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BABYLONE ET LA BIBLE

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de la Descente d’Istar décrit longuement l'aralou, la montagne septentrionale sous laquelle séjournent les morts. 2° Babyloniens, Phéniciens et Hébreux ont même cru à une rétribution après la mort… » En 1882, il ajoutait : « 3° Babyloniens et Israélites ont rendu à leurs morts un véritable culte. » Cette dernière assertion, en ce qui concerne les Israélites, appelle les plus expresses réserves. M. Ad. Lods, dans l’ouvrage où il résume l’opinion de J. Halévy dans les termes cités ci-dessus, essaie de prouver l’existence d’un culte des morts assez développé dans l’antiquité Israélite ; sa théorie a été critiquée et réfutée en détail par le P. Lagrange (RB, 1907, p. 426-431).

Dans un article intitulé « Le séjour des morts cliez les Babyloniens et les Hébreux », le P. Dhorme a mis en parallèle les données de la Bible et celles des textes cunéiformes sur les destinées futures de l’homme. Ici comme là, les morts descendent dans un endroit souterrain, ténébreux, plein de poussière, qui inspire de l’horreur ; mais sur leur condition là-bas on manque de renseignements précis. Il serait trop long et inutile de reproduire ici les textes ; on trouvera les principaux dans l’étude du P. Dhorme, RB, 1907, p. 59-78 ; et il sera bon de lire à ce propos le poème de la Descente d’Istar aux enfers (Choix de textes…, p. 326-341, cf. p. xxxiii-iv ; Lagrange, ERS2, ch. ix ; KAT3. p. 635-643 ; et Alfred Jeremias, Hölle und Paradies bei den Babyloniern, 1900).

Conclusions.

1. — L’histoire d’Israël, dans ses grandes lignes, a été confirmée d’une façon remarquable par les découvertes assyriologiques. Supprimer de cette histoire l’action des prophètes des viii-vie siècles, comme fait avec acharnement M. M. Vernes, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes, dénote une ignorance ou une audace extraordinaire.

Si la critique radicale a pu souffrir du témoignage des monuments, une critique vraiment scientifique n’a eu qu’à s’en louer. L’histoire de l’Ancien Testament, au lieu d’apparaître isolée, et comme suspendue en l’air entre le ciel et la terre, est entrée en contact avec celle des peuples voisins. Ce n’a pas été à son désavantage : son caractère humain a été singulièrement éclairé, et son caractère divin mis en relief ; elle reste toujours l’histoire sainte.

On n’a rien perdu de l’enseignement du livre inspiré en abandonnant un système de chronologie fondé sur de fausses interprétations du texte biblique, pour adopter les dates plus sûres et plus homogènes de la chronologie assyrienne.

Dans l’immense littérature babylonienne, déjà par les seuls textes publiés jusqu’à présent, incomparablement plus étendue que celle des Hébreux, une chose importante à noter, c’est l'anonymie des écrits : pas un seul nom d’auteur ! (L’opinion contraire de St. Langdon, SBP, p. xi, ne me semble pas suffisamment fondée.) En revanche, les scribes inscrivent ordinairement leur nom et qualité au bas du texte qu’ils ont copié. Ceci nous aide à comprendre comment un certain nombre d’écrits du recueil biblique (la plupart sauf ceux des prophètes) nous sont parvenus sans nom d’auteur. Chez les Sémites et dans l’antiquité on était loin de nos idées modernes sur la propriété littéraire.

2. — Il convient de recevoir avec défiance les conclusions hâtives de l’histoire des religions, les généralisations des vulgarisateurs, et même les affirmations de certains savants du premier mérite sortis de leur spécialité pour dogmatiser sur le terrain philosophique ou religieux. Les assyriologues Delitzsch, Jensen, Zimmern, Paul Haupt, H. Winckler, A. Jeremias, H. Radau, par cette voie facile des assertions hardies et des rapprochements à effet, ont acquis de la notoriété dans le grand public au détriment de leur vraie réputation scientifique.

