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BABYLONE ET LA BIBLE

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départ de Josué pour la Terre promise ; au printemps aussi les Israélites quittent Babylone, et un de leurs chefs s’appelle a Josué » ! Une seconde expédition (Esdr., viii, 31) se place également au printemps ! N’est-il pas invraisemblable qu’on se mette toujours en campagne au printemps ?

Quelques mots sur l’épopée de Gilgameš dans le Nouveau Testament. La naissance d’Eabani est un miracle ; comparez la naissance de Jean-Baptiste. Eabani est velu et vraisemblablement vêtu de peaux ; comparez le manteau de poils du prophète. Jean-Baptiste est aussi Gilgameš, car il blâme Hérode Antipas, comme Gilgameš a blâmé la déesse Istar, etc., etc. M. Loisy lui-même a dit de ce livre : « Voilà beaucoup d’érudition dépensée en pure perte » (Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1906, p. 576).

Les origines : La création. — Le Paradis et la chute du premier homme. — Les patriarches antédiluviens. — Le déluge. — La Tour de Babel.

La création. — La légende babylonienne sur ce sujet était connue depuis longtemps par les fragments de Bérose (prêtre babylonien vers 275 av. J.-C.) et par quelques lignes de Damascius (vie siècle après J.-C). Une grande partie du poème mythique intitulé, d’après les premiers mots, Enuma éliš (Lorsqu’en haut…), fut retrouvée par George Smith et publiée par lui en 1876 (The Chaldean account of Genesis). Delitzsch, puis Jensen l’ont aussi interprétée ; et en 1902 L. W. Kimg, avec de nouveaux fragments trouvés par lui (The Seven Tablets of Creation). Voir P. Dhorme, Choix de textes…, et Lagrange ERS2 p. 366-381. Le poème, sous sa forme actuelle, remonte à l’époque de Hammourabi (vers 2050 av. J.-C) ; le fond est vraisemblablement de date beaucoup plus ancienne.

1re Tablette. — Avant le ciel et la terre, avant les dieux, il y avait l’Océan, Apsou et la Mer, Tiàmat, confondant leurs eaux (personnification du chaos). Apsou et Tiàmat engendrent les dieux (c’est l’ordre sortant du chaos). Mais l’inerte Apsou, troublé dans son repos par l’activité des dieux, consulte Tiàmat, et la perte des dieux est décidée. Ea, le plus intelligent des dieux, devine le funeste projet et le déjoue. Tiàmat furieuse enfante alors des serpents, des dragons, des hommes-scorpions, et autres monstres, qu’elle lance contre les dieux.

2e Tablette. — Ea rapporte à son père, Anšar, les projets de Tiàmat. Contre Tiàmat Anšar envoie son autre fils, Anou. Celui-ci, à la seule vue de Tiàmat, prend aussitôt la fuite. Le dieu Mardouk consent à livrer bataille, à condition d’être d’abord exalté dans l’assemblée des dieux.

3e Tablette. — Anšar envoie son messager Gaga pour convoquer les dieux. Les dieux se réunissent dans un banquet ; ils boivent, s’enivrent et poussent de grands cris.

4e Tablette. — Les dieux confèrent à Mardouk la toute-puissance. Il la manifeste en faisant soudain disparaître et reparaître un vêtement placé devant lui. Il s’arme d’un arc, d’un filet, de plusieurs sortes de vents violents ; porté par un ouragan comme sur un char, il s’avance hardiment contre Tiàmat. Au moment où le monstre ouvre la gueule, il y jette un vent de tempête ; puis d’une flèche il lui transperce le corps. D’une moitié de ce corps il couvre le ciel ; et, pour maintenir les eaux là-haut, un verrou est tiré et un garde est installé.

