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CANTIQUES DES CANTIQUES

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CANTIQUE DES CANTIQUES. — I. Sainteié du Cantique. — II. Le Caitlique eut allégorique. — III. Les différents systèmes allégoriques. — IV. Epoque et auteur, — V. Objections relatives au Cantique.

I. Sainteté du Cantique. — Dans les diverses questions relatives au Cantique des Cantiques qui intéressent l’apologiste, il est important de distinguer ce qui est de foi, ce qui est doctrine commune, et ce qui est laissé à la libre discussion des catholiques. Il est de foi que le Cantique est un livre inspiré, et comme Dieu ne peut pas plus être l’auteur de l’immoralité que de l’erreur, il est également de foi que le poème ne contient rien qui soit contraire à la sainteté de Dieu. L’opinion de Théodore de Mopsueste (-j- 428), qui voyait dans le Cantique un poème purement profane relatif au mariage de Salomon avec une Egyptienne, a été condamnée par les Pères du V’^ concile œcuménique comme abominable (infanda Christianorum auribus ; cf. Mansi, Co/Zec^. Co « c/7., t. IX, pp. 226227). De cette condamnation et de l’ensemble de la tradition chrétienne, nous pouvons conclure d’une façon certaine que le Cantique n’est pas un poème purement profane, mais qu’il y a au moins un certain sens religieux. Là s’arrête le minimum exigé par l’Eglise.

II. Le Cantique est allégorique. — Le Cantique est-il une pure allégorie, c’est-à-dire le sens littéral du poème est-il précisément le sens religieux ou supérieur, ou bien, au contraire, le poème a-t-il, outre ce sens religieux, un sens littéral profane ? Sur ce point, la tradition juive et chrétienne est unanime : les sources juives, représentées principalement par leTargum et le Midrash, et tous les anciens commentateurs chrétiens considèrent le Cantiqtie comme une pure allégorie, et n’admettent pas un sens littéral profane consistant en une histoire d’amour, soit réelle, soit fictive. Chez les Juifs, le premier qui rompit avec la tradition, non pas, il est vrai, par principe, mais en fait et par sa méthode, fut Abraham Ibn Ezra (xii<’siècle). Parmi les chrétiens, Honorius d’Autun (xii « siècle) fut le premier à rejeter l’allégorie pure : il admit que le sens littéral se rapportait au mariage de Salomon, mariage qui, d’après lui, serait la figure de l’union du Christ avec l’Eglise. Cette interprétation fut également, au XVII’siècle, celle de Bossuet, qui lui assura un certain succès. L’Eglise n’ayant jamais censuré ce système, qu’on pourrait appeler s vs^^me m/jr/e, parce qu’il admet à la fois un sens religieux (typique ou spirituel) comme les exégètes allégoristes, et un sens profane comme les exégètes naturalistes, on n’a pas le droit de le condamner. Mais nous le considérons, avec la grande majorité des auteurs catholiques, comme certainement erroné. Outre qu’il est contraire à la tradition, le système mixte, même sous sa forme la plus religieuse, celle que lui a donnée Bossuet, a le grave inconvénient de ne pas sauvegarder sutïisamment, en fait, la sainteté du Cantique, comme l’a très bien montré le P. Gietmann. Dans ce système, en effet, l’imagination doit se traîner sur une histoire d’amour profane, laquelle constitue, dans l’hypothèse, le sens littéral, au lieu de s’élancer directement et comme d’un coup d’aile à la réalité supérieure visée par le poète. On peut objecter également à ceux qui admettent un sens typique, comme Bossuet, qu’ils partent d’une supposition gratuite, à savoir que le mariage de Salomon est le type de l’amour de Dieu pour l’Eglise ou pour une àme. Rien, ni dans l’Ecriture, ni dans la tradition, n’autorise cette vue. Comme nous ignorons les sentiments réels de Salomon lors de son mariage, il semble singulièrement hardi d’affirmer que cette union est la figure de l’union de Dieu avec l’Eglise.

