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BABYLONE ET LA

BIBLE

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intégrité, par la race d’Abraham ? Nous ne saurions le dire… » Avec un bon nombre d’auteurs, M. Gigot regarde comme plus probable la théorie d’une origine babylonienne pour le récit de la Genèse. L’auteur sacré, à la lumière de l’inspiration divine, aurait épuré l’ancienne tradition d’un peuple polythéiste (Spécial Introduction to the study of the O. T. Part. I, 2e. éd., 1903, p. 177).

Aussitôt la question d’historicité se pose. Les récits des premiers chapitres de la Genèse contiennent-ils une histoire véritable, s’ils ont leur source dans les poèmes babyloniens ? Ces poèmes ne sont-ils pas de pures fables ? — Quelques considérations générales peuvent contribuer à éclaircir la question présente et les cas analogues.

1. L’influence babylonienne sur l’histoire primitive de la Bible est partielle, beaucoup moins étendue et moins directe que ne le prétendent les panbabylonistes, même pour le récit du déluge où elle est le plus frappante.

2. Personne n’est en droit d’affirmer qu’il ne se rencontre aucun fait réel au fond des légendes poétiques ; au contraire, il est a priori peu vraisemblable que tout y soit inventé de toutes pièces, surtout quand il s’agit d’une tradition comme celle du déluge. Qu’un pareil fait soit célèbre dans un poème plein de fictions, cela ne prouve rien contre l’historicité du fait ; si elle est établie par ailleurs, elle n’en est pas ébranlée (cf. J. Brucker, L’Eglise et la critique biblique, p. 207-234).

3. Quelques éléments essentiels de la révélation et de l’histoire primitives ont bien pu se conserver par la tradition, même pendant un espace de temps beaucoup plus considérable que les seules données de la Bible ne le laissaient supposer. « Les faits à transmettre, tels que nous les retrouvons dans la Genèse, étaient fort peu nombreux », remarque le P. J. Brucker ; et il signale comme les « plus importants » la création du monde et du premier couple humain et le péché originel (l. c., p. 229-230). | 4. Dans un récit, spécialement aux yeux des anciens, la réalité substantielle d’un fait n’entraîne pas nécessairement l’historicité des détails. Ceux-ci, surtout en poésie, sont souvent créés par l’imagination pour la mise en scène, pour l’ornement de la narration. Pour peu qu’ils se transmettent par la tradition orale, ils sont facilement modifiés ou transformés. Quand les deux traditions, biblique et babylonienne, ne coïncident pas dans les détails, il ne peut y avoir réellement conflit entre elles que si l’auteur sacré manifeste l’intention d’affirmer pour certains ces points secondaires. Si pareil cas venait à se présenter, il faudrait évidemment donner la préférence au récit inspiré.

A quelle époque et comment s’est exercée l’influence de la littérature babylonienne sur celle des Hébreux, spécialement au sujet des traditions primitives ?

Selon plusieurs auteurs (J. Goldziher, Fried. Delitzsch, etc.), les Israélites ont puisé directement à la source même, à Babylone, au temps de la captivité. Théorie inadmissible, sous cette forme générale, parce que 1. Les traditions en question existaient déjà chez les Hébreux longtemps avant l’exil. — 2. Il est invraisemblable que les Juifs, instruits et prémunis par leurs prophètes, se soient mis, officiellement et pour les vérités religieuses, à l’école des païens leurs oppresseurs. Ce n’est pas à dire qu’en ce temps-là l’influence de Babylone ait été nulle. On a vu plus haut le contraire à propos des chérubins décrits dans les visions d’Ezéchiel ; et l’on sait que les noms des mois assyro-babyloniens ont été adoptés peu à peu par les Juifs dans le courant du ve siècle av. J.-C.

