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AGNOSTICISME

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croient se distinguer beauconp de Kant et de Spencer, en disant : Mais nons tenons cjue la réalité sous-jacente des fornuiles a en elle-même, d’une manière ou d’une autre, de quoi justifier notre croyance et nos altitudes, bien que nous soyons incapables d’expliciter aucun jugement déterminé sur cette réalité. L’équivoque de cette façon de parler provient de ce que. prises au sens où les entendent ces publicistes, ces fornmles continuent à désigner Dieu, mais par pures dénominations extrinsèques. L’habitude que l’on a de les entendre au sens objectif. fait qu’on ne remarque pas, ou qu’on oublie, les contextes qui les encadrent ; et il semble qu’après tout ils disent d’une façon baroque ce que dirait tcnit uniment M. Jourdain : nons ne vojons pas l’essence divine comme les arbres. S. Thomas, en adoptant la méthode de variation — très usitée en théologie — et en portant le débat sur l’essence divine avant la création, met à nu l’équivoque : Si vous êtes incapables d’expliciter aucun jugement déterminé sur la nature intrinsèque de Dieu, vous ne pouvez pas formuler ceci : de toute éternité, avant toute création, en Dieu se trouvait un principe interne, de soi ellicace à produire le monde, mais indifférent à le produire ; et ce principe en soi était sage et bon, indépendamment de toute hypothèse sur la création ou la noncréation du monde. Ici pas d’échappatoire du côté des dénominations extrinsèques, et il faut passer au sens absolu. Car celui qui accepte le débat sur Dieu avant la création, s’il entend la question, s’interdit tout recours aux dénominations extrinsèques. En effet, nous pensons Dieu, avant la création de tout, à l’aide de deux dénominations extrinsèques : ex jii/tilo. aiite tempiis. Mais ces deux dénominations extrinsèques nous enlèvent le droit d’avoir recours à toute autre dénomination du même genre : ce recours serait contre l’hypothèse acceptée. Transposons cette ilialectique en termes métaphysiques. Désigner Dieu par dénominations extrinsèques suppose Vexercice de la toute-puissance. Mais avant la création, cette hypothèse est nulle. Donc ; Suniiiia, L q. 13, art. ii, ad 3. Ainsi il faut passer au sens absolu. Si votre système vous interdit de le faire, c’est donc qu’il est inconciliable avec la foi, qui exige absolument qu’on puisse dire et qu’on dise en eJfet qu’avant la création Dieu était sage comme il est maintenant, et toutpuissant, soit qu’il créât, soit qu’il ne créât pas.

Celte doctrine de S. Thomas fournit la réjionse à une difficulté que font certains modernistes, ou plutôt — car la difliculté n’est pas réelle — à un moyen de propagande qu’ils emploient. Voici leur raisonnement : La religion est pour tous, les simples doivent connaître Dieu aussi bien que les théologiens. Comment i)euvent-ils y parvenir, s’il faut tant de philosopliie et tant de subtilités théologicpies pour concevoir Dieu correctement, au sens absolu, de droit et objectif ? — Réponse : i" Tous, nous avons la même foi exactement, l)ien qu’elle ne soit pas chez tous également explicite. Mais, sans aucun doute, nous n’avons pas tous la même connaissance philosophique, théologique ou mjstiquc de Dieu : c’est un fait, que les idées égalitaires à la mode ne changeront pas. De plus, il faut distinguer entre les susdites connaissances et la possil)ilité de les expliciter, d’en rendre compte. Je connais de bonnes âmes dévotes qui en savent sûrement plus long que moi sur la perfection divine, et à qui ces ])ages seraient inintelligibles. 2" Les simples n’ont besoin, quand ils font leur acte de foi, d’avuune théorie pliilosophicpu’jjour concevoir Dieu correctement, au sens absolu, de droit et objectif. Voici comment les choses se jiassent. Le eatholi(pie (j » ii fait un acte de foi sur les articles du symbole, envisage d’abord Dieu comme principe de

