Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée

677

CONSCIENCE

678

l’ère des persécutions, elle met surtout en lumière la souveraineté de celui qui doit juger notre vie. Pour dégager la conclusion pratique et la haute signification du débat qui s’engagea entre Pelage et Augustin, et que reprirent leurs disciples respectifs, il faut considéi-er d’ensemble la doctrine augustinienne de la grâce et en suivre, dans l’enseignement ecclésiastique, le commentaire officiel. De ce point de vue supérieur uniquement, on saisira le sens catholique et la A^aleur morale du dogme de la grâce. Ce dogme est, si l’on peut ainsi s’exprimer, à double face et susceptible d inspirer deux ordres de sentiments. Dieu distribue inégalement ce don surnaturel sans lequel on ne peut parvenir à la vie éternelle ; Dieu le donne gratuitement à tous. Inégalité, gratuité. Tels sont les deux aspects de la doctrine catholique. Insistez uniquement sur le premier, oubliez le second, méconnaissez que Dieu est mort pour tous les hommes, du geste divin ne retenez que le caractère mystérieux, n’en regardez plus le généreux mouvement ; et vous serez bien près d’attribuer à la cause de tout bien la responsabilité de tout mal, et, dans un mouvement de révolte, d’émanciper la conscience humaine de l’obligation de rendi*e des comptes. On confond alors, dans les décrets divins, injustice et inégalité, arbitraire et liberté, partialité et faveur. On écrit, comme ce douloureux blasphémateur que fut M. Guyau : « A mesure que l’idée d’une puissance infinie, d’une liberté suprême, devient inséparable de l’idée de Dieu, Dieu perd toute excuse, car l’absolu ne dépend de rien, n’est solidaire de rien, et, au contraire, tout dépend de lui, a en lui sa raison. Toute culpabilité remonte ainsi jusqu’à lui. « (L’Irréligion de l’as’enir, "j" édition, p. 380). Toute culpabilité, au contraire, retombe lourdement sur la créature libre, si l’on considère, dans sa teneur authentique et intégrale, la doctrine catholique, celle de saint Paul et de saint Augustin, celle des docteurs de la foi et des maîtres de la vie spirituelle. Ce que saint Augustin et l’Eglise maintiennent contre les théories pélagiennes et semi-pélagiennes, c’est que l’homme ne peut s’attribuer ni l’ensemble ni le début de sa justification. Ses forces naturelles ne sauraient le conduire à la vision béatifique. L’aide que Dieu lui octroie vient de la munilicence divine. Si les uns reçoivent plus, les autres moins, nul n’est exclu du partage. A chacun de faire valoir le talent qui lui est confié. Les controverses d’Augustin avec le même Pelage éclairent encore le problème de la responsa])iIité par les précisions dont elles furent l’occasion au sujet des enfants morts sans baptême. Désormais, l’enseignement officiel de l’Eglise s’affirmera : les enfants morts avant d’avoir atteint l’âge de raison et sans avoir reçu le baptême, sont destinés au séjour des limbes. Dans les limbes, on connaît Dieu sans le voir, et l’on jouit de la félicité qu’eussent é|)rouvée les élus, si l’ordre actuel de providence suriialurelle n’eût pas existé. Cette doctrine théologique suppose ou entraîne une doctrine morale sur la responsal)ilité collective, en même temps qu’eUe déteruiine un élément nouveau dans la notion de justice divine. Dieu n’inflige pas de châtiments positifs aux âmes qui, exemptes de fautes personnelles, se présentent à son tribunal entachées du seul péché originel. L’alternative de la vision bcatiiique ou de l’éternel supplice ne s’applique que dans les cas de responsabilité individuelle. Ainsi reparaît, plus feruie et mieux comprise, la doctrine évangélicjue : unusquisque pro se. D’autre part, à mesure que les fidèles voient plus nettement la distinction du péché mortel et du péclié véniel, l’idée de responsabilité se dessine cii contours plus précis. Ainsi vont se déterminant, dans la pensée

chrétienne, les volontés du souverain et les attributs du juge.

