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AUMONE

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difficulté au philosophe et au psychologue. Ces gens parlent de ce qu’ils ignorent, ce qui est la chose du monde la plus banale, et la moins intéressante. Seulement, il est d’autres athées qui, sans même faire profession de philosophes, connaissent les preuves classiques de l’existence de Dieu. Ils les connaissent si bien, qu’ils pourraient les exposer avec i^lus d’ampleur et de rigueur que beaucoup d’adorateurs orthodoxes du Dieu personnel. Pourquoi ne sont-ils pas persuadés eux-mêmes ? Ils le sont, pensera-t-on peut-être. Mais, de nouveau, cette réponse dénature le problème, et ne le résout pas. S’il est des hommes qui. croyant à l’existence d’un Dieu personnel, trouvent agrément ou profit à la nier, leur cas ne relève pas de la discussion philosophique.

Cependant, sous couleiu- de préciser l’objection, ne l’avons-nous pas transformée en énigme ? En écartant deux formes dérisoires du problème, n’avons-nous pas exclu et les raisons intellectuelles et les raisons morales cfui serviraient à le résoudre ? Nous ne proscrivons ni les unes ni les autres. Nous notons seulement que l’ignorance grossière et la mauvaise foi consciente n’expliquent pas les cas les plus intéressants, et les seuls authentiques, de rathéisme contemporain. Cette remarque ne signifie pas qu’ici n’interviennent ni les défauts intellectuels, ni les insuffisances de la volonté. Quant au premier point, nous estimons avec M. l’abbé Piat, que beaucoup de philosophes restent insensibles à l’ellicacité des arguments traditionnels, parce qu’ils les prennent à rebours, parce qu’ils les examinent dans un esprit surtout critique. M. Piat est même convaincu que, k si l’on se fût préoccupé de dépasser l’ombre, au lieu de s’y complaire, si l’on eût mis à chercher Dieu le dixième de l’énergie que l’on a mise à l’envelopper de nuages, il serait sorti de ce travail la plus ample, la plus précise et la plus solide des théodicées qui se soit jamais vue. » Il conclut énergiquement : « Saint Augustin, Descartes et Leibniz auraient pâli en face de ce nouvel effort de l’esprit humain.) (Revue pratique d’Apologétique, 15 janvier 1907, p. 45 1.) L’auteur n’attribue pas à un vice de logique le rôle principal dans la genèse de l’athéisme,’c Prise en masse, notre société a cessé de croire, parce qu’elle l’a voulu ; elle a commencé à le vouloir lorsqu’elle est devenue assez mauvaise pour que la haine de la mérité dominât dans son sein. ^> (ihid., p. 453.) Mais de cette proposition générale, il est toujours délicat de descendre aux applications particulières. Rappelons seulement que des philosophes comme BuocnARD et Rexouvier convenaient que l’erreur impliquait souvent faute morale ; Brochard a même employé le mot de crime. " Qui peut dire qu aux yeux de Dieu, il n’y ait pas des erreurs qui sont des crimes ? » (De l’Erreur, p. 280, Paris, Alcan, 1897.)

X. MoisAXT.


AUMONE. — I. Notion de l’aumône. — II. Précepte de Vaumône. — III. Titre du pauvre à l’aumône. — IV PnJo < : nninl ^o l’aumôue. — V. Objections

IV. Bôle social de

contre l’aumône.

l. — L’aumône peut signifier soit le secours accordé à l’indigent, soit l’acte humain d’où procède ce secours. Dans la théologie catholique, ce mot est réservé à un acte de vertu chrétienne, , et, d’après saint Thomas, l’aumône consiste à donner au pauvre par compassion et pour l’amour de Dieu : « Opus quo dutur aliquid indigenti ex compassione propter Deum. « (S. Thom., 2" 2="^, q. 32, a. I.) L’aumôme s’étend donc à tous les besoins du corps, comme à ceux de l’àme ; elle comprend les œuvres de miséricorde spirituelle et les œuvres de miséricorde corporelle ; mais ce sont ces

dernières qu’on a principalement en vue : donner à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, vêtir les pauvres, recevoir les voyageurs, visiter les malades, soulager les prisonniers, ensevelir les morts.

