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CŒUR DE JÉSUS (CULTE DU)

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sensible et expressive de cet amour. Sans compter les textes plus anciens, mais sporadiques, qui établissent un rapprochement entre le cœur de Jésus et son amour, ou y font allusion, — sans témoigner toutefois de l’existence d’un culte, même pas d’une dévotion, — la vénération du sacré Cœur symbole d’amour est attestée dans les écrits de tel ami et de tel disciple de saint Bernard. Puis la dévotion prend consistance et se fornmle à l’occasion fort nettement, comme dans la Vitis mystica de saint Boy A^^ESTVB.K{fl 2’^ li). (Opéra omnia, éd. deQuaracchi, t. VIII, opusc. lo.) Au xiii’siècle, elle est habituelle aux deux moniales de Helfta, saint Mechtilde (-j- 129g) et sainte Gertrude (-[-vers 1303). Durant les deux siècles suivants, elle se propage, mais plus qu’elle ne se développe. Au xvi^ siècle elle franchit les frontières de la mystique pour faire, avec Louis de Blois, Lansperge et Jean d’Avila, son entrée définitive dans l’ascétisme, sous une forme nouvelle, plus objective : on la propose avec exercices déterminés ; on en fait ressortir la valeur ; on en recommande la pratique. Déjà il y aurait eu bien des noms à ajouter à ceux qui viennent d’être cités ; au XVII* siècle la liste s’en allongerait démesurément : à cette époque, en effet, c’est chose commune de rencontrer la dévotion au sacré Cœur, soit accidentellement et en passant, soit d’une façon ordinaire et par pratique assidue, chez les âmes adonnées à la vie intérieure, aussi bien dans le monde qu’en religion, et dans les pages des œuvres spirituelles les plus diverses — voire celles d’Angélique Arnaud et du P. Quesnel. Bossuet, qui, à en croire certains, aurait dû se prononcer contre le culte du sacré Cœur, s’il l’eût connu, se montre, au contraire, très proche de le professer expressément et y achemine les esprits, par exemple au 3^ point du Panégyrique de l’apôtre saint Jean (Metz, prob’1658) et au cours du Sermon pour la fête de l’Annonciation (Carême du Louvre, 1662). (Œuvres orat., éd. Lebarq.. t. II, p. ô/Ji et suiv. ; t. IV, p. 187 et suiv.) En outre, voici que la dévotion, restée simplement privée jusque dans sa diffusion plus étendue, vient alors (1670) à passer, sur l’initiative et sous l’impulsion du B. Jean Eudes, dans le domaine du culte liturgique. Peu après — et sans grande dépendance directe de ce passé préparatoire — la religieuse visitandine Marguerite-Marie Alacoque devient l’instrument choisi et employé par Notre-Seigneur lui-même pour déterminer un mouvement merveilleux, tout à la fois de précision et d’universelIe extension, au profit tant de la dévotion intime que du culte public. (Pour le détail de ce développement historique avant Marguerite-Marie, voir Bainvel, ouv. cité, III<= part., ch. i, où une documentation déjà abondante est enrichie d’indications facilitant une plus ample information ; sur les monuments iconographiques de la même période, voir Grimoûard de Saint-Laurent, Les Images du Sacré-Cœur, au point de vue de l’histoire et de l’art, articles publiés dans la Revue de l’art chrétien, 1878-1880, puis réunis en volume, Paris, 1880.)

Dans quelle mesure le culte du sacré Cœur dépend-il des révélations de Paray-le-Monial ? Aucunement, en droit ; en partie seulement, en fait. En droit, — cela ressort de tout ce qui précède, — le culte du sacré Cœur a pleines valeur et légitimité intrinsèques ; les fondements sur quoi il repose sont d’ordre théologique ; il se justifie et se recommande par lui-même, sans nul besoin de cautions du dehors. C’est en lui-même que l’Eglise l’a jugé et approuvé, abstraction faite totalement de communications surnaturelles à l’appui. Cela est si vrai que plus d’un demi-siècle s’est écoulé entre le décret approbatifde 1765, portant autorisation de la fête, et l’examen des révélations reçues par Mai-guerite-Marie, premier acte des procès