Avec les doctrines théologiques du moyen âge sur la répression de l’hérésie, le courant de la spéculation chrétienne, qui se dirigeait vers le pôle divin de cette notion composée qu’est la responsabilité, commence à se renverser et à refluer vers le terme humain. Désormais, on se préoccupera davantage soit de déterminer les bornes et les obligations de la liberté morale, soit d’analyser la natiu-e, les limites, les degrés de la liberté physique.

Dans l’histoii’e de la responsabilité, les tribunaux de l’Inquisition ouvrent une période qui n’est pas close. Ils commencent un procès qui se poursuit toujours. Ils posent et résolvent, suivant les circonstances de pays et d’époque, un problème qui nous agite encore. Quels sont les rapports de la responsabilité civile et de la responsaîiilité morale ? Dans quelle mesiu-e, ayant la force en main, peut-on laisser parler, agir et écrire ceux qui, par leurs paroles, leurs actes ou leurs écrits, compromettent le salut éternel des âmes ? Doit-on protéger la vie spirituelle, comme on défend la vie corporelle ? Pour ne pas entraver la liberté, faut-il tolérer le scandale ? L’histoire de ce dilemme représente l’histoire du libéralisme, et elle comprend, parmi les périodes les plus significatives, l’époque de l’Inquisition. Enlevée de ce cadre, détachée de ce contexte, séparée de cette idée, l’Inquisition perd son caractère essentiel. On peut encore la critiquer, on peut même essayer de la défendre ; mais l’on défend et l’on critique alors une reconstruction arbitraire et trompeuse du passé. Dégagé des applications contingentes qui l’expriment imparfaitement et des abus qui le compromettent, l’esprit de l’Inquisition ecclésiastique ne s’oppose plus, comme l’ont prétendu parfois même des catholiffues, à l’esprit de l’Evangile. Quelle est, en effet, l’idée principale qui, antérieure à cette institution où elle s’incarne provisoirement, la domine et lui survit ? L’idée même que Jésus-Chi-ist a formulée en anathèmes indélébiles : l’horreur des scandaleux. Combattre l’erreur, non seulement en dénonçant les hérésies, mais en frappant les hérétiques, c’est-à-dire défendi-e l’orthodoxie par l’exercice du pouvoir répressif, c’est tout à la fois protéger et punir. Or, punir suppose un verdict de culpabilité. On déclare coupables au for interne ceux qu’au for externe on juge passibles de peines corporelles. Si donc la culpabilité morale de l’hérétique demeure incertaine, l’application du châtiment légal ne doit-elle pas rester suspendue ? On le voit, il ne.s’agit plus d’invoquer, en faveur du délinquant, un vague sentiment de mansuétude irraisonnée, mais un principe de justice et un précepte foruiel de la morale évangélique. Ce qui pratiquement retient ou modère le zèle de la maison de Dieu, c’est la crainte de commettre des jugements téméraires. On sait, en effet, combien, en matière de doctrine, il est diflicile de trancher la question de bonne foi. Là surtout s’applique la recommandation plusieurs fois renouvelée dans les Ecritures. Dieu ne juge pas suivant les pensées humaines ; l’homuie voit ce qui paraît, le regard divin pénètre jusfpi’au fond du c<rur (I Iù’i,. XVI, 7). Qui es-tu, toi qui juges le serviteur d’autrui ? S’il se tient debout, ou s il tombe, cela regarde son maître (liant., xiv). Nous ne savons pas le bien que Dieu peut tirer du mal. D<’plus, la diiréreiice entre l’erreur el la vérité n’apparaît pas toujours et du premier coup. Enfin solliciter la répression matérielle de l’hérésie, c’est praticiuement inviter le pouvoir temporel à pénétrer dans un domaine où son ingérence devient vite inopportune et dangereuse. Telles sont les considérations qui délimitent, dans la réalité complexe de la vie, le droit, théoriquement absolu,