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BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

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La principale objection à cette manière de voir réside dans la brièveté du temps où il nous faut enfermer ces deux voyages : aller et retour des délégués à Rome, aller et retour du courrier de Césarée, Il est sur que le fidèle messager dut faire diligence pour atteindre son but et être de retour à Carthage avant l’hiver ; mais. Firmilien nous en est témoin (£ ». Lxxv. 5), Rogatien ne perdit pas son temps en Cappadoce ; les dillicultés, bien que réelles, ne semblent pas insurmontables pour un homme déterminé. La délibération synodale avait eu lieu le i" septembre ; quinze jours sont beaucoup plus qu’il ne fallait pour un double voyage de Carthage à Rome et de Rome à Carthage ; donc, plusieurs jours avant la mi-septembre, Cyprien pomait être fixé sur l’insuccès de sa démarche. De là jusqu’au 1 1 novembre, date normale où cessait le transit maritime, il y a deux mois entiers : n’est-ce pas assez pour aller et revenir de Cappadoce ? M. Ernst a pris la peine d’interroger IWlessus M. Friedlæxder, dont l’autorité pour tout ce qui se rapporte à la vie romaine est assez connue, et a obtenu du savant professeur une réponse très précise (Erxst, Papst Stephan I und der Ketzertauf.streit, p. 7^, 70). Au jugement de M. Friedlacnder, vingt-cinq jours suffisaient, à la rigueur, pour le vojage de Carthage à Césarée ; si par ailleurs on tient compte de ce fait, admis par le même savant, que le terme du 1 1 novembre n’avait rien d’absolu, et que dans les cas d’urgence on pouvait fort bien le dépasser, on voit que la prétendue impossibilité, objectée au voyage de Rogatien après le retour de la légation synodale, n’existe pas.

Suivons donc Rogatien en Cappadoce, où il put arriver avant la mi-octobre. Il y trouva les esprits fort excités, car déjà l’ardeur réformatrice du pape Etienne avait soulevé des questions irritantes, et les Eglises anabaptistes d’Asie étaient elles-mêmes sous la menace d’une excommunication. Firmilien entra d’emblée dans les vues de Cyprien, ou plutôt déclara n’en avoir jamais eu d’autres. Sa longue réponse, qui nous est parvenue dans une ancienne traduction latine, d’une langue très semblable à celle de Cyprien, réédite en somme les arguments contenus dans les lettres que Rogatien lui avait communiquées ; sa véritable originalité consiste principalement dans la violence du langage à l’égard du pape, et c’est l’aspect auquel nous nous attacherons. Firmilien remercie Cyprien (Ep. lxxv, i) de lui avoir écrit en termes si fraternels ; volontiers il rendrait grâces à Etienne, dont les mauvais procédés lui ont valu, de la part du primat de Carthage, cette marque de foi et de sagesse. Etienne n’en a pas moins, par son audace et son insolence (3), encouru le jugement divin contre ceux qui compromettent l’vxnité de l’Eglise. Il a fait cause commune avec les hérétiques (5), en approuvant leur baptême ; il est devenu l’un d’eux. Jusqu’ici l’Eglise de Rome (G), et d’autres encore, ont observé notamment au sujet delà Pàque, des usages particuliers, sans détriment de la paix et de l’unité catholique, Etienne a le premier violé cette paix, faisant affront aux bienheureux apôtres Pierre et Paul, qui, à l’en croire, auraient inauguré cette tradition favorable aux hérétiques. La seule unité à laquelle puissent prétendre les hérétiques, c’est l’unité dans le blasphème (7). Comme ils n’ont pas la foi, ils n’ont pas non plus le baptême ni aucun sacrement : ainsi l’ont affirmé depuis longtemps, à l’occasion de certains doutes, les évêques de Cappadoce, de Galatie, de Cilicie et des contrées limitrophes, assemblés à Iconium de Phrygie. Etienne croit trouver dans les synagogues des hérétiques la rémission des péchés (8-16) : insensé, qui se glorifie de succéder à l’épiscopat de Pierre (17), fondement de l’Eglise, et qui