apostoliques qui devaient aboutir à la béatification de la servante de Dieu. Ces révélations ne se fussent-elles pas produites, eussent-elles été reconnues illusoires et controuvées, que le culte du sacré Cœur n’en serait pas moins solidement fondé et parfaitement légitime. Historiquement, le fait est qu’une éclosion, une formation, une propagation, lentes mais réelles, de la dévotion au sacré Cœur sont antérieures, et de beaucoup, à l’œuvre de Marguerite-Marie, et que, en matière même de culte liturgique, la priorité appartient au B. Jean Eudes. Il reste que l’intervention de Notre-Seigneur — qu’on ne saurait méconnaître sans témérité dans les révélations de Paray — et l’action personnelle de Marguerite-Marie, ont eu pour effet de donner une impulsion décisive à l’empressement durable des fidèles, d’inaugurer pour la dévotion et le culte du sacré Cœur une ère de diffusion sans précédent pour l’amplitude et l’importance, d’introduire dans la manière de les comprendre et de les pratiquer plus de netteté et de fixité, avec plus d’ampleur aussi.

Des origines du culte du sacré Cœur, de sa marche progressive, de la diversité et de la multiplicité de ses précurseurs, adeptes et propagateurs, il faut tout ignorer ou tout dissimuler pour imputer aux Jésuites l’invention de ce culte, comme le fait, entre autres, le rédacteur de l’article Herz-Jesu-Kultus dans la Real-Encykiopadie fiir protestantische Théologie^ (t. VII, p. 777). Ceux qui tiennent ce propos l’expliquent généralement en ce sens que les Jésuites auraient suggéré à Marguerite-Marie de prétendues révélations qu’ils auraient exploitées et dont ils se seraient autorisés. Remarquons, au préalable, que, même dans une telle hypothèse, ils n’eussent point pour autant imaginé et créé cette dévotion, vu qu’elle se trouvait déjà existante par ailleurs et d une croissante vitalité. Mais, au surplus, l’accusation est une pure calomnie, et une calomnie sans apport de preuves, en opposition radicale avec ce que l’on sait positivement non seulement du caractère, mais encore de la conduite, sur ce point particulier, des quelques Jésuites qui dirigèrent Marguerite-Marie ou furent personnellement en rapport avec elle. (Voir A. Hamon, Vie de la bienheureuse Marguerite-Marie, Paris, 1907, et P. Charrier, Histoire du vén. Père Claude de La Colomhière, Lyon-Paris, 189/1.) Il n’est pas hors de propos d’ajouter ici que les autorités constituées de la compagnie de Jésus, loin de se montrer prêtes à encourager et à patronner le mouvement parti de Paray-le-Monial, l’accueillirent au contraire a^ec une réserve et par une abstention marquées, et qu’elles mirent le temps à se départir de cette attitude. (Cf. A. Hamon, ouv. cité, p. t’ii et suiv.)

Lancée à tout hasard, durant une polémique où les Jansénistes faisaient flèche de tout bois, la légende qui attribue à Thomas Goodwin la paternité de la dévotion au sacré Cœiu" ne supporte pas l’examen. Elle a cependant été assez souvent prise complaisamment au sérieux, pour que force soit de ne pas la passer sous silence.

Thomas Goodwin (1600-1680), — théologien et ministre puritain en renom, de la secte des Indépendants ou Congregationalists, lié avec Olivier Cromwell, mis par le Long Parlement à la tête de Magdalen Collège à Oxford (1650), retiré à Londres lors de la Restauration, et là uniquement occupé jusqu’à sa mort (1680) d études théologiques et de la direction spirituelle d’une petite « congrégation », — a composé un traité assez court intitulé : The heart of Christ in heaven towards s’inners on earth, or a treatise demonstrating the gracious disposition and tender affection of Christ in his human nature now in glory unto his memhers under ail sorts of infirmities