III. Les différents systèmes allégoriques. — L’Eglise, qui n’a pas imposé le principe allégorique dans l’interprétation du Cantique, bien qu’il soit certainement admis par la tradition, n’a pas, à plus forte raison, déterminé le sens précis du poème. Il est donc libre à l’exégète catholique de proposer tout système d’interprétation qui respectera la sainteté du Cantique : ce système vaudra ce que valent les raisons par lesquelles il essaiera de l’établir. Les systèmes allégoriques qu’on peut appeler, dans un certain sens, traditionnels, se réduisent à quelques types. Tous s’accordent à reconnaître dans l’Epoux une personne divine : Jéhovah ou Jésus-Christ. Quant à l’Epouse, on y a vu la nation d’Israël, l’Eglise, l’àme pieuse, la sainte Vierge Marie, ou même l’humanité en général. Quant au détail de l’interprétation, il varie pour ainsi dire à l’infini. Nous n’avons pas à exposer ici nos préférences pour tel ou tel système, ce qui dépasserait le but et l’étendue de cet article, bien qu’il faille reconnaître qu’il est notablement plus facile de répondre aux objections des adversaires de la sainteté du Cantique en adoptant un système précis qu’en restant dans le vague des généralités. Nous ferons seulement remarquer que la tradition juive, qui malgré beaucoup d’interprétations enfantines et arbitraires peut être considérée néanmoins comme correcte dans ses grandes lignes, est unanime à voir dans le Cantique l’amour de Jéhovah pour Israël, que cette vue traditionnelle n’a jamais été combattue par les Pères, mais qu’elle a été au contraire adoptée, en tout ou en partie, par un nombre beaucoup plus considérable d’exégètes chrétiens qu’on ne croit généralement. D’après cette interprétation, le Cantique est une allégorie qui retrace à grands traits les principales situations de l’histoire religieuse d’Israël, depuis la première alliance de Jéhovah avec son peuple, lors de la sortie d’Egypte, jusqu’à l’ère messianique.

Chez les Pères de l’Eglise, on constate, dès l’origine, une très grande liberté d’interprétation. Ils voient dans l’Epouse tantôt l’àme pieuse, tantôt l’Eglise (parfois aussi Israël), mais l’application à l’àme, peut-être parce qu’elle était plus facile, est prédominante, en particulier chez OuiGiiNE, saint Basile, saint Grégoire de Nysse. On n’a donc pas le droit d’aflirmer que l’une ou l’autre de ces interprétations s’impose comme traditionnelle (au sens théologique du mot), et les saints Pères, en fait, ne les donnent pas comme telles. L’interprétation qui voit dans l’Epouse la sainte Vierge est beaucoup plus tardive : on ne la trouve exposée d’une façon systématique qu’à partir du xii"" siècle. — Le P. Cornely estime plus correcte l’opinion qui admet comme sens littéral unique l’union de Jéhovah et d’Israël, et seulement comme sens typique l’union du Christ et de l’Eglise (Introductio in libros sacros. 1887, t. II, 2, p. 198.)

IV. Epoque et auteur. — La question relative à l’époque et à l’auteur du poème est, d’après les meilleurs théologiens, une question libre et qui n’intéresse pas la foi. Pour la démonstration de cette affirmation, nous renverrons le lecteur aux observations aussi fermes que prudentes du P. Condamin relativement à la question toute semblable de l’auteur de l’Ecclésiaste (Re’ite biblique, 1900, t. IX, pp. 30 sq.), Le titre du poème : « Cantique des cantiques, de Salomon » ne saurait dirimer la question, pas plus que le titre de l’Ecclésiaste ou les titres de nombreux psaumes. La langue du poème, qui se rapproche de celle des livres les plus récents de la Bible, et en particulier de l’Ecclésiaste, est un indice extrêmement probable que le Cantique n’est pas antérieur à l’exil. Les aramaïsmes nombreux et quelques mots persans font penser à l’époque de l’exil ou même à une