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ASCETISME

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les hommes qui vivent sur la terre, participent d’une certaine manière aux perfections et aux dons divins ; il s’ensuit donc que nous pouvons les aimer d’un amour de cliarité, comme nous devons nous aimer nous-mêmes de cet amour. Il n’est pas jusqu’à notre corps, instrument qui sert à notre àme pour la pratique de la vertu, qui ne puisse être aimé, dans une juste mesure, d’une vraie cliarité. Saint Augustin énunière les quatre objets de notre charité : Dieu qui est au-dessus de nous, nous-mêmes, les hommes qui sont près de nous, notre corps quiest au-dessous de nous (A. Le Gaudier, De perfectione vitae spiiitualis, p. I, c. 13).

Il y a plus. L’acte de charité, considéré, non plus dans son objet, mais en nous-mêmes, lie notre Aolonté comme d’un double lien. La charité suppose en effet l’union, dans l’amour, de celui qui aime à celui qu’il aime ; à ce premier sentiment tout affectueux s’ajoute la bienveillance : celui qui aime désire du bien à celui qu’il aime. La charité suppose la bienveillance ; la bienveillance n’exige pas l’affection, et je puis désirer du bien à une personne que je n’aime pas. Il peut arriver dès lors que dans la pratique de la divine charité, l’affection tienne une si grande place qu’elle n’en laisse presque plus à la bienveillance ; comme aussi il peut se faire que la bienveillance soit prédominante, et que la volonté tout active soit surtout occupée à procurer le bien de Dieu {Sitin. theoL, i a", q. 27, a. 2). Les théologiens, après Cajétan (in 2 2^^, q. 28, a. i), énumèrent tous ces l)iens que nous pouvons vouloir à Dieu ou lui donner ellectivement : d’un mot, cette charité de bienveillance saisit non seulement toute la création qu’elle offre et consacre et dévoue toute au Créateur, mais elle atteint Dieu lui-même, elle se réjouit de sa gloire extérieure, elle se réjouit de sa gloire intime, elle voudrait lui donner toutes ses diA’^ines perfections si déjà il ne les possédait.

La charité divine exige l’amour qui unit, et la bienveillance qui veut du bien : Si l’amour prédomine on l’appelle charité affecti’e, si c’est la ])ienveillance, charité effecti^-e, et l’on comprend que les pratiques de l’ascétisme chrétien varieront suivant les degrés de l’une et de l’autre charité, comme on comprend qu’elles varieront encore suivant les divers biens que l’ascète se proposera de procurer à Dieu par sa charité effective.

Et l’on arriverait encore à la même conclusion si. au lieu d’examiner l’objet de la charité, on étudiait les tempéraments divers et les divers besoins des ascètes, mais peut-être vaut-il mieux sinqjlementvoir ce <iu’a été historiquement dans l’Eglise la pratique de l’ascétisme.

On peut écrire, je crois, que la pratique constante des ascètes a oscillé entre la charité affective et la charité (îffective : les uns ont été surtout des contemplatifs et des passifs, les autres des apôtres et des actifs. Je dis surtout ; car au véritable ascétisme chrétien les deux (éléments sont nécessaires ; ils peuvent se dominer l’un l’autre, ils ne peuvent s’exclure sous peine d’erreur. La charité purement affective n’est pas de cette terre, et dans un sens véritable elle n’est pas même du ciel ; c’est une erreur d’y prétendre, et le Qui<tisino( : ">t l’une des formes de cette erreur. D’un autre côté, il est tout aussi vrai de dire que la charité elfective qui ne garderait rien ou presque rien de la charité affective, qui serait tout extérieure, tout active, ne serait i)oint non plus la véritable charité, et il n’y a pas bien longtemps que nous avons entendu leSouverain Pontife Léon XIII condamner VJmi’-iiranisine. La vérité, ici comme partout, est entre deux extrêmes : son champ s’étend d’ailleurs assez vaste pour les divers génies, et assez de manifestations de

l’ascétisme chrétien restent orthodoxes, pour nous laisser toute liberté de choisir.

