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BAPTEME DES HERETIQUES

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5. — Si l’on joint à l’érudition, qui amasse les faits, un esprit philosophique qui juge sainement de leurs relations et de leurs causes, on ne se hâtera pas de conclure à l’emprunt ou à l’imitation, après un premier coup d’œil jeté à la surface des choses. On se demandera s’il existe un lien réel, un rapport de filiation entre les doctrines. Quand ce lien sera constaté par une méthode rigoureuse, comme celle que le P. Delehaye propose avec tant de tact et de science dans un chapitre sur les « réminiscences et survivances païennes » dans le culte chrétien (Les Légendes hagiographiques, ch. vi), il n’y aura, du point de vue catholique, nulle difficulté à l’admettre.

Si « Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens » (Act. Ap. vii, 22), c’était apparemment, dans les desseins de la Providence, pour en tirer quelque profit. Aussi les Pères de l’Eglise n’ont pas eu de répugnance à reconnaître des importations étrangères dans le culte des fils d’Israël. Le P. Ferd. Prat cite dans ce sens S. Jean Chrysostome, Origène, S. Jérôme, Eusèbe, Théodoret, et, après eux, le grand commentateur Tostat qui écrit : « Beaucoup de cérémonies sont communes aux Juifs et aux païens : elles ne furent même accordées à ceux-là que parce qu’elles étaient déjà reçues parmi les gentils. Les Juifs s’y étaient habitués ; Dieu les toléra après en avoir effacé tout ce qui sentait la superstition » (Le Code du Sinaï, sa genèse et son évolution, 1904, p. 17, 18, cf. Études, t. LXXVI, p. 97).

6. — Mais, en parlant des emprunts ou des influences, il ne faut pas oublier, comme font malheureusement tant d’historiens des religions, les contrastes, les différences essentielles. Toute différence vraiment essentielle disparaît pour qui n’admet pas le caractère surnaturel de la religion de l’Ancien Testament. Pour ceux mêmes, parmi les historiens rationalistes, qui avouent la supériorité d’Israël en matière religieuse, et voient en lui le seul peuple strictement monothéiste de l’antiquité, ce phénomène est affaire de génie spécial, d’évolution plus heureuse dans des circonstances providentielles. Les croyants, au contraire, à cette question : « Quel est donc l’avantage du Juif sur le gentil ? » répondent avec saint Paul : « Cet avantage est grand de toute manière : d’abord c’est à eux que les oracles de Dieu ont été confiés » (Rom. iii, 1-2). La révélation surnaturelle, dont les prophètes ont été favorisés, met un abîme entre leurs oracles et ceux des païens. Eclairés par ces communications divines, les prophètes ont écarté de la religion de lahvé la magie et les superstitions, les pratiques honteuses ou homicides, en honneur chez les peuples voisins ; ils ont gardé pure la doctrine monothéiste, ils l’ont sans cesse développée et élevée. C’est ce qui place cette religion incomparablement au-dessus de toutes les autres du même temps : il ne s’agit pas d’une différence de degré, que de nouvelles découvertes pourront effacer ou amoindrir, mais d’une différence d’ordre, d’une véritable transcendance, qui vient justement de ce que la religion d’Israël est une religion révélée, d’ordre surnaturel.

7 — Aux yeux de certains apologistes malavisés, la transcendance de la vraie religion se transforme en opposition absolue et complète entre la religion divine et les cultes erronés. L’abbé de Broglie a montré les résultats déplorables d’une telle apologétique (Religion et critique, édité par l’abbé C. Piat, 1897, p. 132-139). Nous l’avons vu, dans la littérature babylonienne, qui représente la pensée religieuse de tant de générations, tout n’est pas perversion morale et superstition ; loin de là. On peut y admirer sans scrupule, dans une splendide forme poétique, nombre d’idées élevées. A travers la forêt des conceptions mythiques et polythéistes on entrevoit un Dieu créateur, qui gouverne le monde, qui punit ou pardonne les fautes, avec qui l’homme peut entrer en communication par la prière. L’obligation de la loi morale, la conscience du mal commis, la rétribution inévitable sont affirmés dans une foule de textes. A côté des vérités perçues par les forces naturelles de la raison, quelques souvenirs de la révélation primitive s’étaient probablement conservés à travers les siècles. Dieu, en accordant au peuple élu le privilège de la révélation, n’a point abandonné les autres peuples sans aucune lumière, sans aucun secours ; il n’a pas pu les soustraire à sa providence dans l’ordre naturel ; il n’a pas voulu refuser absolument à ces païens toute grâce surnaturelle pour les aider à bien vivre et à atteindre leur fin dernière.

Albert Condamin, S. J.


BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES. - Peu après le milieu du iiie siècle, l’Eglise traversa une épreuve particulièrement douloureuse. Encore toute sanglante des exécutions de Dèce, déchirée par le schisme novatien, elle se vit de plus partagée en deux camps par une controverse qui, sur la question vitale du baptême, mit aux prises, non pas seulement des rivalités d’influence, mais des convictions très respectables et de très hautes vertus. Les origines du conflit remontent aux premières années du siècle, et il faut peut-être les chercher en Orient. Il arrivait que des hérétiques se présentaient pour entrer dans l’Eglise catholique, et voici la question qui, de bonne heure, s’était posée : accueillerait-on ces transfuges comme de vrais chrétiens, dûment baptisés dans l’hérésie, ou bien, considérant ce baptême comme nul, les obligerait-on à recevoir le baptême de l’Eglise ? La tradition romaine était ferme dans le premier sens ; sur d’autres points de la chrétienté, on hésitait, et nous voyons que, peu après le commencement du iiie siècle, l’Eglise d’Afrique astreignait à un nouveau baptême les hérétiques convertis. Tertullien avait défendu cette pratique dans un écrit en grec, dès avant l’époque où, probablement encore catholique, il en maintenait la nécessité dans son traité latin De baptismo. Son argumentation, très caractéristique, nous montre par quelle face les docteurs carthaginois abordaient cette question du baptême hérétique. « Nous n’avons, dit-il, qu’un baptême, selon l’Evangile du Seigneur, comme selon les Epîtres de l’Apôtre (Eph., iv, 5) ; il n’a, en effet, qu’un Dieu, qu’un baptême, qu’une Eglise dans le ciel. Mais le cas des hérétiques appelle une réserve ; car c’est à nous seuls que s’adressent les Ecritures. Les hérétiques n’ont nulle part à notre discipline, puisque l’Eglise les exclut de sa communion à titre d’étrangers. Je ne dois pas admettre, à leur sujet, la règle qui est faite pour moi, car eux et nous n’avons ni le même Dieu, ni le même Christ, ni le même baptême ; n’ayant pas notre baptême comme il le faut avoir, assurément ils ne l’ont pas du tout, et il n’y a pas lieu d’en tenir compte ; ils ne peuvent pas le recevoir, puisqu’ils ne l’ont pas chez eux » (De baptismo, 15). Vers le temps où Tertullien écrivait ces lignes, un concile de Carthage, présidé par l’évêque Agrippinus, se prononçait dans le même sens, et réalisait sur ce point l’unité de discipline parmi les évêques d’Afrique proconsulaire et de Numidie. Quelques années plus tard, une grande partie de l’Asie Mineure entrait dans le mouvement : les évêques de Cilicie, de Cappadoce, de Galatie et des contrées voisines rebaptisaient les transfuges de l’hérésie cataphryge, et cette pratique recevait une sanction officielle dans les conciles d’Iconium et de Synnade. Cependant Rome, avec d’autres Eglises, demeurait