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ASCETISME

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nos ascètes ont pu exagérer, nous serons les premiers à les blâmer, mais de grâce qu’on juge une pratique par l’ensemble, et non par quelques-uns de ses résultats.

Il ne faut pas l’oublier d ailleurs, la^doctrine cathoque, et l’ascétisme qui en fait partie, est une doctrine de Aie ; ce sont les doctrines humaines qui presque toujours sont des doctrines de mort ; à bien les voir dans leur fond, on trouvera que souvent elles amoindrissent en nous ou 1 esprit, ou le corps, ou la liberté, ou la personnalité, ou 1 action. « Le voleur ne vient que pour dérober, égorger, et détruire ; moi je suis venu pour que les brebis aient la vie et qu elles soient dans l’abondance. Je suis le bon pasteur. « (Joan., x, 10.) L’ascétisme, loin d’amoindrir l’intelligence, lui permet, en se dégageant du corps, d’élargir son horizon, de contempler la vérité de plus haut et d’y pénétrer plus avant ; en se dégageant de l’orgueil, de recevoir plus directement les rayons de la Aérité que n’arrêtera pas l’écran de l’amour propre ; l’ascétisme, loin d’amoindrir la volonté par l’obéissance, l’y trempe et l’y déAeloppe. Pour nous aider à Aouloir, il faut souvent nous servir de la Aolonté d’un autre ; c’est du bon sens avant d’être de la psychothérapie. Si celui qui nous aide à vouloir n’est pas pour nous simplement vm homme^ mais le représentant de Dieu, si, pratiquement, lui obéir c’est obéir à Dieu, quelle influence n’aura pas sa Aolonté sur la nôtre, et de quelle force ne disposera-t-il pas pour nous faire Aouloir ! L’ascétisme, en soumettant notre volonté à Dieu ou à son représentant, est donc pour nous le plus sîir moyen pratique de nous aider à vouloir, de fortifier notre Aolonté.

5) Du fait que dans presque tous les temps, chez presque toutes les nations païennes ou hérétiques, on rencontre un ascétisme, on conclut quelquefois que l’ascétisme chrétien ressemble à tous les autres ; l’ascétisme est une aberration à peu près générale de la nature humaine ; partout où elle se manifeste, il faut la réprouA’er.

11 n’est jjas exact de dire que l’ascétisme chrétien ressemble à tous les autres. Dans l’Inde, dans la Perse, en Grèce, en Egypte, chez les Juifs, comme chez les montanistes, gnostiques, manichéens, albigeois, Aaudois, frères apostoliques, flagellants, protestants, schismatiques, on trouve sans doute des pratiques extérieures d’ascétisme qui ressemblent à celles des catholiques : célibat, vie commune, abstinences, jeûnes^ mortifications coi’porelles ; et il n’y a point à s’en étonner : la nature humaine est partout la même, les moyens de la mortifier doivent donc être partout à peu près les mêmes. Mais ce qui fait la Aaleur de ces mortifications extérieures, c’est le but où elles sont dirigées, la fin que l’ascète se propose. Dans l’ascétisme païen, chez les sectes hérétiques ou dissidentes, presque toujours ces pratiques

— qui souvent sont déjà ridicules en elles-mêmes par quelque côté — sont viciées par l’orgueil, et elles ne disent cpi’à contenter l’amoui- propre. L’ascétisme chrétien, au contraire, tel au moins que l’exige la doctrine catholique, ne doit jamais se séparer de l’hiuuiUté, et j’ajouterais volontiers du bon sens ; il n’a d’ailleurs pas d’autre fin que d’unir l’âme à Dieu dans et par la charité affective et effective.

On peut encore ajouter que l’ascétisme chrétien est essentiellement actif et non paresseux, comme l’ascétisme de l’Inde : à ses moines, il a presque toujours fait une obligation du travail manuel et du travail intellectuel, qui aide à la contemplation et à lapostolat ; on connaît assez les services rendus par les premiers ascètes chrétiens qui transcrivirent la Bible ou les écrits des Pères (Dom Besse, Le moine

bénédictin, Ligugé, 1898, p. 185 sqq. ; Les Moines d’Orient, Paris, 1900, p. 335 sqq., 3^8 sqq., 445 sqq. ; Paul Allard, Les Esclaves chrétiens, saint Basile ; MoNTALEMBERT, Les Muines d’Occident, p. lvu sqq., Lxxiv sqq. ; on peut consulter aussi les Règles de saint Pacome, P. L., t. XXIII, de saint Basile, P. G., t. XXXI, de saint Macaire, P. L., t. GUI, etc.).

