chaque fois que l’Eglise a rapl )elé leui’s devoirs aux hommes ou aux sociétés, elle a fait le jirocès du libéralisme et instruit la cause de la responsabilité. La controverse libérale est ancienne. Pourtant elle se complique, ou se précise, depuis un siècle ; de sorte que la dernière phase, dans l’histoire de la notion chrétienne de responsabilité, pourrait s’appeler, à un titre spécial, la lutte contre le libéra lisme. Les disciples de la Révolution prétendent, théoriquement du moins, alfranehir l’individu de toute sujétion. L’autorité pontificale s’applique à mar quer la limite de la liceufe et de la liberté, et, par cette distinction, elle met les hommes en garde