vérité : crédit Deo ; et donc l’acte de foi est chez lui essentiellement un jugement par lequel il tient pour vraie la formule révélée ; par suite, par la foruuile, son jugement porte sur la réalité que la formule exprime ; et si la formule exprime la nature intrinsèque de cette réalité, ce jugement porte sur cette nature considérée en soi : « Credens Deiun, respicit Deum secunduin quod in se est : crédit namque Deum esse Patrem omnipotentem etc. » (Cajet., in 2. 2, quæst. 20, art. 3.) Voir Harknt, Expérience et foi, dans Etudes. 1908, 20 avril. Mais cela, c’est concevoir Dieu au sens aI)solu, de droit et objectif. Les simples pensent donc Dieu à la façon des meilleurs théologiens. 3 « Dans l’acte de foi, l’autorité divine est la dernière raison de croire ; dans les raisonnements philosophiques, les preuves jouent ce rôle. Les preuves certaines amènent l’esprit à une conclusion nécessaire, et objectivement et subjectivement ; par conséc{uent, à une conclusion que nous u savons être vraie >. Scimus quod hæc propositio quam formamus de Deo, cum dicimus, Deus est, vera est ; et hoc sciinus ex ejus effectibus. Summa, I, q. 3, art. 4> ad 2 ; De Pot., q. 7, art. 2, ad i ; Cont. gent., l, 12. Si vraie, donc de valeur objective ; et, s’il s’agit des perfections divines, démontrables par le raisonnement, l’affirmation porte sur la réalité divine en soi, comme dans l’acte de foi : secundum quod est in se. ibid., quæst. 13.art. 8, ad 2. Encore une fois, nous voilà dans le sens absolu des noms divins. 4" On voit que dans l’un et dans l’autre cas, les simples n’ont pas besoin de théories philosophiques poiu- concevoir Dieu à la façon des théologiens. Sans doute, les démarches spontanées de leur esprit impliquent quelque philosophie, et par suite en excluent d’autres : mais il n’est besoin de connaître d’une manière réfléchie ni les unes ni les autres pour faire très correctement — et très légitimement — tous ces actes. Tout le monde, dès le bas âge, connaît par expérience ce que c’est que croire, porter un jugement objectif, sur le témoignage d’un autre : et les théories qu’il a plu à Kant d’écrire sur la croyance n’y ont rien changé et n’y changeront rien. Cf. Harent, Expérience et foi, dans Etudes, 1907, 20 oct. De même la psychologie du raisonnement philosophique que j’ai indicjuée est familière à tous. Hume a fait l’aveu que

« hors de son cabinet », il l’appliquait comme tout

le monde ; et quand il ne l’eût pas avoué, on s’en serait douté. 5^^ Nous sommes ici en face de la nature, et contre elle ce n’est pas un argument valable que de nous dire que les diverses philosophies relativistes n’admettent pas la légitimité de l’acte de foi, ni du raisonnement naturel. os adversaires veulent la foi pour les simples : qu’ils essaient de leur faii-e entendre leurs systèmes ! En réalité, si les modernistes ne comprennent pas comment les sinqjles portent des jugements corrects sur Dieu en soi par l’acte de foi ou par le raisonnement, c’est qu’à force de s’hypnotiser devant l’idole de la critique kantienne ou spencérienne, ils ont fini par perdre le sens des réalités humaines. Quant à vouloir faire le pont l’utre les philosophies relativistes, dont le dernier mot est de nier la valeur de tout jugement sur la nature intrinsèque des choses, et la foi catholique ou la philosophie naturelle de l’humanité, c’est travailler à la quadrature du cercle, au mouvement perpétuel. Les nianiaques qui se livrent à ces derniers exercices, Ibiissent ordinairement par se délier de la géométrie <"t de la mécanique. Est-ce une raison pour cesser de les cultiver ? 0" Sophisme encore que de parler ici de subtilités théologiques et de philosophie enchevêtrée. Par la foi, les simples atteignent du premier coup la vérité. Quant aux sviblilités et enchevêtrements du reste, ils se réduisent au principe de causalité et déraison suflisanle, et le Saint-Esprit