Je ne puis m’occuper des ouvrages ascétiques dont le but plus restreint est de donner une direction à un groupement assez peu étendu (comme un ordre religieux). Prenons ceux qui semblent avoir eu le plus d’influence sur la Aie univcrselle de l’Eglise, et brièvement étudions leurs principaux caractères.

L’Imitation de Jésus- Christ- — A^ant ce chefd’œuvre, bien des ouvrages avaient paru, en Orient et en Occident, pendant les premiers siècles du christianisme comme au moyen âge, qui eurent une Aéritable influence sur le dcveloppement de l’ascétisme dans l’Eglise ; il faut au moins citer les noms de saint Basile, saint Ephrem, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Chrjsostome, saint Nil, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, saint Benoit, Cassien et Cassiodore, comme aussi ceux de Rupert, saint Bernard, Hugues de Saint- Victor, saint Thomas et saint Bonaventure. Mais ces grands hommes ne remuèrent pas le peuple chrétien comme l’a remué et le remue encore l’auteur inconnu de Vlniitation de Jésus-Christ.

C’est que nous sommes là en présence d’un Uatc pratique avant tout et qui convient à toutes les âmes. Ecrit plus particulièrement pour des moines, l’expérience prouvc qu’il peut être utile à tous les chrétiens et s’adapter à toutes les situations. Vanitas vanitatum et omnia’anitas praeter amare Deum et illisoli servire (I, i, 4), Aoilà en trois mots le résumé de sa doctrine, connue aussi de tout l’ascétisme chrétien : la science, les honneurs, les plaisirs, la gloire, la Aie présente : tout n’est que Aanité. Qu’avons-nous à faire des disputes de l’école sur le genre et l’espèce ? O A’érité qui êtes Dieu même, faites que je m’identilie aACC Aous dans une éternelle charité (I, 3, 2). Charité effective d’abord ; il faut lutter contre nous-mêmes, combattre la Aanité, l’orgueil, l’impatience, l’apathie, la dissipation, la sensualité, la pusillanimité, l’irrésolution, toutes les maladies morales, il faut aimer la solitude et le silence. Claude super te ostium tuum, et s’oca ad te Jesum dilectum (I, 20, 8). Deux choses surtout aident à la réforme de la Aie : s’arracher Aiolemment au défaut Aers lequel entraîne la nature, et travailler pour acquérir la Aertu qui nous manque le plus (I, 25, 4). Veillons bien sur nous-mêmes, sachons nous exciter, nous morigéner ; les autres agiront comme ils l’entendront, à nous de nous occuper de nos affaires. La mesure de notre progrès spirituel sera précisément la mesure de la Aiolence que nous nous ferons (I, 26, 11).

Les inclinations mauvaises domptées, l’àme se tourne Aers Dieu, et, par la solitiule intérieure, par la méditation, peu à peu elle devient digne de convcrser plus intimement aA’ec son divin Maître. Dans ce ser-Aice de Dieu, dans ces colloques, dans cette vie commune de chaque jour, dans cette présence continuelle la connaissance et l’amour s’épurent et grandissent ; le Créateur descend juscju’à l’àme et en même temps l’élève jusqu’à lui dans et par la charité. L’union devient plus intime, et l’àme s’y transligure. « C’est une grande chose que l’amour, c’est un bien tout à fait grand… Au ciel et sur la terre, il n’y a rien de l)lus doux que l’amour, rien de plus fort, rien déplus élcAé, rien de plus large, rien de plus agréable, rien de plus plein, rien de meilleur, parce » pu" l’amour est né de Dieu, et il ne peut se reposer qu’en Dieu, au-dessus de toutes les créatures… L’anunir souvent ne connaît pas de mesure, mais il déboiile au delà de toute mesure… Celui qui aime connaît toute la force du mot d’amour… C’est un grand cri aux oreilles de Dieu que l’ardente affection de l’àme qui dit : Mon Dieu, mon Dieu vous êtes tout mien, et moi tout vôtre.