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ASCETISME

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idées d’un certain nombre de chrétiens aient fléclii, ou se soient légèrement modiiiées. « Une étrange transformation morale s’est opérée durant le siècle dernier dans toute l’étendue du monde occidental. Nous ne pensons plus être appelés à braver d’une àme sereine la douleur physique. On nexige pas d’un homme qu’il la supporte sans miu-murer, on ne s’attend guère à ce qu’il l’inllige à l’un de ses semblables. La description des douleurs physiques nous donne la chair de poule… La conséquence de cette transformation, c’est que, même au sein de l’Eglise romaine, où l’ascétisme sappuie sur une tradition imposante, où pendant si longtemps on l’a envisagé comme une source de mérites, il est presque partout tombé en désuétude, sinon en défaveur. Un chrétien qui se flagelle ou pratique d’autres macérations suscite aujourd’hui plus d’étonnement et d’effroi que d’émulation. Beaucoup d’écrivains catholiques admettent que les temps sont changés et paraissent s’y résigner sans trop de peine. » (William J.mes, L’expérience religieuse, p. 202.) La remarque est d’un adversaire qui veut être impartial et qui l’est presque toujours. Il importe donc de résoudre les objections faites à l’ascétisme chrétien ; c’est aider à le bien juger ; et à lui faire rendre l’estime à laquelle il a droit.

Les objections s’attaquent ou bien à la raison d’être de l’ascétisme : la doctrine du péché originel, ou bien à ses manifestations : lutte contre les obstacles extérieurs, lutte contre le corps, lutte contre l’àme.

i) Ni l’état physiqvie de l’univers, ni celui de la terre, ni la constitution physiologique de l’homme, dit-on, n’ont été atteintes par le péché originel, d’où il suit que, avant comme après la chute, l’état de l’homme est en harmonie avec les lois générales de la nature. Puisque la nature de l’homme et la nature du monde n’ont pas changé, leur état actuel est donc l’état idéal, et il est inutile de chercher à établir en nous un autre équilibre, par la mortification et les austérités.

Il est vrai que la mort et la concupiscence, nos souffrances et nos combats sont les conséquences naturelles de notre constitution pliysique, mais il est vrai aussi que l’homme, créé par Dieu dans l’état de grâce, jouissait, du fait de cet état de justice originelle, d’une maîtrise absolue de la raison sur les sens et les facultés sensibles : sa raison était soumise à Dieu, et tout en lui était soumis à la raison. Adam désobéit ; par sa désobéissance il perd la grâce, et aA-ec la grâce l’empire qu’il avait sur lui-même : révolté contre Dieu, il sent la chair se révolter contre lui. Le repentir lui rendit la grâce perdue, le baptême ne rend pas à ses descendants l’harmonie originelle des facultés : le péché disparait, la concupiscence reste. C’est donc bien par une conséquence du péché originel que la chair se révolte maintenant contre l’esprit, et que la nature lutte contre l’homme ; c’est donc le péché originel qui rend nécessaire l’ascétisme chrétien. Sans doute, encore une fois, cet ascétisme est la suite naturelle de notre état physique considéré en lui-même sans les privilèges de l’état d’innocence, mais il est aussi, et, dans l’ordre de Providence actuel, il est surtout la conséquence de la faute originelle qui nous a dépouillés de ces privilèges.

{Sum. theoL, i^ 2", q. 85 ; Contra Gentes, 4, 52 ; De malo, q. 5, a. 5. Cf. J. Y. Bainvel, Xature et surnaturel, surtout p. i-v, ^8-111 ; J. Lebreton, i ?et’ « ( ? pratique d’Apologétique, i""" février 1906, p. 406.) 2) L’ascète veut s’unir à Dieu ; pour y parvenir, il doit se séparer de tout ce qui pourrait être un obstacle ; aussi le voit-on renoncer au monde, et à tous ses devoirs sociaux : il devient indifférent aux souffrances et aux misères des autres, des siens même quelque fois — sainte Chantai foule aux pieds, pour se faire religieuse, son lîls étendu devant elle et qui veut l’eiU’pêcher de partir — l’ascète, retiré du nionde, vit en égoïste comme le rat dans son fromage de Hollande, en pharisien orgueilleux qui méprise le reste des hommes.

