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CONSCIENCE

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catholique qui prend l’avis d’un confesseur lorsque sa propre conscience hésite, méconnaît l’importance et la signification de la responsabilité humaine. Ce n’est pas un homme, encore moins peut-il devenir un saint, au sens laïque du mot. (L’Education publique et la Vie nationale, p. xvi et xvii. Paris, Hachette, 1897.)

M. Skailles n’interprète pas autrement la notion de responsabilité : « S’interroger sur la vie. chercher ce qu’on doit penser, pour savoir ce qu’on doit faire… prendre l’initiative et la responsabilité de soi… c’est une tâche rude, un acte de courage, sans lequel il n’y a pas de moralité véritable. » (Les Affirmations de la conscience moderne, p. 128. Paris, Colin, 1908.) La doctrine catholique de la responsabilité est deux fois mesquine et insullisante. C’est une illusion de l’égoïsme, de croire que notre responsabilité se borne au mal dont nous sommes les auteurs. « Dans tout mal nous avons notre part de responsabilité. » C’est une illusion de la paresse, de chercher, dans le secours d’un sacrement, une vertu surnaturelle qui féconde notre repentir. « La seule pénitence, c’est le sentiment du péché, c’est lintelligence de la douloureuse fécondité du mal, l’efTort pour limiter, autant qu’il est pessible, les conséquences de sa faute. » La nolion laïque de responsabilité exclut tout mode surnaturel de réparation et toute absolution efficace. « 11 n’y a personne ici qui puisse faire ce que nous ne ferions pas nous-mêmes ; il n’y a pas de geste, d’acte de dévotion, de dur voyage aux lieux consacrés, de fondation pieuse, qui puisse remplacer ce jugement de l’homme sur lui-même, suivi d’un libre mouvement vers la justice et Acrs la Aérité. » (Les Affirmations de la conscience moderne, p. 128.) Remplacer, soit ; mais aider et compléter ?

M. Payot rappelle, lui aussi, aux maîtres de l’enseignement ijublic que leur tâche est de « préparer dans l’enfant l’homme responsable de demain ». (Aux instituteurs et aux institutrices, p. 35. Paris, Colin, 1900.) Liii aussi professe que ceux-là sont des faibles de volonté, qui, ployant sous le poids de leur responsabilité, demandent le secours d’en haut. Nul ne peut partager leur fardeau, ni leur communiquer un surcroît de force. L’appui étranger qu’ils invoquent n’est pas une aide qui guérit leur faiblesse, mais un opium qui endort leur conscience. A compter ainsi sur l’intervention divine, le sens de la responsal)ilité s’émousse. (Cours de morale, p. 208. Paris, Colin, 1900.)

Ecrivain ou professeur, M. Izoulet s’exprime toujours en style énergique et brillant. « Savoir de science certaine qu’il est radicalement impossible de ravoir ses actes, n’y a-t-il pas là de quoi prendre la vie terriblement au sérieux ? N’y a-t-il pas là de quoi rendre le plus étourdi réfléchi, et le plus dissipé recueilli ? Comment ne pas s’arrêter pétrifié devant le gouttre des conséquences ? Tout d’il visionnaire se voile de l’ombre qui monte des abîmes de l’avenir. » (La Cité moderne, p. 289. Paris. Alcan, 1894.) Contcm [)lation aveuglante, mais salutaire, qui sullit à convertir une âme à la vie morale. Tâchons donc, tour à tour, de remonter et de suivre le cours des événements où notre activité se mêle. « Nos tristesses et nos allégresses, c’est-à-dire nos puissances et nos impuissances, c’est le legs confus et indéclinable de nos aïeux. Nos fatalités ne sont que leurs actes éternisés en nous. Les doigts des morts sont sur nous, en nous-mêmes. Pareillement, ce que je fais aujourd’hui rive une chaîne aux pieds des g(n »’rations <[ui se lèvent dans les siècles lointains. Des millions d’inconnus, encore enfouis aux limbes de l’existence, sont déjà serfs de nos erreurs et de nos folies, n On se doute que M. Izoulet n’est pas un prédicateur

