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AGNOSTICISME

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chrélien ou simplement philosophe raisonnable, celui qui dit : Le quatrième terme est existant, et les attributs absolus que j’en pense, soit par la raison, soit par la foi divine, sont en lui objectivement, non pas certes tels que je les pense (modiis cogitandi noster excliiditui), mais de façon à nie permettre de porter sur sa nature des jugenxents oljjectifs ^rais ; le vrai se déflnissant ainsi : aO eo quod res est aiit non est, oratio diciturera aut faha. Cette façon très simple de poser la question de l’agnoslicisme la dél)arrasse de beaucoup d’équivoques. Ainsi, il est clair que ceux qui ne l’econnaissent auxfornuiles religieuses qu’une valeur exclusivement morale, purement régulati^e ou pragmatique, tout en admettant l’existence de Dieu connue par expérience, sentiment, ou de cjuelque autre façon, sont tout simplement des agnostiques dogmatiques.

Que répond S. Thomas ? En face d’un adversaire qui n’accordait même pas que les noms de Dieu se disent de lui, au moins à cause d’une lointaine ressemblance comme lorsqu’on appelle animal le portrait d’un chien, — et tous les agnostiques dogmatiques en sont là — S. Thomas i" raisonne en théologien et remarque que s’il en est ainsi le texte de S. Paul, invisibilia enim…, Rom.^ i, 20, n’a plus de sens, Siimnui, I, q. 13, art. 5. Nous voilà loin d’une différence entre le thomisme et Maïmonide « uniquement quant à la façon de parler ». 2" Il montre en philosophe l’absiu’dité de la position de Rabby Moyses. Maïmonide admet les arguments d’Aristote pour démontrer l’existence de Dieu ; mais c’est un premier principe de la logique que d’une propriété démontrée pour l’animal qui est un chien on ne peut rien conclure au Chien, constellation. Or, d’après la thèse du philosophe juif, les preuves de l’existence de Dieu contiendraient toutes nécessairement un sophisme de ce genre. Il faut donc qu’il reconnaisse, puisqu’on démontre Dieu, un certain rapport entre le monde et Dieu, iOid. ; De Potentiel, quæst.y.art.^. D’ailleurs, un certain rapport de similitude entre toujours dans la relation causale, ibid. Rien de plus facile que d’accommoder cette argumentation aux dilférentes formules de l’agnosticisme dogmatique : d’une manière ou de l’autre — la question génétique importe ici peu — il croit à l’existence de Dieu, et donc il la pense au moins sous la forme de quelque chose à quoi il applique la notion ([’existence. Ces notions appliquées à Dieu sont-elles de pures équivoques ? L’argument de S. Thomas indique nettement sa pensée. (Cf. Cajktax, lettre à Ferrariensis, S. Thuniæ opéra, "S’enetiis, 15g ! i, t. 1-, opusc. Cajelani, t. III, tract. G ; S. Thomas, De Verit., quæst. 1, art. i ; De Pot., q. 7, art. 2, ad 7 ; q. g, a. 7, ad 6 ; Sunima, I, q. 13, art. 11, ad 3 ; 1, d. 8, q. 1, a. 3. Ji ;.N DE.S. Thomas a d’ailleurs pris grand soin d’écarter de l’analogie de proportionalilé toute équivocjne : Analoga prcporlionalitalis propriæ possunt habere conceptum ununi (agitur tain de conceptu objectis’o quani de formali, etc.), Logica, quæst. 13, art. 5 ; cf. art. 3, et quæst. i ; ^, art. 5. C’est donc à tort qu’on essaierait de conq)romellre l’ancienne école thomiste, même bannézienne, et de la présenter comme favorable à l’agnosticisme. 3" Ces deux points acquis, S. Thomas, qui sait très bien que le rapport de Dieu au monde qui sert de base à tous nos raisonnements sur Dieu, Conip. t/ieolog., cap. 26 (al. 27), peut être conçu de plusieurs manières (univocité ontologicpie, proportionalité, proportion, attribution intrinsètpa-, attribution extrinsèque), 1" écarte l’attribution exlrinsèciue, 2" observe que si l’univocité ontologi(iuc était donnée entre la bonté divine et la bonté créée, aucune des absurdités que déduit INIaimonide contre les attributs absolus ne suivrait, pourvu qu’on retint — comme font encore les Sco tistes — l’analogie logique, De Pot., q.-^, art. 7 ; 3° puis, s’attachant aux diverses analogies, il explique que le rapport de similitude|qu’elles impliquent toutes, et à l’aide duquel nous connaissons l’essence divine en soi d’une façon délinie l)ien qu"inq)arfaite, n’entraîne pas a) que Dieu soit semblable à l’honnue ; on ne dit pas qu’Hercule soit semblable à sa statue, mais bien i’ice’^ersa ; Suinma, I, q. 41 art. 3 ; De Verit., q. 23, art. 7, ad 11 ; cf. Ysambert, in I, quæst. 4, ai"t. 8 ; b)ni que la dift’érence entre Dieu et l’honnne soit seulement du plus au moins. De Verit., q. 23, art. 7, ad 9 ; c) ni que l’essence divine soit définissable, à cause du manque de vision intuitive, ou de connaissance c]uidditative et compréhensive ; De Verit., q. 2, art. I, ad 9 sqq. ; art. 11, ad 6 ; De Pot., quæst. 7, art. 5, ad 6 ; art. 3, ad 5. Summa, I, q. 13, a. 5.

