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BABYLONE ET LA BIBLE

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mutilée aux deux extrémités, présente des lacunes qui ont pu être comblées par d’autres documents en grande partie, mais pas d’une façon complète (la liste de la première dynastie, qui a disparu totalement, est connue par ailleurs). La plupart des assyriologues, dans leur supputation chronologique, supposaient que les dynasties babyloniennes de ce Canon royal » étaient successives. Or, des textes récemment publiés et interprétés par M. King prouvent que la deuxième dynastie est simultanée et parallèle en partie à la première et en partie à la troisième dynastie : contemporaine de la première pendant 177 ans, de la troisième pendant 44 ans, entre les deux elle a régné à Babylone pendant 147 ans. Le début de la Ire dynastie peut se placer, conformément à une donnée de Bérose, en 2232 (d’après Fr. Thureau-Dangin, Zeitschrift für Assyriologie, janv. 1908, p. 176-187, à propos de l’ouvrage le King, Chronicles concerning early Babylonian kings, 1907). Ces derniers résultats sont fort intéressants pour l’apologiste, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne l’époque d’Abraham et l’historicité du ch. xiv de la Genèse.

Au temps de la première dynastie de Babylone (xxiiie-xxe= siècle av. J.-C), la civilisation avait atteint depuis bien des siècles déjà, semble-t-il, un haut degré de développement. Cette époque nous offre une littérature extrêmement riche : poèmes mythologiques, légendes, hymnes, incantations, textes astronomiques, astrologiques, mathématiques. Le code de Hammourabi, comme on a pu le constater par des documents plus anciens, a codifié des lois et des usages depuis longtemps en vigueur. M. Fr. Thureau-Dangin a publié un mémoire intéressant sur la comptabilité agricole en Chaldée au troisième millénaire ; M. Léon Heuzey a décrit une villa royale chaldéenne vers l’an 4000 avant notre ère ; M. Oppert, l’administration des domaines, les comptes exacts et les faux au cinquième millenium avant l’ère chrétienne. (Ces lieux derniers chiffres sont à diminuer, comme on va voir.)

La chronologie de cette époque reculée s’appuyait en partie sur une inscription de Nabonide, dernier roi de Babylone, qui place Narâm-Sin, fils de Sargon l’ancien, roi d’Agadé (= Akkad, Babylonie du Nord) en 3750 av. J.-C, 3200 ans avant Nabonide. Les dates de ce genre, dans les inscriptions assyriennes et babyloniennes, paraissent en général exactes, calculées d’après des données sérieuses. Celle-ci est devenue suspecte, un peu parce qu’elle est beaucoup plus élevée que toutes les autres, mais surtout parce qu’elle oblige d’admettre dans l’histoire une lacune d’un millier d’années, lacune persistante malgré tant de textes découverts. D’après l’assyriologue et historien (J. F. Lehmann, il y aurait dans le texte de Nabonide une erreur de mille ans ; il faudrait lire 2200, au lieu de 3200 (Zwei Hauptprobleme der altorientalischen Chronologie, 1898). Lehmann est suivi par A. Jeremias. Pourtant bien des assyriologues ont ajouté foi jusqu’à ces derniers temps au chiffre de Nabonide : H. Badau (1900). Bezold (1903), Sayce (1906). Hilprecht vient de modifier sur ce point ses anciennes positions : « Il n’estime plus possible, dit-il, de concilier la donnée de Nabonide avec certains faits bien connus, établis par les recherches assyriologiques » (Mathematical. Metrological and Chronological Tablets from the Temple Library of Nippur, 1906, p. 41-45). Un autre assyriologue, L. W. King, qui admettait encore, il y a peu d’années, la date 3750, pense aujourd’hui qu’il faut la réduire (Chronicles concerning early Babylonian kings, 1907, vol. I, p. 17). M. Fr. Thureau-Dangin juge aussi que « cette date est sûrement trop élevée ».

En 1896, Hilprecht n’hésitait pas à « dater la fondation du temple de Bel et les premières constructions de Nippour de 6000 à 7000 ans avant Jésus-Christ et peut-être même plus tôt » (The babylonian expédition of the University of Pennsylvania, vol. I. part. II, p. 28, 24). En 1906, dans l’ouvrage cité un peu plus haut, il maintient cette estimation et il ajoute : « Les savants babyloniens des derniers temps pouvaient retracer l’histoire chronologique de leur pays au moins jusqu’au quatrième millénaire avant notre ère » (p. 3). D’autre part les fouilles nous révèlent, depuis quelques années, la très haute antiquité de la civilisation élamite. « Les plus anciens textes découverts à Suse, dit Scheil, sont certainement antérieurs à 4OOO avant Jésus-Christ, comme il ressort du caractère de l’écriture. » Si ces textes, trouvés à quinze mètres de profondeur, ont six mille ans d’existence, que penser des fragments de poterie situés à vingt mètres au-dessous de ces tablettes archaïques ? (Cf. J. de Morgan, La délégation en Perse, 1902, p. 81, 82, 105).

En face de ces faits, et d’autres d’un ordre différent, les exégètes, les historiens et les apologistes les plus autorisés ont renoncé avec raison au système artificiel de « chronologie biblique », construit avec des pièces disparates, mal conservées parfois ou mal comprises, à l’aide duquel on remontait jusqu’au jour précis de la création du monde (28 octobre 4004 avant Jésus-Christ).

Histoire. — D’abord quelques remarques sur la valeur des documents historiques contenus dans les textes cunéiformes.

Il faut distinguer trois sortes de textes historiques. Au premier rang, les Annales des rois, où les grands événements de chaque année d’un règne sont relatés dans l’ordre chronologique. En second lieu, les récits de guerres, où l’ordre réel est souvent sacrifié à un groupement artificiel des faits concernant le même objet. Enfin les Fastes, inscriptions triomphales et laudatives, moins sûres, au point de vue historique, que les précédentes, mais les complétant parfois par d’utiles détails. Ce sont là des documents officiels, écrits pour la gloire de souverains extrêmement soucieux de transmettre leur nom à la postérité ; il n’y faut donc chercher que la mention des actions glorieuses ; les défaites sont passées sous silence. (Notez le caractère essentiellement différent de l’histoire d’Israël, où les revers sont enregistrés avec beaucoup d’humilité et de sincérité, comme des châtiments divins et des leçons pour l’avenir.) Les historiographes assyriens ont dû exagérer les hauts faits du grand roi, surtout dans les inscriptions laudatives ; ils ont pu aussi se tromper, ou modifier à dessein certains détails, ou suppléer par l’imagination au défaut de quelques renseignements précis. Pourtant leurs relations, contrôlées de diverses manières, apparaissent généralement exactes. C’était la rédaction des notes, prises, au cours des opérations militaires. par les scribes officiels, témoins oculaires ou très bien informés, que maints bas-reliefs représentent dans l’exercice de leurs fonctions, sur un champ de bataille. (Pour le classement et la critique des texte historiques, voir C. P. Tiele. Babylonisch-Assyrische Geschichte. 1886, p. 12-87 ; cf. aussi S. Karppe, Les documents historiques de la Chaldée et de l’Assyrie et la vérité, dans la Révue sémitique, 1894, p. 347-361. Ce dernier auteur me semble abaisser un peu trop la valeur des monuments assyriens.)

Ces textes ont l’avantage d’être assez souvent contemporains, ou à peu près, des faits qu’ils rapportent, et de n’avoir pas été altérés dans des transcriptions successives. Ainsi, le Prisme de Taylor qui raconte