D’autres critiques (Kuenen, Smend, Budde, préfèrent l’époque des Rois, du ixe au viie siècle av. J.-C — Israël, il est vrai, était alors en contact avec les Assyriens, surtout depuis l’expédition de Téglathphalasar III en Palestine (784), mais tenu en garde contre l’invasion des idées étrangères par la prédication des prophètes. Ce sont les rois impies, Achaz et Manassé, qui font des emprunts au culte et à la magie des Assyriens (II Reg., xvi, 18, xxi, 8-7).

Avec G. A. Barton, Gunkel, Zimmern, Driver, O. C. Whitehouse, etc., et parmi les auteurs catholiques, Fr. E. Gigot ('l. c.) et le P. V. Zapletal, mieux vaut remonter jusqu’à l’époque des lettres d’El-Amarna (vers 1400 av. J.-C). Ces documents d’importance hors ligne prouvent que le pays de Canaan était alors sous l’influence de Babylone. Des poèmes comme celui du mythe d’Adapa (v. supra) y étaient connus, et servaient même, semble-t-il, d’exercices de lecture. Quelque chose a pu passer, par infiltration ou par emprunt, chez les Hébreux (cf. V. Zapletal, O. P., Der Schöpfungsbericht, p. 90-98 ; A. R. Gordon, The early Traditions of Genesis, p. 62-76).

Enfin — c’est l’opinion de Franz Delitzsch, de Hommel, etc. — Abraham a pu transmettre à ses descendants quelques-unes des traditions qui avaient cours en Chaldée, son pays d’origine. Cette explication, fort plausible pour ce qui concerne certains faits primitifs tout à fait importants, se concilie très bien avec l’hypothèse précédente.

Ces données fondamentales ainsi transmises, et sans doute obscurcies ou déformées au cours des âges, ont pu, à diverses époques, être complétées et corrigées par des révélations particulières.

La Tour de Babel. — Sur ce sujet on n’a rien trouvé jusqu’ici dans les inscriptions cunéiformes. Une relation babylonienne, parallèle à celle de la Bible, nous est parvenue dans des textes de basse époque et d’origine peu sûre : un passage d’Abydène (iie ou iiie siècle après J.-C.) conservé par Eusèbe (Préparation évangélique, ix, 14, Migne, 'P. G., t. XXI, col. 701 —704 ; et Chronique, i, 8, trad. armén. publiée en 1818 par Ang. Mai, 'P. G. XIX, col. 128 ; et Fragm. Hist. græc, éd. Didot, t. IV, p. 282). De plus, un passage d’Alexandre Polyhistor citant la Sibylle et cité lui-même par le Syncelle (Didot, Fragm. Hist. græc, t. ii, p. 602) ; l’intervention de la Sibylle, et la ressemblance frappante avec le récit biblique rendent ce témoignage suspect.

Les anciens voyageurs qui ont visité les plaines de la Babylonie, à la vue des ruines les plus imposantes par leur masse, ont pensé tout naturellement à la Tour de Babel. Elred, en 1583, l’identifiait avec les ruines de’Aqarqouf à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad. Sir Robert Ker Porter, en 1817-1820, se croyait sûr d’en avoir retrouvé les restes dans les gigantesques pans de murs de Birs Nimroud, à Borsippa ; les traces d’un violent incendie qui détruisit l’édifice lui semblaient attester la vengeance divine. Oppert et Sayce furent du même avis (cf. Vigouroux, BDM6. t. I. p. 870-401). — Mais, 1. Borsippa est à douze kilomètres au sud-ouest de Babylone (Babel) ; — et surtout 2. les briques vitrifiées par le feu portent le nom de Nabuchodonosor. Dans une inscription Nabuchodonosor se vante d’avoir fait réparer et achever ce monument, qu’un de ses prédécesseurs avaient laissé inachevé. La partie importante du texte était traduite ainsi par Oppert, il y a environ cinquante ans : « Nous disons pour l’autre, qui est cet édifice-ci : Le temple des sept lumières de la terre, et auquel se rattache le plus ancien souvenir de Borsippa, fut bâti par un roi antique (on compte de là quarante-deux vies