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AGNOSTICISME

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qiic le ciel n’est ni léger ni pesant d, cf. De Pot., q. 7, art.’j, ad i, contra. « Et rjue sera-ce de nos intelligences, si elles cherchent à saisir celui qui est exempt de matière, cjui est d’une extrême simiilicité, l’Etre nécessaire, qui n’a point de cause, et qui n’est affecté de rien cpii soit ajouté à son essence parfaite, dont la. perfection signifie négation des imperfections, comme nous l’avons exposé ? Car nous ne saisissons de lui autre chose si ce n’est qu’il est, qu’il y a un être auquel ne ressemble aucun des êtres qu’il a produits, qu’il n’a absolument rien de commun avec ces derniers, qu’il n’y a en lui ni multiplicité, ni impuissance de produire ce qui est en dehors de lui, et que son rapport au monde est celui du capitaine au i-aisseau ; non pas que ce soit là le rapport Aéritable, ni que la comparaison soit juste, mais elle sert de guide à l’esprit pour comprendre que Dieu gouverne les êtres, c’est-à-dire qu’il les perpétue et les maintient en ordre, comme il faut » ; chap. 58, p. 2/17.

Ailleurs, Maïmonide exprime la même idée par une formule ésotérique. R’Hanînà a dit que si on vantait pour posséder des pièces d’argent un roi qui posséderait des millions de pièces d’or, on lui ferait injure. Celte formule mystérieuse signifie que les noms absolus que nous donnons à Dieu doivent se prendre au sens purement négatif. L’interprétation paraît étrange ; elle est pourtant assez facile à comprendre. On sait que S. Augustin, pour exjîliquer comment les attributs relatifs n’entraînent pas de changement dans l’essence divine, s’est servi de la comparaison de la pièce de monnaie qui n’est pas intrinsèquement changée par les diverses dénominations extrinsèques que nous lui donnons à la suite de différents contrats : arrhes, prix de vente, don, etc. Transportez cette idée aux attributs absolus de vie, science, volonté, et vous Acrrez cpi’ils n’ont plus cju’un sens purement négatif, sans exprimer rien qui soit véritablement intrinsèque à Dieu ; t. I, p. 269.

Kant, dans ses Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, a repris la position des néoplatoniciens et de Maïmonide.

« De même qu’une horloge, un vaisseau, un régiment

se rapportent à un horloger, à un ingénieur, à un colonel, de même le monde sensible se rapporte à l’inconnu dont mon intelligence n’atteint pas ce qu’il est en lui-même, mais du moins ce qu’il est pour moi, c’est-à-dire son rapport au monde dont je suis une partie », § 5^. Le rapport du capitaine au vaisseau, c’est un emprunt fait à Aristote ; mais la seconde partie de la phrase est de Maïmonide, qui du cas singulier des nombres imaginaires concluait à la possibilité de penser le rapport à d’autres objets d’un objet X, dont nous n’avons aucun concept détei-minable. Une note de Kant explique bientôt comment nous pouvons concevoir le rapport du monde à l’inconnu.

« Je puis concevoir nettement le rapport des choses

qui me sont totalement inconnues. Par exemple le soin du l)onheur des enfants (= a) est à l’amour des parents (1= b) ce qu’est le salut du genre humain (=c) à l’inconnue en Dieu (=jr) que nous appelons Amour. Je ne prétends point que cet Amour ait la moindre ressemblance avec une inclination humaine ; mais nous pouvons comparer le rapport qu’il soutient avec le monde au rapport que les choses du monde soutiennent entre elles. Mais le concept de rapport, je veux dire celui de cause, n’est ici qu’une pure catégorie », § 58. Paris, 1891, p. 212. « L’être sui)rcme considéré en lui-même nous est tout à fait impénétrable, et par suite il est inq)ensable d’une façon déterminée : ce qui nous enq)èclie de faire un usage transcendant du concept que nous avons de la cause efliciente (par la volonté), pour déterminer la nature divine par des propriétés simplement emin-un tées à la nature humaine. » Ed. Born, t. II, p. 123.