Il faut exiger des preuves, et, autant que possible, remonter aux sources, voir directement les textes. Souvent un texte, en passant de main en main, change de valeur ou de sens. Un premier auteur en signale la lecture et l’interprétation douteuses ; un second ne retient que le sens, favorable à sa thèse ; bientôt le texte est couramment cité comme sûr (voir plus haut, col. 371). Parfois le même auteur, sans apporter de nouvelles preuves, mais à force de répéter une chose avec plus d’assurance chaque fois, finit par donner pour conclusion certaine ce qui n’était d’abord qu’hypothèse risquée. Ou encore, dans une brochure de vulgarisation il supprime les restrictions, les nuances, et il se conforme au goût du public en lui offrant, au lieu de conjectures plus ou moins probables, des affirmations du ton le plus cru. Sous ce titre fallacieux « Les origines babyloniennes de la poésie sacrée des Hébreux », M. Philippe Berger, membre de l’Institut, essaie de montrer que les oracles assyriens ne diffèrent pas essentiellement de ceux des prophètes d’Israël, et que les sentiments exprimés dans les Psaumes sont d’importation babylonienne : « L’influence de la Chaldée sur la religion juive, dit-il, a été plus profonde encore, et elle s’étend à la conception même de la piété, c’est-à-dire des rapports qui unissent l’homme à Dieu » (Conférence faite au Musée Guimet le 6 mars 1904, p. 36). Voici un exemple de l’exactitude de ses citations et de la rigueur de ses raisonnements : « Cette nuée, à la fois obscure et lumineuse, qui accompagne les enfants d’Israël au désert, et qui est pour eux une colonne de fumée pendant le jour, une colonne de feu pendant la nuit, porte un nom : elle s’appelle la « Gloire » de Jéhova. Sans doute, les textes où nous la voyons paraître sont de date récente, mais l’idée est ancienne et elle figure dans un oracle de la déesse Istar d’Arbèles à Assarhaddon : « Voici, je serai pour toi une nuée pendant le jour et une flamme pendant la nuit. » [En note : Delitzsch, Babel und Bibel, II, p. 20.] Elle est à la base de la révélation du Sinaï » (p. 27). Il s’agit de cet oracle d’Istar à Assarhaddon : « Je ferai à ta droite monter de la fumée, et à ta gauche du feu s’allumer » (cf. Delitzsch, l. c, et Morris Jastrow jr. Die Religion Babyloniens und Assyriens, t. II, p. 162). M. Berger, « n’étant pas assyriologue » — il nous en avertit modestement — cite de seconde main, et sur la citation de Delitzsch il opère, en moins de deux lignes, trois changements importants : « je serai », pour je ferai monter ; « une nuée », pour une fumée (par contre, la fumée est introduite gratuitement dans le texte biblique) ; « pendant le jour » et « pendant la nuit » est substitué à ces autres mots : à ta droite et à ta gauche. Par ce procédé bien simple on obtient des ressemblances frappantes. F. X. Kugler a montré que dans ce texte bien lii, mais mal compris par Delitzsch, l’image d’Ištar, déesse de la guerre, qui protège son client au milieu des villes ennemies incendiées, n’a absolument rien de commun ni d’analogue avec la colonne de nuée la nuit, de feu le jour, qui indique au peuple d’Israël la route à suivre. Exode xiii, 21-22 (Stimmen ans Maria-Laach. avril 1908, p. 374-375).

3. — Il faut insister sur l’histoire comparée des religions, dont on abuse tant de nos jours.

Elu compilant des textes qui offrent quelque ressemblance, et en les rangeant bout à bout, sans en approfondir le contenu et sans en comprendre la portée, on prouve une chose : c’est qu’on a l’esprit beaucoup trop superficiel pour s’occuper avec profit d’histoire des religions.