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BABYLONE ET LA BIBLE

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les huit campagnes de Sennachérib, de 704 à 691, est daté de l’éponymat de Bel-émourani (691). Un autre texte daté de l’éponymat de Mitounou (700) relate en termes identiques, sauf quelques variantes, et quelques détails en plus, les premières campagnes de ce règne jusqu’à celle de 701 inclusivement. Ce récit a donc été écrit un an à peine après les événements de 701 (invasion de Sennachérib en Palestine, blocus et délivrance de Jérusalem).

On a souvent plusieurs exemplaires d’un même texte, et il est possible de les contrôler l’un par l’autre. Des lectures d’abord douteuses peuvent ainsi devenir certaines (le même mot est écrit là en idéogramme et ici phonétiquement, etc.). Les copistes assyriens et babyloniens semblent avoir été très fidèles dans leurs transcriptions. Quand l’original présentait un passage mutilé ou effacé, ils écrivaient en général, à la place, en petits caractères, ḫi-bi (ou ḫi-pi), effacé ; et ils se gardaient bien de suppléer par conjecture, même pour les lacunes faciles à combler. A la fin des copies on trouve souvent la formule : Kîma labirišu, conforme à l’original.

L’histoire biblique a été, sur bien des points, confirmée ou éclairée par les monuments de l’Assyrie et de la Chaldée. Il faut se borner ici à une revue rapide des faits principaux.

Abraham. — Les assyriologues identifient en général Our des Chaldéens, Ur-Kasdim, la patrie d’Abraham d’après Gen., xi, 28, 31 ; xv, 7, avec Muqayyar dans la Babylonie du Sud ou Chaldée, à 225 kilom. environ au sud-est de Babylone. On a trouvé en effet à Muqayyar plusieurs inscriptions et plusieurs sceaux royaux avec le nom de la ville, Uru. Contre cette identification plusieurs critiques font des objections tirées du texte biblique, qui semble placer dans le nord de la Mésopotamie la patrie des ancêtres d’Abraham (cf. Gen., xi, 10-26) ou d’Abraham lui-même, suivant une des sources du récit (cf. Gen., xii, 1 ; xxiv, 4, 7, cf. le v. 10, et Jos., xxiv, 2, 3). Cette question sera peut-être un jour définitivement tranchée par l’assyriologie, si l’on explore à fond les ruines de Muqayyar.

Au chapitre xiv de la Genèse, l’histoire d’Abraham est mise en contact direct avec l’histoire babylonienne. « Amraphel, roi de Sennaar, Arioch, roi d’Ellasar, Chodorlahomor, roi d’Elam, et Thadal, roi de Goïm », au cours d’une expédition aux environs de la mer Morte, s’étaient emparés de Lot et de ses biens. Abraham, avec ses gens, poursuit les conquérants, délivre les prisonniers et reprend le butin. L’historicité de ce récit a été souvent et violemment attaquée par les rationalistes, Sörensen, Hitzig, Nöldeke, Reuss, Wellhausen.

Dans ce texte, Gen. xiv, 1, Sennaar désigne sûrement la Babylonie. Amraphel représente assez bien, pour l’équivalence du nom au point de vue linguistique, Hammourabi, roi de Babylone, si célèbre, surtout depuis la découverte de son code. L’identification des deux noms et des deux personnages est généralement regardée comme plausible depuis le mémoire de Eb. Schrader lu en 1887 devant l’Académie de Berlin. — Arioch, roi d’Ellasar, est probablement Arad-Sin, roi de Larsa (en distinguant, avec Fr. Taureau-Dangin, deux fils de Koudour-Maboug, qui ont régné successivement, Arad-Sin et Rim-Sin ; le nom Arad-Sin peut être lu en sumérien Eri-Akou = Arioch). Pour Thadal, roi de Goïm, rien de clair n’a été trouvé jusqu’ici. Si le nom de Chodorlahomor n’a pas été lu non plus, d’une manière sûre, dans les inscriptions cunéiformes, du moins c’est bien un nom élamite, Koudour-Lagamar : la première partie de ce nom, koudour, signifie « serviteur », et entre dans la composition de plusieurs noms de rois élamites bien connus Koudour-Maboug, Koudour-Naḫḫounte. Quant à Lagamar, c’est le nom d’une divinité élamite, attesté aussi par les inscriptions.

