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BABYLONE ET LA BIBLE

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pas trop fantaisiste », que l’idée de rattacher le sabbat au récit de la création ait été suggérée par le nombre des tablettes qui contenaient le poème babylonien. A cela on peut objecter : Est-il vraisemblable que l’auteur biblique ait vu et compté les tablettes cunéiformes ?

Voilà à peu près, à quoi se bornent les ressemblances. La raison en sera cherchée plus loin, à propos de la question du déluge. Les différences, d’ordre théologique, sont profondes et essentielles. Nous assistons, dans le poème babylonien, à la naissance des dieux, puis à leur lutte contre le principe qui leur a donné le jour, lutte dont l’issue aurait aussi bien pu être fatale pour eux. Mardouk a obtenu le premier rang par un décret des autres dieux ivres. Sa toute-puissance paraît assez précaire par la façon dont elle lui est octroyée et la preuve magique qu’il en donne. Il s’équipe bizarrement et va livrer bataille contre Tiàmat. La scène du combat, appelée « magnifique » par Delitzsch, mériterait plutôt le nom de « grotesque ».

Au lieu de ce grossier polythéisme, nous trouvons dans le récit biblique le monothéisme le plus pur. Un Dieu unique agit dès l’origine en maître absolu, avec une toute-puissance réelle. Il n’a pas à lutter péniblement et à ses risques contre des forces adverses ; d’une seule parole il crée et organise tout. La spiritualité des idées, la dignité du ton, la majesté du tableau élèvent cette page incomparablement au-dessus de la légende babylonienne et de toutes les cosmogonies anciennes. Les critiques indépendants eux-mêmes en conviennent sans difficulté.

Gunkel et Zimmern ont éuuméré avec complaisance les passages de la Bible et des apocryphes où il est question d’une lutte de lahvé contre Rahab, Léviathan et autres monstres (Is. iii, 9 ; xxvii, 1 ; Ps. lxxxix, 11 ; lxxiv, 14, etc.). Que cette façon poétique de désigner les puissances ennemies, l’Egypte, par exemple, personnifiée sous le nom de Rahab, soit due à l’influence de quelque poème mythique, c’est possible ; mais il faut bien noter (ce que les critiques omettent parfois) que la conception primitive est alors totalement transformée. Ces monstres ne sont plus des principes premiers, comme Tiàmat, puissances du mal et des ténèbres combattant contre Dieu à armes égales ; ce sont des créatures de lahvé (Job xxvi, 13 ; xl, 15 ; Ps. civ, 26, etc.), et lahvé en triomphe toujours en souverain absolu.

Le Paradis et la chute du premier homme. — La description du paradis terrestre, dans la Genèse, a pu s’inspirer de quelques traits des mythes babyloniens. Ici encore les points communs des traditions analogues s’expliquent par l’une ou l’autre des raisons examinées plus loin à propos du déluge. En particulier, pour l’arbre de vie, le P. Dhorme, qui repoussait d’abord le prototype chaldéen de l’arbre d’Eridou (Choix de textes…, p. 98), a modifié son opinion peu de temps après dans la Revue biblique, avril, 1907, p. 271-274. « On voit, écrit-il, que, dans la mythologie de l’antique Chaldée, figure un « arbre de vérité », planté à l’orient et gardé par le soleil levant » ; et dans l’arbre sacré d’Eridou il reconnaît « l’arbre de vie », à côté de l’arbre de vérité. M. Vigouroux dit aussi : « Dans le voisinage d’Eridou était un jardin, lieu sacré où croissait l’arbre de la vie… Cet arbre sacré est souvent représenté sur les monuments assyro-chaldéens, et l’on ne peut s’empêcher d’y reconnaître l’arbre du Paradis terrestre de la Genèse » (Dictionnaire de la Bible, art. Paradis terrestre, col. 2126). Si, avec Dhorme et A. Jeremias (ATAO2, p. 191), il faut distinguer deux arbres de cette sorte dans les légendes babyloniennes, il semble que plusieurs critiques, Kuenen, Budde, Gunkel, Cheyne, Loisy, se sont trop pressés d’en supprimer un des deux dans le texte biblique, ou de les confondre en un seul.