Ces conclusions, cjui sont communes à toute l’Ecole

— Occam, Biel etc. les admettaient, bien que peu cohérentes avec leurs principes, — montrent bien, la première, que l’agnosticisme dogmatique est inconciliable avec la foi, cf. Eymericus. Directoriuni inquisitoruin, part. 2, quæst. 58, quæsl. fi, Errures Aiite

«  « rte. prop. 13 ; Alc/tindi, prop. 5 ; Rabby Moysis, 

prop. I, 2 et 3 ; Roinae, 1585, p. 204 sqq. ; voir Denz., 028(455), 1785(1634), 1806 (1 653) ; la seconde, qu’il manque de bonne tenue logique ; la troisième, qu’il est impuissant à nous acculer à l’absurde. Mais elles sont loin de constituer toute la docti-ine catholique sur le grave sujet qui nous occupe. D’ailleurs, en tant que les deux dernières sont défensives et sjstématiques, elles supposent une pensée constructive et doctrinale, que les réponses fondamentales de S. Thomas aux conclusions de Maïmonide vont nous donner l’occasion d’exposer. On ne détruit fjue ce qu’on remplace.

4" a) Maïmonide concède que les attributs de Dieu expriment un rapport causal, mais seulement de fait, comnie quand on dit : « C’est Zéid qui a charpenté cette porte, sans penser à la capacité artistique de Zéid. » Il est certain que tous nous parlons souvent ainsi. De Verit., quæst. 2, art. 1 ; la question est de savoir si les attributs que nous donnons à Dieu n’ont pas d’autre sens. — Réponse, i’^ Argument théologique. Si, lorsqu’on dit : « Dieu est bon >', l’on n’entend rien de plus que ceci : « Il existe, et il a produit cet eiïet qui est bon », on pourra dire aussi bien :

« Dieu est le ciel. Dieu se meut », puisqu’il est la

cause du ciel et du mouvement ; et, ainsi appliqués à Dieu, tous les noms seraient sjnonymes, Suinma, 1, q. 13, art. 4- Mais ni l’Ecriture ni les lidèles n’entendent les choses de la sorte. Donc. D’ailleurs, les Pères disent : quia est sapiens, sapienliam causât ; et dans la controverse anoméenne ils ont réfuté la synonymie des noms divins. Si quelcjnefois ils disent : Deus est sciens, quia scientiam causât, ils n’expriment par là que l’ordre logiijue de notre connaissance, et non l’ordre ontologique ; De Pot., quæst. 7, art. 6 ; DeVerit., q. 2, art. i. 2" Argument philosophique, hase siw le principe de causalité et de raison sullisante. L’elYet procède de sa cause suivant un mode d’être déterminé par lecpiel il lui ressemble ; le principe de raison sullisante exige donc que la cause soit d’abord déterminée (aliqualem) avant que l’ell’et le soit (lalem). De Pot., q. 7, art. 6. Car toute action est produite par sa cause en vertu d’un principe qui est dans cette cause ; donc, si Dieu produit l’ellet que nous appelons science, il faut qu’il y ait en lui quelque chose qui réponde à la détinition de la science, i, disl. 35, art. i, ad 2. Le sens de la formule « Dieu est bon » est donc : Id quod bonitalem dicimus in creaturis præe. ristil in Deo, et hoc quidem secundum modum altiorem, i, quæst. 13, art. 2. 3" S. Thomas ajoute ici une considération de grande importance apo-