L’aumône tire sa valeur morale du motif qui l’inspire, et pour être chrétienne elle doit prendre sa source dans l’amour du prochain. Par un mouvement naturel, la détresse du pauvre émeut l’àme, mais pour se terminer en l’acte de vertu chrétienne qu’est l’aumône, cette émotion doit provenir aussi de l’amour du prochain. Comme d’ailleurs la charité envers les hommes n’est pas différente, dans la vie chrétienne, de la charité envers Dieu, il s’ensuit que l’aumône chrétienne doit avoir pour motif ultime l’amour de Dieu. C’est ce que saint Thomas exprime en ces termes : « . L’aumône est un acte de charité provoqué par la miséricorde. » Actus cliaritatis mediantemisericordia. Delà découlent plusieurs conséquences dignes d’être notées.

Donner au pauvre par compassion purement sensible, parfois même instinctive, pour éviter, par exemple, la triste vision de la souffrance humaine, cet acte, bien qu’il ne soit pas coupable, ne saurait être compté parmi les actes de vertu. Il n’est même pas rare de voir l’aumône inspirée par des motifs répréhensibles, telsque lavanité, l’orgueil, la cupidité. Certaines fêtes soi-disant de charité, occasions de plaisir et d’ostentation pour les donateurs, laissent souvent après elles l’envie et la haine chez les malheureux. De fastueuses souscriptions annoncées et vantées dans les journaux mondains témoignent plutôt de la fortune que de la charité du « généreux i)ienfaiteiir)<. Enfin, parce que l’aumône chrétienne est fille de la charité, il s’ensuit qu’elle est non seulement un secours matériel, mais encore et surtout le don de quelque chose de soi, un rapprochement des cœ’urs, une communion des âmes dans le Père qui est aux cieux.

II. — L’aumôneestl’objet d’un précepte très souvent inculqué dans les Livres saints, et manifesté d’ailleurs par la simple loi naturelle.

Fais des aumônes avec ta fortune et ne détourne pas tes regards du pauvre (Tob., iv,’j). De ce qui vous reste faites l’aumône (Luc, xi, 41)* Refuser l’aumône, c’est violer le droit du pauvre (Eccl., iv, j), blesser la charité divine (I Joan., 111, l’j), s’exposer à la colère divine (Jac, 11, 13 ; Prov., xxi, 13). L’aumône sera récompensée (Psalm., xl, 2 ; Tob., iv, 7), elle procure un trésor au ciel (Matt., xix, 211), délivre de la mort (Tob., xii, g), purifie des péchés (Dan., iv, 24), délivre du mal (xxix, 15). Abandonner ses biens aux pauvres, pour endjrasser la pauvreté volontaire, est loué comme un état de perfection, comme un conseil évangélique (Matt., xix, 21). Ce qui est donné au pauvre doit être regardé comme donné à Dieu même (Matt., XXA’, 40).

L’accomplissement de ce devoir est présenté comme la norme du jugement dernier (Matt., xxv, 35-40).

On apporte parfois pour établir le précepte de l’aumône le texte de saint Matthieu (xxvi, 6-13), dans lequel, pour louer la charité de Marie-Madeleine répandant des parfums sur les pieds du Sauveur, il est dit : « Cai* les pauvres, vous les aurez toujoui’s parmi vous, mais moi vous ne m’aurez pas toujours. » Or ces paroles ne se rapportent pas aux chrétiens du XX® siècle, Jésus s’adresse aux juifs, et plus spécialement, au dire de saint Jean qui raconte le même épisode, à Judas Iscariote. Il leur reproche doucement leur manque d’amour, alors qu’ils savent c{ue bientôt ils ne le reverront plus. D’ailleurs, il est à remarquer que le futur : vous aurez (fréquemment employé dans les versions françaises) ne se trouve pas dans le texte authentique. Le texte grec et la vulgate portent l’un