On discute sur le site du Paradis terrestre, et sur les deux premiers des quatre fleuves nommés dans Gen. ii, 11-14. Les deux derniers fleuves sont sûrement le Tigre et l’Euphrate (voir 'Dict. de la Bible, art. Paradis terrestre, et Rev. bibl., 1902, p. 268-271).

Malgré tous les rapprochements tentés sur divers points, on peut dire que jusqu’ici dans les inscriptions cunéiformes on n’a rien trouvé de parallèle au récit de la chute du premier homme. Plusieurs ont vu dans le mythe d’Adapa l’histoire d’Adam privé de l’immortalité. Le mythe d’Adapa est très ancien, puisqu’il se lit dans les tablettes d’El-Amarna (vers 1400 av. J.-C). En voici une brève analyse (pour le texte voir Dhorme, p. 148-161). Adapa, homme très intelligent, créé par Ea, probablement pour le service de son temple à Eridou, brisa un jour les ailes du Vent du sud qui soufflait contre lui. Cité pour ce méfait devant Anou, dieu du ciel, il est averti par Ea qu’on lui offrira de la nourriture, de l’eau, un vêtement et de l’huile ; qu’il prenne le vêtement et l’huile, mais pas l’aliment et l’eau qui causeraient sa mort. Adapa suit fidèlement ces prescriptions. Mais il se trouve que c’était un aliment de vie et l’eau de la vie qu’Anou lui offrait. Avec des analogies vagues et lointaines systématiquement forcées, quelques interprétations arbitraires, et trop d’imagination pour combler les lacunes du texte babylonien, M. Loisy est amené à penser que « la matière du récit biblique [de Gen. ii-iii] est presque la même que celle de la légende d’Adapa » ; toutefois il ajoute : « avec un esprit tout différent ». Il reconnaît en effet des différences « importantes et significatives » ; mais plusieurs analogies lui paraissent trop frappantes pour être fortuites : « De part et d’autre la science et l’immortalité sont des privilèges divins… qui ne sont pas donnés tous deux à l’homme, parce que, s’il les possédait l’un et l’autre, il serait comme Dieu ; il peut bien arriver à la science, mais non à l’immortalité ; encore paie-t-il cher ce don de la science ; il le possède contrairement à une volonté divine, et c’est cette volonté qui ajoute à sa condition mortelle tous les maux de l’existence. L’aliment de vie lui avait été dénoncé comme une nourriture de mort ; de sa rencontre passagère avec le fruit de l’immortalité, l’homme n’emporte qu’un habit, avec la malédiction divine » (Les mythes babyloniens et les premiers chapitres de la Genèse. 1901, p. 76). Zimmern estime « vraisemblable » l’influence du mythe d’Adapa au moins sur une partie du récit de Gen. ii-iii ; il regarde comme possible que le nom Adam vienne de Adapa. A. Jeremias écrit sans la moindre hésitation : Adapa = Adam.

Ces conjectures sont vraiment trop précaires. Car
— 1. L’équivalence Adam = Adapa n’est fondée que sur une ressemblance partielle des noms ; par une étymologie aussi fantaisiste « Adam » a été rapproché de l’égyptien « Atoum ». Plusieurs, avec Scheil, identifient plutôt Adapa avec Alaparos, qui pourrait bien être une lecture fautive de Adaparos, second roi de la liste des dix rois primitifs donnée par Bérose. Dans le poème, Adapa n’est pas le premier homme ; mais il est créé « parmi les hommes » ; et l’on ne voit nulle part qu’il soit le représentant de toute l’humanité.
— 2. On ne sait pas pourquoi Ea dénonce comme un aliment de mort les mets qui seront présentés. A-t-il voulu « tromper Adapa », comme M. Loisy l’explique par des considérations ingénieuses ? Ce n’est pas sûr. Il n’y a pas analogie proprement dite avec la scène d’Eve trompée par le serpent.
— 3. Adapa est privé de l’immortalité par