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CERTITUDE

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le coup d"œil, le flair, le tact, le bon sens, le jugement, ne sont guère que des manifestations dans des ordres divers de ce pouvoir que nous avons d’atteindre la vérité ; c’est dire assez l’importance de la certitude naturelle. On peut ajouter qu’elle est même supérieure à la science : l’effort que nous faisons pour analyser nos raisons de juger, pour débrouiller l’écheveau de nos motifs d’adhésion, pour substituer îme formule à une vie, reste pai-fois infructueux, si même il n’aboutit pas à nous enlever le repos. Pourtant la recherche d’une certitude philosophique est légitime, tout à fait dans le sens de notre nature, et si elle est entreprise avec la prudence et l’humilité voulues, ne peut donner aucun funeste résultat, "

2° Certitude absolue et certitude hypothétique. — Les jugements, matière à certitude, sont de deux sortes, les uns portant sur un fait, relatifs à un sujet concret, singulier (jugements d’existence), les autres portant sur une loi, exprimant le rapport d’un attribut à un sujet abstrait, universel (jugements d’ordre idéal). Occupons-nous d’abord des lois. De nouveau, on en distingue de deux esijèces : les unes sont nécessaires, c’est-à-dire indépendantes de tout choix d’une volonté libre ; le Créateur lui-même n’aiu"ait pu faire que le tout fût plus petit que la partie, que quelque chose jjùt naître sans cause, que deux et deux ne lissent pas quatre : on appelle parfois ces principes « métaphysiques » ; l’épithète de « nécessaires )) les caractérise mieux. D’autres lois sont

« contingentes », c’est-à-dire découlent des essences

des choses, telles qu’il a plu au Gréateiu- de les constituer ; ce sont les lois « physiques », par exemple

« le phosphore fond à 44 degrés », « l’eau se

décompose en oxygène et hydrogène, et les volumes des composants sont entre eux comme i et 2 » ; alors que les précédentes sont obtenues ou bien par une intuition immédiate, ou bien par déduction de jugements immédiats, celles-ci sont le résultat d’une induction. Mais cette double différence dans la matière, nécessaire ou contingente, et dans le mode d’acquisition, déductif ou inductif, n’en entraîne aucune dans le genre de certitude : c’est dans l’un et l’autre cas une certitude absolue. Et remarquons-le, cette certitude absolue s’étend même aux lois morales, qui ne sont qu une catégorie i)arlioulièrc des lois physiques, celles qui concernent la nature morale de l’homme, ou, comme on dit encore, le monde moral ; elles seront sans doute plus complexes, et, en pratique, plus difficiles à dégager des faits, mais, une fois obtenues, si elles sont véritablement des lois, et non des formules empiriques exprimant ce qui se passe

« le plus souvent », elles engendreront dans l’esprit

une certitude absolue.

En est-il autrement des jugements de faits ? Quand le fait affirmé est l’objet d’une intuition immédiate, sensible, par exemple : « ceci est rouge », ou quand il est déduit comme application d’une loi physique, par exemple : « ce bruit est une décharge d’électricité atmosphérique », ou quand il porte sur l’application future d’une loi physique, comme « le soleil se lèvera demain à telle hem-e », sa vérité est subordonnée à l’hypothèse qu’il n’y a pas, ou n’y aura pas miracle, c’est-à-dire suspension par la cause première de la loi qu’elle a posée ; par conséquent on n’en peut avoir qu’une certitude hypothétique. Pour un fait futur, on voit facilement ce que produirait sur moi le miracle : je serais déçu dans mon attente ;