L’objection, on le voit, n’atteint pas tous les ascètes, ou du moins elle ne les atteint pas tous également, elle vise surtout les religieux séparés du monde liar leurs trois vœux, et parmi les religieux, les contemplatifs. Renoncer à ses devoirs sociaux par égoïsme ou les mépriser par orgueil, n’est pas un signe de vertu ni un motif avouable d’ascétisme, bien au contraire ; et le christianisme ne l’approuvera jamais : aucun ascète chrétien ne s’en est prévalu. Mais c’est une règle de bon sens qu’on peut négliger, pour un temps ou pour toujours, en partie ou entièrement, les avantages ou les devoirs de la vie sociale pour s’appliquer à d autres devoirs qu on estime plus importants. Il est bon de servir les hommes, il est meilleur de servir Dieu. — Mais en servant les hommes on peut servir Dieu 1 Sans dovite, toutefois on peut choisir de servir Dieu préférablement aux honnnes. Siyis perfectus esse, ^-ade, vende quae habes, et du pauperibus. et hahebis tliesaurum in caelo et veni, sequere me (Matt.. xix, 21). La vie religieuse, la Aie contemplative est née de ce renoncement éAangélique, nécessaire à la perfection, et 1 Eglise la toujours approuvée. D ailleurs, la critique ne semble pas entièrement désintéressée, et quand on Aeut perdre les moines contemplatifs, on a bientôt découvert qu’ils sont des « moines d’affaires » ; on les condamne parce qu’ils ne font que prier, mais on les condamne ; aussi parce qu’ils cultivent leurs champs ou même leur esprit.

Est-ce donc vrai, en outre, que les ascètes, même s’ils ne font que prier et se mortifier, soient inutiles à la société ? Ozanam écrivait en 1835 : « Religieux contemplatifs, on les a accusés d’égoïsme et d’oisiveté ; mais s’ils ne contribuent pas au bien social par une action directe et immédiate, ils y contribuent par leurs vœux, leurs supplications, leurs sacrifices » ; il ajoutait, après avoir assisté à l’office de nuit à la Grande-Chartreuse : ( J’ai songé à tous les crimes qui se commettent à cette heure-là dans nos grandes villes : je me suis demandé si A’éritablement, il y avait là assez d’expiation pour effacer tant de souillures. » (Cf. sainte Térése, Le chemin de la perfection, c. 3.) Ozanam avait parfaitement raison : les ascètes de la vie contemplative servent la société par leurs prières, par les mortifications qu’ils s’infligent ou souffrent pour elle. Nous touchons là une des formes de cet admirable dogme de la Communion des saints, l’un des attraits comme l’une des gloires du Christianisme. Les incrédules ne le comprennent guère, et mis en face d’une âme innocente avide d’expiations et de sacrifices, ils s’étonnent et n’entendent pas l’austère beauté de son déAOuement. Ils ne savent pas que les bienheureux du Ciel, les âmes souffrantes du Purgatoire, et nous qui sommes encore voj’ageurs sur la terre, nous ne formons qu’un seul corps mj’Stique dont Jésus-Christ est la tête toujours agissante, toujours dirigeante ; ils ne savent pas qu’unis ainsi, nous jouissons d’un trésor commun, les mérites de Notre-Seigneur, les méxùtes de tous les chrétiens décédés ou vivants ; que ce trésor commun, nous pouvons raugmentcr par nos propres mérites ; qu’il y a entre nous une solidarité mystérieuse mais réelle, dont nous ne comprendrons bien qu’après notre mort l’ineffable et consolant secret. Mais, qu’ils l’ignorent ou non, cette solidarité existe, et l’Eglise a toujours cru que Dieu consent à accepter la satisfaction offerte par un tiers, sans cela elle n’enseignerait