Les objections des critiques sont tirées surtout des « invraisemblances historiques ». Qu’au temps d’Abraham quatre rois des rives du golfe Persique aient fait une razzia jusque dans la péninsule du Sinaï, qu’ils aient attaqué, en passant, cinq roitelets des bords de la mer Morte, enfin, qu’Abraham avec trois cent dix-huit serviteurs ait arrêté les vainqueurs et délivré les prisonniers, « ce sont simplement, disait-on, des impossibilités ». Mais les textes ont fait voir que, plusieurs siècles avant Abraham (en toute hypothèse, cf. supra), Sargon d’Agadé étendit ses conquêtes jusqu’aux bords de la mer Méditerranée. La nouvelle Chronique, publiée par L. W. King en 1907, confirme un texte déjà connu, suivant lequel Sargon « installa ses images en Occident », c’est-à-dire fit sculpter son image sur les rochers voisins du rivage ou dans le Liban.

Il ressort du récit biblique que Chodorlahomor est le chef de l’expédition ; il semble en résulter que les rois ses alliés, y compris le grand Hammourabi, sont ses vassaux ou, tout au moins, en quelque manière, sous son influence. Cela s’accorde avec les données de l’histoire élamite et babylonienne maintenant connues par les monuments. L’expédition en Occident a pu prendre place dans la période des trente premières années du règne de Hammourabi, lorsque durait encore la suzeraineté élamite, fruit de la conquête de Koudour-Naḫḫounte (2280 av. J. C).

La principale difficulté à l’identification d’Amraphel et de Hammourabi était la chronologie. Abraham et Amraphel vivaient, semblait-il, au moins deux siècles après Hammourabi que l’on plaçait au xxiiie siècle. Mais, comme on l’a vu plus haut, les nouveaux textes qui établissent la contemporanéité partielle des premières dynasties de Babylone, permettent d’abaisser de 221 ans la date de Hammourabi. Diverses données conduisent à la date approximative 2050 av. J.-C. pour Hammourabi = Amraphel et Abraham (voir, pour plus de détails, l’article « Hammonrabi-Amraphel » par le P. Dhorme, O. P., dans la Revue biblique, avril 1908, et celui du P. A. Condamin dans les Etudes, 20 mai 1908, sur le même sujet).

Moïse.Winckler, Zimmern, A. Jeremias, après d’autres, mettent en parallèle le récit de l’exposition de Moïse enfant sur les eaux du Nil et les légendes sur l’enfance de Sargon l’ancien, de Cyrus, de Romulus et de Rémus, etc. Voici le passage le plus saillant du texte relatif à Sargon l’ancien (traduction de M. Fr. Thureau-Dangin citée par M. E. Cosquin) :

(Ma) mère la prêtresse (?) me conçut ;
dans le secret elle me mit au monde.
Elle me plaça dans une couffe de roseaux ;
avec du bitume elle boucha ma porte.
Elle m’abandonna au fleuve qui n’était pas… ?…
Le fleuve me porta ; à Akki, le « verseur d’eau » il m’amena…
Akki, le « verseur d’eau », m’éleva comme son enfant ;
Akki, le « verseur d’eau », fit de moi un jardinier.

Si la ressemblance avec le récit de l’Exode se borne à peu près à l’exposition et à la découverte de l’enfant, qui est ensuite élevé par son sauveur, de pareils faits arrivent trop souvent et sont trop naturels pour qu’on les croie copiés l’un sur l’autre. Ils ont pu se produire souvent dans la réalité, et souvent aussi dans le roman. M. Emm. Cosquin montre fort bien les différences notables qui séparent le récit de l’Exode et la légende de Sargon : motif de l’exposi-