— pour un fait présent : Dieu pourrait, par exemple, avoir une raison de transj)orter ailleurs un corps que j’avais là devant moi, et de produire en moi les mêmes impressions sensibles que produisait ce corps. Cela posé, faut-il encore accorder le nom de certitude à un état d’esprit qui n’exclut pas absolument l’er reur’? l’expression de « certitude hypothétique » est-elle acceptable ? — Oui, répondaient sans hésiter les anciens ; et ils arguaient du langage ordinaire qui répugne à appeler « probabilité » un tel état d’esprit, qui fait presque tout le fond de notre vie pratique. Il semble à quelques-uns que cette réponse n’est plus compatible aA’ec le sens strict, i-igoureux, et, poiu" tout dire, essentiellement absolu, qu’a pris de notre temps le mot « certitude ». Au reste il n’y a pas, à s’y accommoder, de danger sérieux. Pour la pratique de la vie, la « certitude morale, au sens large du mot, suffit ; on l’appelle quelquefois certitude « prudentielle », et le mot est heureux ; d’ailleurs, quand bien même l’hypothèse du miracle serait possible pour toutes nos intuitions sensibles prises distributivement, elle ne le serait que pour un très petit nombre de ces mêmes cas, pris collectivement. Quant aux nécessités de l’apologétique, il faut remarquer que les faits religieux, qui basent notre foi, ne sont pas objets d’une certitude simplement hypothétique : l’hypothèse d’un miracle produisant une illusion invincible dans une circonstance qui engage l’avenir moral de toute l’humanité, est absurde.

3° Certitude nécessaire et certitude libre. — Qu’il y ait des certitudes nécessaires, c’est-à-dire, déterminées fatalement, irrésistiblement par une évidence qui s’impose, la chose ne paraît pas contestable. Dans la parole célèbre « Dès longtemps on aurait nié que deux et deux fissent quatre si l’on y avait eu quelque intérêt », il ne faut sans doute voir qu’une boutade. Et ce n’est pas seulement en matière métaphysique, mais encore en matière morale qu’on rencontre la certitude nécessaire : suis-je libre de croireque Rome existe ? qu’un roi de France s’est appelé Louis XIV ?

Mais y a-t-il des certitudes libres ? et quel rôle y joue la volonté ? Cette question, si importante pour l’étude de la foi, exige que nous traitions de l’influence de la volonté dans l’assentiment.

a) Dans tout assentiment, la volonté a au moins une part indirecte. si ce n’est pas toujours elle qui choisit l’objet de la recherche et qui y dirige l’attention de l’esprit, c’est elle entons cas qui l’y maintient, et cela peut-être malgré bien des obstacles, un découragement à la suite d’efforts infructueux, un désir de changer d’objet de recherche ou de passer promptement à l’action. Ne parlons pas du rôle de la volonté dans l’expression extérieure, par le langage, de la vérité perçue : c’est extrinsèque, consécutif à l’acte proprement intellectuel qui s’appelle le jugement.

b) Dans certains cas, le résultat d’une recherche est celui-ci : on a réussi à réduire la proposition étudiée à d’autres propositions déjà certaines, peut-être intuitives, mais, soit longueur de la chaîne des raisonnements, soit complexité ou difficulté du sujet, soit conséquences pénibles à accepter, toute inquiétude n’est pas calmée, des objections se présentent encore, et l’assentiment n’a pas lieu ; tout au moins n’est-il pas durable, manque-t-il de cette stabilité, de cette constance, de cette vigueur calme réclamée par la vie intellectuelle ou morale ; l’esprit, tiré fortement d’un côté, est en même temps tiraillé en sens dÎAcrs, et entravé dans sa marche. C’est alors à la volonté à imposer silence aux doutes, reconnus « imprudents », et à rendre ainsi possible l’assentiment : certitude valable, absolue, mais libre, conquise. Un exemple fera comprendre le cas. Supposons unhistolien qui veut savoir s’il peut se donner comme certain d’un fait, attesté par plusieurs contemporains ; recherches faites, le nombre et la qualité des témoins sont tels qu’on ne peut douter que le fait n’ait eu lieu ; mais il se trouve qu’un auteur, d’excellente information, bien placé pour observer ce fait, n’ayant aucun