cependant multiplie inconsidérément les pierres et les églises ! Traître et déserteur de l’unité, il est tombé au-dessous des Juifs, qui, du moins, au témoignage du Sauveur, avaient le zèle de Dieu ; au-dessous de tous les hérétiques (23). Auteur responsable de tous ces déchirements (s/J), il ne voit partout que schismes, et c’est lui-même qui s’est constitué en état de schisme, apostat de l’unité ecclésiastique. Il prodigue les excommunications, et c’est lui-même qui s’excommunie au regard de tous. On a vu la mesure de sa patience (-25) dans les querelles qu’il a cherchées aux évêques de tout l’univers, rompant tantôt avec rOrient, tantôt avec le Midi, lorsqu’il refusa aux évêques d’Afrique, non seulement une audience, mais le bienfait de l’hospitalité chrétienne. Voilà l’homme qui traite Cyprien de faux Christ, de faux apôtre, d’ouvricr déloyal : comme si un secret reaiords le poussait à charger autrui de toutes les flétrissures dont lui-même s’est rendu digne !

Le ton de cette lettre n’était pas d’un homme disposé à se rendre aux sommations venues de Rome, et, de fait, Firmilien ne se rendit pas. Cyprien, moins virulent dans son langage, n’était pas moins ferme dans ses résolutions, et, si nous ignorons quelle conduite il tint durant la dernière phase du conflit baptismal, nous sommes pourtant sûrs qu’il ne transigea point. Les mois qui suivent le retour de Rogatien nous échappent entièrement ; le seul fait qui se détache sur cette pénombre est la médiation généreuse de l’évêque d’Alexandrie. Trop dévoué à l’Eglise pour ne pas gémir profondément de ses divisions, d’ailleurs sans conA’iction personnelle au sujet du l)aptême des dissidents, il avait seulement hérité de son prédécesseur Héracias(Eusèbe, H. E., VII, vu) la règle d’excomnninier les chrétiens qui, après leur baptême, s’étaient compromis avec une secte : donnaient-ils des gages sérieux de pénitence, il les recevait sans noiiveau baptême. Cette pratique n’avait rien de contraire aux principes de Cyprien. Dans le cas d’unbaptênie très suspect (Eusèbe, H. £"., VII, ix), administré par on ne sait q-aels dissidents, nous vojons Denys hésiter et recourir à Rome. On peut au moins conclure de ses paroles que la coutume de rebaptiser les hérétiques n’était pas en vigueur à Alexandrie.

La lettre qu’il écrivit au pape (Eusèbe, //. E., VII, v) rappelait le schisme de Novatien et ses ravages dans les Eglises d’Orient : la concorde, à peine rétablie, allait-elle être de nouveau troublée ? « Sachez, Frère, que toutes les Eglises d’Orient et d’au delà, déchirées par le schisme, sont revenues à l’unité ; tous leurs chefs, animés des mêmes sentiments, éprouvent une joie extrême de cette paix inespérée : Démétrien à Antioche, Théoctiste à Césarée, Mazzabane àiîîlia. Marin à Tjr depuis la mort d’Alexandre, Héliodore à Laodicée depuis la mort de Thélymidre, Hélénos à Tarse, et toutes les Eglises de Cilicie, Firmilien et toute la Cappadoce — je n’ai nommé que les évêques les plus illustres, de peur de rendre ma lettre troi) longue et ma parole importune. Toutes les provinces de Syrie et l’Arabie, que vous assistez régulièrement et qui ont reçu de vos lettres, la Mésopotamie, le Pont, la Bithynie, en un mot toutes ces contrées se réjouissent universellement et ])énissent Dieu de cette concorde et de cette charité fraternelle. » Le spectacle de cette concorde était bien le plaidoyer le plus éloquent en faveur de la paix : Etienne dut en être touché. Mais l’inflexibilité dont il s’était fait un devoir ne se démentit point. La crise douloureuse, qui scindait l’Eglise en deux camps, n’entra qu’après sa mort dans une voie d’apaisement.

On a beaucoup discuté pour savoir si réellement Cyprien et ses adhérents furent atteints par une