5e Tablette. — (Plusieurs lacunes considérables.) Mardouk met dans le ciel les étoiles, les planètes, la lune et le soleil : « Il fit briller Sin [la lune], il lui confia la nuit. Il l’établit, comme corps nocturne, pour régler les jours. »

De la 6e Tablette il ne reste que quelques lignes mutilées, récemment retrouvées et publiées par King. Pour donner aux dieux des adorateurs, Mardouk forme les hommes en prenant de son sang (King, Dhorme)1 ou du sang (Zimmern, A. Jeremias, Lagrange).

La 7e Tablette (immense lacune au milieu) récapitule les exploits et les créations de Mardouk et énumère les titres qui lui font mériter l’hommage des dieux et des hommes. Comme il est appelé là « créateur des grains et des plantes », « producteur de l’herbe » ; d’autre part, puisque, d’après Bérose, les animaux ont été créés en même temps que l’homme, il est probable que les passages absents des tablettes 5e et 6e racontaient la création des végétaux et des animaux.

Inutile de citer ou de résumer le premier chapitre de la Genèse, que tout le monde connaît. En comparant la cosmogonie babylonienne avec ce premier récit biblique de la création, n’y a-t-il pas, pour le moins, une forte exagération à parler de « connexion tout à fait étroite » (Delitzsch) ou « d’influence intense et très multiple » (Zimmern) ou même de « relation étroite » (King) ? Tout bien pesé, les ressemblances se réduisent à peu de chose, et elles sont purement matérielles. Dès les premières lignes des deux récits il est question du chaos : le mot hébreu tehôm, l’abîme des eaux, est l’équivalent du babylonien tiâmtu, tàmtu, la mer ; Tiàmat. La création du firmament et la séparation des eaux supérieures (Gen., i, 6-8) correspond à la division du corps de Tiàmat, dont une moitié couvre le ciel et forme une sorte de firmament contenant les eaux supérieures. Il y a beaucoup d’analogie aussi dans l’ordre des créations : les astres, la lune « pour régler les jours », puis probablement les animaux, et enfin les hommes. Suivant d’autres légendes plus anciennes, le créateur des hommes est Ea, et non Mardouk. Ea est « le seigneur de l’humanité, lui dont les mains ont créé les hommes » (Série Šurpu, tabl. IV, l. 70). Ailleurs on le voit qui crée un homme et, dans un autre texte, deux hommes, mais lorsque l’humanité existe déjà sur la terre. Nulle part on ne trouve dans les textes babyloniens et assyriens la création du premier homme, de la première femme, du premier couple humain. Dans telle ou telle création particulière, l’homme est formé avec de la terre. Le dieu Ea est appelé le « potier ». Comparez la représentation égyptienne du dieu Chnoum modelant le corps de l’homme sur la roue du potier. Cela rappelle un trait du second récit biblique (Gen., ii, 7). Ea crée Așoušounamir après avoir « formé une image en son cœur », et la déesse Arourou forme dans son cœur une image d’Anou, dieu du ciel, pour créer Eabani (qui, il est vrai, n’est pas un homme ordinaire). On a rapproché ce détail de Gen., i, 26, 27, où il est dit que l’homme fut fait à l’image de Dieu.

King s’est demandé si la division en sept jours, dans Gen. i, n’aurait pas été faite sous l’influence des sept tablettes babyloniennes de la création. Il est vrai, dit-il, les raisons d’employer le nombre sept ne sont pas les mêmes de part et d’autre : chez l’auteur biblique, c’est l’intention de donner un modèle à l’homme pour l’observation du sabbat ; dans le poème babylonien, c’est tout simplement la nature mystique du nombre sept. De plus, ici les œuvres de la création ne sont pas réparties suivant le nombre des tablettes, mais racontées seulement dans la quatrième et les suivantes. Cependant il peut se faire, continue le même auteur, et « cette supposition n’est peut-être

1. Sur le texte de Bérose, suivant lequel Bel (Mardouk) se serait coupé la tête, voir Lagrange, ERS2, p.386.