« Le seul discours qui convient à notre infirmité est

celui-ci : nous pensons le monde comme s’il venait d’une intelligence supérieure cjuant à son existence et quant à ses détcrndnations intrinsèques. » Et en note : « Je dirai : la causalité de la cause suprême par l’apport au monde se conçoit par le rapport de la raison humaine à l’œuvre d’art. Mais en cela la nature de la cause suprême me demeure inconnue : je compare seulement son effet connu de moi (l’ordre du monde) et la conformité de cet effet avec la raison, avec les effets de la raison humaine qui me sont connus ; et par conséquent j’appelle la première cause une raison ; mais je n’attribue point pour autant à cette première cause comme une propriété, la même chose que j’entends quand je parle de la raison de l’homme, ni quelque autre qualité que je connaîtrais d’ailleurs. » Ibid., § 58.

De son côté, M. Bergson se souvient des « pièces et de la monnaie » rabbiniques, Evolution créatrice, Paris, 1907. Critiquant Aristote et Platon, il écrit :

« La philosophie des Idées établit entre l’éternité et

le temps le même rapport qu’entre la pièce d’or et la menue monnaie », p. rJ/j3.Dansle sjstème d’Aristote,

« la vraie relation causale est celle qu’on trouve entre

les deux membres d’une équation, dont le premier membre est un terme unique et le second une sommation d’un nombre indéfini de termes. C’est, si l’on veut, le rapport de la pièce d’or à sa monnaie », p. 351. Bien entendu, M. Bergson, comme Maïmonide, ne voit dans tous ces rapports « rien de véritable » ; mais ils lui servent à guider son esprit vers cette idée cpie « Dieu perpétue les êtres » ; et il parle « d’un centre d’où les mondes jailliraient commes les fusées d’un immense bouquet — pourvu toutefois que je ne donne pas ce centre comme une chose, mais pour une continuité de jaillissement. — Dieu ainsi défini n’a rien de tout fait ; il est vie incessante, action, liberté », p. 270. Mais n’allez pas prendre ces derniers mots au sens positif ; tout le monde sait que chez M. Bergson c’est une sorte de refrain que tout se passe comme si. Maïmonide n’a jamais dit autre chose ; le luthérien ïroeltsch a vu juste : « Le modernisme, c’est une nouvelle espèce de néoplatonisme et de gnosticisme » ; cf. le Deus causa sui du D"" Schell.

Avant de donner la réponse de S. Thomas, pour permettre au lecteur de bien saisir comment il résout à la fois les difficultés de Maïmonide, de Kant, de M. Bergson et réfute toute l’erreur moderniste, synthétisons le problème agnostique. Etant donné que nous pensons toujours la nature simple de Dieu, et même la simplicité divine, par des concepts tirés de l’expérience, le contenu de toutes les formules religieuses sur la nature de Dieu, connue par la seule raison, peut toujours s’exprimer par l’une des proportions indiquées par Maïmonide d’après Aristote. Cette petite opération faite, est athée celui qui dit : Le quatrième terme est de la pure imagination : deos fecit timor : la religion est une catégorie formelle fondamentale dont le contenu n’est en aucun cas nécessairement réel. Est agnostique pur, celui qui dit : On ne peut rien savoir du ([ualrième terme, pas même le fait brut de son existence. Est agnostique croyant ou dogmatique, celui qui dit : Le quatrième terme désigne bien quelque chose de réel (Dieu, le divin, l’Inconnaissable, l’Inconnu, la réalité sous-jacenle, le fond substantiel de l’être, etc.), mais je ne puis allirmer objectivement ce que j’en pense : d’où toutes les religions se valent théoriquement, puisque le contenu d’aucune n’est logiquement déterminable. Cf. Bibliothèque du congrès international de philosophie de 1900, Paris, t. lî, p. 819, Siiumel, de la religion au point de vue de la théorie de la connaissance. Est