de la morale catholique. Celle-ci emploie généralement un style plus simple et plus austère. Mais, si l’on hésitait encore à classer et à caractériser la pensée que nous venons de résumer, voici qui supprimerait toute dilliculté. C’est bien à rencontre de la notion chrétienne et traditionnelle de responsabilité, que M. Izoulet élève la voix. Ecoutez-le. « Quel malheur que certaines doctrines religieuses aient énervé la puissance moralisatrice de cet axiome : rien ne s’anéantit ! Combien fausse, en effet, la doctrine de l’absolution, de la rédemption ! Racheter ! Rien n’est rachetable. Absoudre, absolvere, délier ! Me délier de ces liens qui s’appellent mes actes ! Comment cela serait-il possible ? Ce n’est ni possible, ni désirable… La vérité vraie, la vérité scientifique et morale à la fois, c’est que tout est irréparable. » Doctrine désolante, déprimante et funeste, penserez-vous peut-être. Non pas, proteste M. Izoulet. Il faut redire que tout est irréparable. « C’est pour avoir prêché le contraire, pendant des siècles, à notre humanité d’Occident, qu’on a brisé ou énervé le ressort de la moralité, x (La Cité moderne, p. 240.)

A ce groupe de professeurs, on pourrait joindre l’auteur de La Solidarité morale, Henri Marion. Nous nous contentons d’indiquer son nom, pour nous arrêter de préférence à l’œuvre morale et philosophique de George Eliot, dont M. Marion et M. Payot invoquent eux-mêmes le témoignage. George Eliot a été appelée : le poète du positivisme. Mais, non moins que les théories de la religion humanitaire, elle a popularisé les idées d’un puritanisme désespérant. Peut-être pourrait-on, sans établir une comparaison de termes trop disparates, mettre en parallèle tel de ses romans, Adam Bede, par exemple, et l’Enfer de Dante Alighieri, c’est-à-dire rapprocher deux drames qui, l’un et l’autre, illustrent d’un éclat redoutable le problème de la responsabilité, le drame moderne étant une adaptation laïque et terrestre du dogme chrétien de la damnation. Réduction bien mesquine, à tout prendre, de l’éternel malheur des réprouvés, puisqu’elle n’étend pas au delà des limites de la vie présente le supplice du remords obsédant. Mais si nous comparons le sort fait ici-bas au pécheur repentant par la doctrine catholique, et le sort que lui assigne, soit George Eliot parlant en son propre nom, soit surtout l’un de ses héros, le menuisier Adam Bede ; l’idée catholique de responsabilité apparaît singulièrement moins redoutable. Pour honteux ou désespéré qu’il soit de ses fautes, le catholique entend, du moins vaguement, au fond de sa conscience, une parole de résurrection, un appel de la miséricorde et de la toute-puissance, une invitation aux gloires de la réparation. L’Eglise n’at-elle pas bercé sa jeune âme au récit de la parabole du ]irodigue, et ranimé son espoir aux accents de VExultet ? Par la voix éclatante de la liturgie, elle lui a dit : () felix culpa.’O certe necessarium Adae peccatuni.’P.ir la voix du prêtre au confessionnal, elle a répondu, de la part de Dieu, à l’aveu de son repentir : Ego te absoho. Tout autre est le refrain qui, peu à peu, s’imprime dans l’esprit, quand on suit, dans le roman de George Eliot, la douloureuse histoire d’Adam Bede et de sa fiancée Hctty Sorel. Histoire instructive et qui serait d’une haute moralité, si elle ne laissait pas le coupable seul aux prises avec son remords, et si parfois elle s’éclairait, comme d’un rayon divin, de l’idée de rédemption.

Pédagogues, conférenciers, professeurs, écrivains, les libres penseurs que nous venons de réunir dans un premier groupe, aggravent indétiniment le poids de la responsabilité humaine par l’une ou l’autre des exagérations suivantes : ou bien, ils prétendent que l’homme doit rendre compte des maux eux-mêmes