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CONSCIENCE

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La souveraineté divine, d’une part, la liberté humaine, de l’autre, forment les deux pôles, inséparables mais distincts, autour desquels se distribuent les éléments constitutifs de la notion d’être responsable, ou encore les deux foyers de l’ellipse qu’elle décrit.

Or, il semble que, dans une première phase, la morale chrétienne s’oriente de préférence vers le pôle divin ; tandis que, dans la seconde, elle s’attache surtout au personnage humain.

Dans une première période, qui commence à la prédication évangélique, comprend l’ère des persécutions, se continue et s’achève par la controverse pélagienne, nous voyons au premier plan la suprématie souveraine de Dieu, qu’affirment, tour à tour, la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le témoignage des martyrs, l’enseignement des docteurs, et, en particulier, de saint Augustin.

Avec les tribunaux tle l’Inquisition et les discussions théologiques ou morales qu’elle soulève, commence une seconde phase dans l’histoire de la notion chrétienne de responsabilité. Soit qu’on l’exalte soit qu’on la mutile, soit qu’on l’émancipé soit qu’on l’asservisse, la liberté humaine devient le centre de la spéculation morale. Désormais, c’est à sauvegarder les limites, l’objet et les règles du libre arbitre, que s’applique l’enseignement ecclésiastique, désireux de maintenir et de développer la notion orthodoxe de responsabilité.

Encore une fois, il ne saurait être question d’une séparation mécanique ou d une addition matérielle, comme si la pensée chrétienne avait pu étudier isolément d’abord la souveraineté de Dieu, ensuite la dépendance de l’homme. Mais le rapport qui nous soumet à la juridiction divine, tout indivisiblo qu’il soit, se prête à un doul)le examen. On peut le regarder du point de vue de la théodicée ou du point de vue de la morale, du point de ue de Dieu ou du point de vue de l’homme.

Jésus-Christ parle à ses disciples de la souveraineté de Dieu, plutôt que de la liberté de l’homme. Faut-il s’en étonner ? Ses auditeurs delà Judée et de la Galilée, Matthieu le publicain et Pierre le pêcheur, avaient-ils besoin qu’on les mit en garde contre je ne sais quelles doctrines de déterminisme mécanique ou psychologique ? Leurs regards étaient tournés d’un autre côté : ils voyaient représentées à Jérusalem la majesté du peuple romain et celle des docteurs de la loi. Ce n’était pas la réalité de la liberté humaine qu’il convenait de leur rappeler ; c’était la suréniinence de la majesté divine qu’il fallait leur enseigner. Aussi Jésus-Christ leur annoncet-il, à maintes reprises, la souveraine justice de Dieu. On peut même dire que la définitive reddition de comptes occupe le premier plan, parmi les différentes perspectives du royaume des cieux. Le royaume des cieux, ou le règne de Dieu, c’est la royale sommation par laquelle tous les sujets sont appelés à justifier leur conduite ; c’est le retour inopiné du maître qui, étant parti pour un long vojage, a confié à ses serviteurs des talents à faire valoir ; c’est la convocation de l’àme au tribunal suprême, convocation soudaine comme l’irruption nocturne d’un Aoleur dans une maison mal gardée. Ah ! voilà celui dont il faut redouter la puissance. Ne craignons pas ceux qui ne peuvent atteindre que la vie de notre corps. Rendons à César ce qui est à César ; mais réservons pour Dieu ce qui appartient à Dieu. Au jour du jugement, il sera demandé compte fût-ce d’une parole inutile. Nous aurons à répondre et du mal commis et du bien omis. Ne nous flattons pas de contenter un maître exigeant, en nous abstenant de gaspiller les dons mis à notre disposition. Notre maître nous

demande davantage. Malheui- aux pusillanimes, malheur aux paresseux qui ne font pas fructifier le talent reçu ! Malheur surtout aux scandaleux ! Cette double malédiction est une réponse effrayante à ceux qui prétendent que la notion chrétienne de responsabilité manque de générosité ou d’ampleur. On voit que cette notion n’est ni purement négative, ni tout individualiste. Sans doute, la morale chrétienne insiste sur la nécessité d’éviter le péché et de réprimer les mauvais instincts de la nature. Mais elle ne se borne pas à édicler des prohibitions. Notre maître est exigeant, /io/ho ausierus. Sans doute encore, chacun répondra personnellement de sa conduite, u/nisqtilsqite pro se. Mais précisément les fautes et les malheurs dont il aura été la cause ou l’occasion Aolontaire, seront mis à son compte. Tant que dure la période d’épreuve, le prodigue peut revenir à son père, la brebis égarée peut compter sur la sollicitude du pasteur, la drachme perdue sera recherchée avec une patience inlassable. Celui qui nous a rachetés au prix de son sang veut bien pardonner septante fois sept fois au pécheur repentant. Le pardon sensible et assuré que le pénitent reçoit par l’absolution sacramentelle ne diminue pas en lui le sens de la responsabilité, s’il comprend quelles en sont les conditions. Donner aux hommes une espérance plus précise et un moyen surnaturel de revenir à la voie droite et pure, ce n’est point affaiblir leur énergie pour le bien ; de même que leur imposer la vision obsédante de l’irréparable, ce n’est pas les encourager aux labeurs de la réparation. Les incompréhensibles bienfaits de la charité divine ne font qu’aggraver notre dette et charger notre responsabilité. Gardons-nous des représailles de l’amour méconnu. Si le pécheur s’obstine dans sa négligence ou sa dépravation, s’il atteint le terme de l’épreuve sans rétracter ses torts, il a péché contre l’Esprit-Saint. La sentence de condamnation sera prononcée contre lui, sentence irrévocable et immédiatement exécutoire qui s’accomplira pendant les siècles des siècles. En même temps qu’une manifestation incomparable de la miséricorde divine, l’Evangile est une révélation sans précédent de la définitive justice, et, par là, une promulgation supérieure de la responsabilité humaine. On peut, sans exagération, parler avec Taine de « l’entretien tragique » qui se poursuit désormais entre l’àme et son Dieu.

Les persécutions forment le second chapitre, dans l’histoire de la notion chrétienne de responsabilité. Est-il besoin de remarquer que le témoignage des martyrs se rattache également à ce que nous avons appelé le pôle divin du problème ? L’heiu-e n’est pas encore venue d’analyser les conditions et de fixer les limites de la liberté humaine. Prétoires, prisons, amphithéâtres ne sont ni le champ clos des discussions philosophiques, ni des laboratoires de psychologie.. Là se pose une question d’un autre ordre. A quel I juge l’homme doit-il rendre compte de sa vie ? Dieu f est-il plus grand que César ? De Néron à Dioclétien,. tel fut le thème central de tous les interrogatoires. On sait comment répondirent les martyrs chrétiens. Il faut donc accorder qu’ils ont été frappés poiu* motif politique, si par ces deux mots l’on entend’qu’ils refusèrent de s’incliner devant l’omnipotence de l’Etat et d’adorer la divinité de l’empereur. Ce témoignage qu’ils ont rendu à la souveraineté de leur Créateur, non moins qu’à lamour de leur Rédempteur, synthétise l’histoire de trois siècles de persécution et domine toutes les explications secondaires.

La controverse pélagienne inaugure un troisième’stade dans l’histoire de la notion chrétienne de responsabilité, et, comme la période évangélique, comme