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CERTITUDE

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toutes factices que leur a imposées une mauvaise éducation intellectuelle. L’exposé même du moyen par lequel nous arrivons en fait à reconnaître la vérité, constitue la meilleure réfutation du scepticisme.

Nous avons déjà vu que le doute universel n’est pas possible, même à l’étal d’altitude ; il faut aller plus loin encore, et dire qu’il n’est pas possible comme attitude pro^’isoire, à titre de méthode pour reconstruire ensuite l’édifice de la science humaine : devant certaines évidences immédiates, tout au moins, l’esprit humain ne peut suspendre son acte ; et, le pùt-il, c’en serait fait de toute science, à moins de sortir du doute par un clioix de pur caprice, acceptant ici la même évidence qu’on rejette là. Descaktes n’est pas un sceptique, mais son système devait conduire, et a conduit souvent au scepticisme.

Il ne faudrait pas s’exagérer l’importance des objections du scepticisme ; elles sont parfois difficiles à étreindre, et l’apparente prudence de l’adversaire peut masquer le caractère factice de son doute ; mais on trouvera toujours à le mettre en contradiction avec lui-même, c’est-à-dire à le prendre en flagrant délit de certitude : tout au moins sait-il le sens des mots qu’il emploie, et distingue-t-il nettement l’affirmation de la négation ! N’oublions pas non plus les leçons singulièrement instructives de l’histoire : on ne peut nier quil y ait eu, dans tous les temps, des disputeurs faisant métier d’embarrasser l’adversaire, et des écrivains trouvant un facile succès à humilier la raison humaine, mais on peut douter que le scepticisme intégral ait jamais paru en philosophie. « Le père du pyrrhonisme paraît avoir été fort peu pyrrhonien », écrivait BROcnARO à la (in d’une étude sur Pyrrhon (Revue pliilosophique, 1885, I, p. 52’j) ; Sextos Empiricus avertit son lecteur que ni lui ni aucun (( sceptique » n’a jamais mis en question les données immédiates de la conscience, les impressions subjectives ; plus tard Hume et Stuart Mill parleront de même. Aujourd’hui le scepticisme universel paraît bien être un mythe. Voici ce que dit l’idéaliste Paulsen, après une énumération des divers systèmes philosophiques touchant la valeur de la connaissance :

« Les historiens de la philosophie mentionnent encore

d’ordinaire une autre forme de théorie, le scepticisme ; sa formule serait : nous ne pouvons absolument rien connaître. De temps en temps il se trouve encore quelqu’un qui se donne la peine de réfuter cette manière de voir. Peine inutile, ce me semble. Si le scepticisme réel a jamais existé, en tous cas, dans les temps modernes, il est bien mort. On n’y trouve plus un seul philosophe qui doute de l’existence d’une science véritable, différant de l’ignorance. » Et après avoir montré que c’est se méprendre que d’appeler Hume ou Kant des sceptiques, il ajoute : « Il n’en est pas autrement, que je sache, du reste des prétendus sceptiques : ils ne contestent ni la possibilité, ni l’existence des sciences, ils insistent seulement sur le caractère restreint et précaire de la science humaine, par rapport à un idéal possible de connaissance, tel qu’il peut être réalisé dans une intelligence divine. Le scepticisme dans la philosophie moderne est proprement la tendance à s’opposer, dans tous les domaines, aux prétentions de la spéculation transcendante ; il a double visage et défend à la fois la croyance religieuse et la recherche expérimentale contre les empiétements de la spéculation. » (Eiiileitunf ( in die Philosophie, 16" édit., Stuttgart 1906, p. 368. On trouvera une déclaration semblable dans Brociiard, /^e l’Erreur, 2’édit., Paris 1897, p. io4-io8.)

Mais dans ces dernières paroles se cache le venin : la plupart des systèmes philosophiques actuels sont des scepticismes partiels, et n’évitent le scepticisme

total qu’au prix d’un illogisme. Admettre l’évidence du phénomène et rejeter celle de la chose (idéalisme), récuser l’évidence du px-incipe pour admettre celle du fait (positivisme), exclure l’évidence du témoignage quand il porte sur une intervention supra-humaine (rationalisme), c’est amputer sans motif sérieux notre faculté de connaître, et lui faire une blessure mortelle.

3° Les faux critères. — Divers critères de vérité qui ont été proposés (consentement universel, Lamennais ; révélation divine, Huet, de Donald ; instinct de nature, Reid ; sentiment, Jacobi…) ne méritent pas de nous arrêter longuement. Ils procèdent d’une défiance injustifiée vis-à-vis de la raison humaine ; ils n’ont de fondé que ce qu’ils empruntent à l’évidence, et, pour ne pas l’accepter partout, n’évitent le scepticisme qu’au prix d’un illogisme.

Une imprudence beaucoup plus grave et moins justifiable encore, consiste à faire de la certitude une pure affaire de volonté ; l’homme croirait uniquement parce qu’il veut croire ; aucune certitude ne pourrait être justifiée suffisamment par des motifs ressortissant à la seule raison, il y faudrait l’intervention de la volonté libre imposant l’assentiment. Cette théorie a été présentée de diverses façons par Kant, Jouffroy, Renouvier ; c’est la théorie de la croyance, très répandue aujourd’hui. Elle aussi, sous cette forme intransigeante, mérite les critiques faites ; elle revient, en effet, à accorder que nous ne pouvons arriver à la pleine satisfaction que réclame impérieusement notre nature intellectuelle. Mais dans quelle mesure faut-il s’en servir pour atténuer un intellectualisme exagéré ? quel est le rôle de la volonté dans tout assentiment, et y a-t-il des assentiments, par exemple la foi, dans lesquels ce rôle est principal ou même unique ? ces questions ont excité parmi les catholiques, dans ces derniers temps, des débats passionnés ; nous en dirons ce qui se rapporte à notre sujet en traitant des rapports entre la certitude et la volonté. Pour le reste, voir à l’article Foî.

III. Espèces de certitudes. — Nous avons vu que ce qui caractérise la certitude comme état d’esprit par rapport à la vérité, c’est le repos dans la possession, la cessation de toute recherche ultérieure, l’absence de crainte d’avoir jamais à revenir sur la chose jugée : ce côté négatif ne comporte pas de degrés ; on est certain, tout à fait certain, ou bien on ne l’est pas du tout. Ce qu’on appelle parfois certitude morale et qui n’est qu’une grande probabilité, suffisante dans bien des cas pour baser une action prudente, ne mérite pas, en langage philosophique, le nom de certitude.

Mais considérée sous d’autres aspects, la certitude admet diverses espèces ou du moins divers degrés.

1° Certitude naturelle et certitude philosophi(/ue. — On appelle naturelles ou spontanées les certitudes qui n’exigent pas de préparation ni d’élaboration scientifique, celles auxquelles l’homme en possession de sa raison arrive sans peine ; il s’agit pourtant de vraies certitudes, contrôlées par un regard sur les motifs, par une réflexion, et par conséquent le terme de « spontanées » ne doit pas être pris à la lettre ; il s’explique par celui auquel on l’oppose. La certitude philosophif/ue, ou scientifique ou pleinement réflexe, substitue à la connaissance globale des motifs une connaissance distincte, chacun d’eux étant nettement distingué des autres et rattaché explicitement à des intuitions immédiates. La certitude naturelle porte sur l’ensemble des vérités nécessaires à l’homme pour qu’il puisse se conduire dans la vie, les unes banales et vulgaires, d’autres fort relevées ; elle s’étend au reste plus ou moins loin ; ce qu’on appelle