En outre, l’ascétisme chrétien est éminemment social et apostolique. Toujours il s’est dévoué aux œuvres de charité : il fait l’aumône, donne l’hospitalité, soigne les malades, assiste et délivre les prisonniers ; par ses exemples, son autorité morale, ses prédications, il exerce une haute influence, réprime les scandales, et quand le bien de l’Eglise est en cause, il n’hésite pas à donner de hautes et dures leçons aux princes et aux évêques eux-mêmes. Il est à la portée de tous et non point seulement des castes de privilégiés. Autant d’idées qu’il faudrait développer l’histoire en main, pour en comprendre la vérité et en saisir toute la force apologétique.

Me permettra-t-on de remai-quer, en terminant, que plusievu-s philosophes contemporains, partisans du plus pur positivisme, en arrivent à proclamer la nécessité du renoncement, c’est-à-dire de l’ascétisme. (( La Aie a deux faces, écrit M. Guyau {Esquisse d’une morale sans obligation fti sanction, 1. I, c. 2) : par l’une elle est nutrition et assiaailation, par l’autre production et actiA-ité. Plus elle acquiert, plus il faut qu’elle dépense, c’est sa loi… Il y a une certaine générosité, inséparable de l’existence, et sans laquelle on meui’t, on se dessèche intérieui-ement. Il faut fleurir ; la moralité, le désintéressement, c’est la fleur de la Aie humaine… Nous sommes bien loin de Bentham et des utilitaires, qui cherchent à éAiter partout la peine, qui Aoient en elle l’irréconciliable ennemie ; c’est comme si on Aoulait ne pas respirer trop fort, de peur de se dépenser, w

Spencer, malgré ses efforts pour ramener l’altruisme à l’égoisme, n’en est pas moins forcé de reconnaître le fait de l’abnégation, du renoncement, abnégation, renoncement qui grandissent à mesure que l’individu s’élèAc, et il écrit :’( Le sacrifice de soi n’est donc pas moins primordial que la conservation de soi. »

Max XoRDAU avoue que la civilisation a eu pour grand objectif « de dompter la concupiscence », et d’élcvcr l’homme au-dessus « du carnassier Aoluptueux ». L’effort fait par la civilisation doit être aussi l’effort de chaque indiAÎdu ; il nous faut lutter contre les ennemis du dedans comme contre ceux du dehors. Toute civilisation, toute société a « pour première prémisse l’amour du prochain et la capacité du sacrifice : le progrès est l’effet d’un asserA-issement toujours plus dur delà bête dans l’homme, d’un refrènement de soi-iuéme toujours plus séAère, d’un sentiment du deA’oLr et de la responsabilité toujours plus délicat ».

M. Payot, dans l’Education de la Volonté, recommande un grand nombre des pratiques de l’ascétisme chrétien, la méditation, aA’ec résolutions grandes et petites, universelles et de détail, d’orientation et de pratique immédiate ; il Acut même qu’on fasse des retraites, non pas une fois, mais trois fois par an. De plus, il faudra « dans le com-ant de l’année scolaire, se ménager de nombreux instants de réflexion sur soi dans les intervalles de l’action. Le soir en s’endormant ou la nuit lorsqu’on s’éAcille, ou dans les moments de repos, quoi de plus facile que de renouA-eler ses bonnes résolutions ? quelle occupation plus utile encore le matin lorsqu’on s’éAcille, pendant qu’on s’habille, qu’on se rend à son travail, que de faire rcvcrdir la plante des bons désirs ? » (p. 131, 28’édit.). Si M. Payot connaît les Exercices de SJgnacBj je crois qu’il lui a été diflîcile de ne pas se souvenir

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