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AUMONE

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personne. A’ul, en effet, ne doit vivre contrairement aux convenances (S. Thom., 2. 2, q. 65, a. 2). Mais dès qu’on a suffisamment donné à la nécessité et au décorum, c’est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. C’est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d’extrême nécessité, mais de charité chrétienne, un devoir jîar conséquent dont on ne peut poursuivre l’accomplissement par les voies de la justice humaine. »

Il est important de préciser en quel sens le devoir de l’aumône, en cas de nécessité extrême, ressortit à la stricte justice. Sinon on arriverait à des conclusions exorbitantes, comme celle-ci : celui qui n’aurait pas donné sera tenu en justice de réparer tout le dommage provenant de son omission. L’extrême nécessité donne à l’indigent le droit de s’approprier la chose d’autrui, pour autant que l’exige la nécessité urgente. Mais le propriétaire n’est pas tenu en justice à donner cette chose, il n’est soumis qu’à un devoir de charité. D’autre part, lorsque le nécessiteux usant de son droit a fait acte d’appropriation, le propriétaire ne saurait sans injustice s’opposer à l’exercice de ce droit ou reprendre la chose. La pauvreté et la nécessité extrême ne confèrent pas immédiatement le droit de propriété à l’indigent sur les choses appropriées, elles ne sont que la condition nécessaire de l’exercice de ce droit.

Pai’le fait de l’extrême nécessité, le pauvre a un titre juridique qui lui permet de devenir par l’occupation propriétaire des choses indispensables à son existence. Tout se passe donc comme si ces choses étaient nullius, non pas sans doute d’une manière universelle, mais relativement au droit supérieur du pauvre à l’existence. (Comp. de Lugo, De jure et justifia, disp, XVI, sect. 7, n’^ 143.)

m. — Le devoir de l’aumône suppose dans le donateur un superflu et dans le donataire une nécessité. Le superflu est double, savoir le superflu de la vie, ou l’excédent qui dépasse les besoins ordinaires de l’existence, et le superflu de la condition, ou l’excédent des dépenses que demande la condition, l’état ou le rang social de quelqu’un. Cet excédent qui constitue le superflu dans les deux ordres a pour limite inférieure la dépense et l’épargne convenables pour subvenir aux besoins présents et futurs de la famille, quand il s’agit d’un chef de famille ou de ceux qui se préparent à le devenir.

La nécessité qui constitue pour l’indigent le titre à l’aumône s’échelonne sur trois degrés : la nécessité extrême, la nécessité grave et la nécessité commune.

En cas de nécessité extrême, on doit prendre, si le prochain ne peut être autrement secouru, non seulement sur son superflu, mais sur le nécessaire de son rang, parce qu’on doit préférer la vie du prochain au maintien intégral de sa condition. Tout homme réduit à l’extrême nécessité, peut s’approprier ce qui est indispensable pour se sustenter, le droit de propriété étant limité par le droit supérieur de ne pas mourir de misère.

En cas de nécessité grave ou de nécessité commune, on doit en général secourir les indigents avec le superflu de son rang. Il est à remarquer que le superflu du rang a une extension assez large et qu’il est extrêmement dilTicile d’en déterminer les limites exactes. Dans cette situation perplexe, la religion Tient en aide et l’amour tranche le problème. *^ Audessus des jugements des hommes et de leurs lois, dit Léon XIII, il y a la loi et les jugements de Jésus-Christ notre Dieu, qui nous persuade de toutes les manières de faire habituellement l’aumône » (Encyc. lierum Novarunî).

Quelle est la nature de l’obligation imposée au

riche de faire l’aumône ? Sauf le cas d’extrême nécessité, c’est une obligation non de stricte justice, mais de charité ; une obligation qui ajjpartient à la catégorie des devoirs moraux et non des àevoiTs juridiques. De ce devoir l’homme est responsable devant Dieu et devant sa conscience, et non pas devant la justice humaine. On dira peut-être que l’obligation de donner le superflu aux pauvres confère à ceux-ci le droit de s’approprier ce superflu. Cela n’est pas à craindre, parce que — sauf le cas de nécessité extrême — le droit de l’indigent au superflu du riche est un droit imparfait et indéterminé. Le superflu en efl"et est dû aux pauvres en général, et non à tel pauvre en particulier, et comme il ne peut évidemment subvenir aux besoins de tous, c’est à la liberté du riche qu’est laissé le soin de décider à qui dans la foule des pauvres il donnera de préférence.

Les paroles de Léon XIII citées plus haut : « C’est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres », prises au pied de la lettre, sembleraient indiquer que le superflu tout entier doit être distribué en aumônes. Mais l’opinion la plus commune des théologiens, suivant sur ce point la doctrine de saint Alph. DE LiGuoRi (liv. III, n" 82 et ss.), admet simplement que d’une manière générale le superflu des riches doit contribuer à l’entretien des pauvres. On peut donc interpréter les paroles de Léon XIII, conformément au sentiment commun des théologiens moralistes.

On s’est demandé quelle était pour le riche la natiu’e de l’obligation de faire l’aumône, en cas de nécessité commune. Obligation grave ou légère sous peine de péché mortel ou de péché véniel ? II semble bien que le précepte de l’aumône, d’une manière générale, comporte une obligation grave. Il s’agit en effet de la fin même de la possession des richesses suivant le plan divin, il s’agit de l’intérêt commun du genre humain, en un mot : la matière du précepte est grave en soi. Ainsi, commettrait une faute grave le riche qui jamais, en aucune circonstance, ne viendrait d’une manière quelconque au secours des indigents.

Un bon nombre des objections soulevées contre l’aumône s’applique à l’aumône mal faite, elles tombent d’elles-mêmes si l’on examine avec soin les conditions que doit remplir l’assistance du prochain.

IV. — Le devoir de l’aumône doit s’accomplir avec prudence et intelligence, car il est certain que la charité la plus généreuse, mais exercée sans discernement, perd une partie de ses ressources à entretenir et à multiplier les professionnels de la mendicité. Le rôle propre de l’aumône, c’est d’être un remède accidentel et transitoire pour celui qui est momentanément incapable de se procurer les moyens d’existence. Ainsi, d’une manière générale, l’aumône ne devrait pas s’adresser à l’ouvrier valide, qui doit pouvoir gagner son pain et non pas le mendier. Il appartient à la charité de secourir les misères, et il appartient à une bonne organisation sociale de prévenir la misère.

Donner l’aumône sans critique, c’est favoriser la mendicité et l’oisiveté. Il importe donc de ne consentir un secours qu’après avoir examiné aA’ec soin la situation particulière de l’indigent. Pour cela il faut organiser la chaiùté. Les aumônes isolées peuvent être nuisibles, si elles sont faites sans plan, sans discernement. Souvent un mendiant importun sera large-, ment secouru, tandis que le pauA’re honteux, bien plus digne d’intérêt, sera laissé de côté. Or dans les villes le particulier est reirement en état de connaître exactement la situation besogneuse de celui qui demande l’aumône. L’association se chargera efficacement de ce soin. En outre elle sera l’intermédiaire entre les