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AGNOSTICISME

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négatifs et les attributs relatifs de Dieu (I. dist. 22, q. I, art. 3 et 4 ; Cont, getit. I, 30). Or il est manifeste, dit S. Thomas, d’accord sur ce point avec son adversaire Maïmonide (Suninia, I, quaest. 13, art. 2, cf. art. 7, ad. i). que directement a ces noms négatifs et relatifs ne signifient nullement la siihstance de Dieu, mais simplement une négation ou une relation de la créature à Dieu). Une négation : l'éternité, par exemple, nie que la durée, telle que nous l’observons dans les créatures, et telle que nous la concevons, convienne à Dieu. Les attributs négatifs, dit Vale.ntia, signilient seulement, au sens fornu’l, Vètrederaison que nous formons subjectivement, pour écarter de Dieu la durée, la localisation etc. (iii ï, (juaest. 13, art. 2). Et on sait que SuaREz ramène à une négation ^e ce genre l’infinité (négative) exprimée par la formule célèl)re : eus qiio ma jus cogita ri non poicst, entendue au sens relatif (de Deo, lib. 2, cap. i, n. 5). L’accord est de même unanime pour les attributs relatifs. Bien plus, tous les théologiens de l’Ecole enseignent avec S. Augustin, que c’est sous l’espèce d’un changement dans le fini que, pauvres mortels, nous nous représentons l’acte créateiu-. Cf. Sylaius, in i, quaest. l’d, art. y, concl. 3. Dieu est éternel et il crée dans le temps : Aon ipsi substantiae Dei aliquid accidisse intelligitur, sed illi crealurae ad quam dicitur. Nos états subjectifs, y compris nos diverses altitudes religieuses, sont de la catégorie des changements dans le fini : nous pouvons donc nous en servir pour désigner les actes de Dieu dans le temps à notre égard, ou, comme parle M. Le Roy. « la paternité divine à notre égard ». D’après S. Augustin, lorsque le Psalmiste s'écrie que « Dieu est devenu son refuge « , comme la substance divine est immuable, c’est sous le symbole de sa propre action que l’auteur inspiré conçoit et désigne la bienveillance active de la Providence : Réfugiant ergo nostruni Deus relative dicitur ; et tune nosirum refugium fit cum ad eum confugimus. Cf. S. Tuomas, de pot., q. '-. art. 8, ad 5, cl art. 1 1. Voici d’ailleurs la thèse classique sur ces attributs : Attributa negativa et contingenter relativa ad creaturas. formaliter considéra ta, nihil reale in Deo exprimant : quanquam, materialiter et fandamentaliter considerata, divinam ipsani substantiam désignant. Cf. Urraburu, Inst. ^/<170s., ValIisoleti, 1899, t. VII. p. 296. Voir Vasquez, in I, disp. 57, n. 29 scjq. ; Heixricu, Dogmatische Théologie. Mainz, 1883, l. 111, § 167.

Au contraire, au sens absolu, de droit et objectif, ces formules et leurs équivalents, bien qu'à divers degrés et avec plus ou moins d’ampleur et de netteté, signifient une détermination intrinsèc|ue à Dieu hn-mcme : qui ppiam eorum quae naturam affectant, dit S. Jean Damascène ; « des perfections, sans lesquelles Dieu n’est plus Dieu, et son culte anéanti », disait plus haut Hossuet. Par exemple, si l’on conçoit Dieu, non plus seulement comme la cause de fait de cet univers, mais comme la cause de droit de tout ce qui n’est pas lui, comme l’objet de droit du cTilte universel, etc., on ne le désigne plus par une périphrase ah effectu, mais par une propriété qui lui est essentielle, qui est en elle-même indépendante de notre existence et de notre mode de concevoir, qui est en lui ah aeterno. Sylvius donne la fornnde classique : Quae existentiani reicreatae non pracsupponunt. dicuntur ai aeterno, velutqaae nonactiones, sed agendi potentiam significant, ut Omnipotens. Tertilliex faisait la même remarque à Hermogènc. Ce gnostique — qui était un agnostique (Adv. Ilermog.. cap. 44> sq.) — pour prouver l'éternité de la matière, raisonnait ainsi. De même que Dieu est toujoiu-s Dieu, il est toujours Seigneur : donc la matière lui a été éternellement sujette. Deus substantiae ipsius

nonien. répond Tertullien ; Dominas, non substantiae ; sed potestatis. Substantiam semper fuisse cum suo noniine quud est Deus, postea Dominas, accedentis scilicet rei mentione… iXant Deus sibi erat, rébus autem tune Deus, cum et Dominus (ibid., cap. 3). — Ce cjui est vrai des attributs relatifs, l’est aussi des attributs négatifs {De pot., q. 9, art. 7. ad 2). Quand nous disons au sens absolu que Dieu est éternel, infini, nous ne voulons pas seulement dire que notre concept de durée ne s’applique pas à lui, ni « cjue nous n’avons aucune autre idée de cette infinité, que celle qui porte l’esprit à faire quelque sorte de réflexion sur le nombre ou l'étendue des actes ou des objets de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu » (Locke, Entendement humain, lib. II, cap. 17, i) ; ni que le mot infini désigne seulement « ce double fait que, dans le progrès des représentations, on ne peut s’en tenir à aucun stade et que chaque stade, pleinement vécu, suscite aussitôt le suivant » (Le Roy, Dogme et critique, 2' éd., p. 280). Tout cela est acceptable dans un certain sens, et on retrouve la même idée dans un vieux cantique qui traduit naïvement le nec laudare saf/icis de S. Thomas, par ces mots : « On n’en saurait jamais trop faire, on n’en fera jamais assez. » Mais au sens aljsolu, l’infinité ([)Osilive), l'éternité, signilient en Dieu une raison positive, qui non seulement est la raison explicative des démarches multiples que notre esprit borné fait pour les conccvoir, mais qui encore et avant tout est la raison ontologicjue pour laquelle Dieu est ce cju’il est et non autre. La façon dont i^ous concevons les attributs incomnmnicables de Dieu, la causalité divine et les attril^uls dits communicables, est une chose. Que Dieu soit acte pur, simple, parfait, infini, éternel ; fju’il soit le premier principe et la dernière fin de tout ; qu’il soit personnel, c’en est une autre, dont ontologiquement la première dépend, et non vice versa.

3* Le lecteur devine notre conclusion. L’agnosticisme dogmatique n’est pas nécessairement athée, et voici pourquoi. Tout homme — les agnostiques comme les autres — parvient à la connaissance spontanée de Dieu ; la notion première {{u’il a de Dieu peut être très élémentaire, surtout si nous supposons, ce cpii n’est pas le cas ordinaire, qu’il ne la doit pas à l'éducation, ou que l'éducation ne Aient pas la perfectionner. Cette notion élémentaire, à son état le plus simple, s’exprime à l’aide de l’une des formules cpie nous avons rapportées ; on peut admettre — bien C£ue psychologiquement la chose soit peu vraisemblable — que celle formule soit entendue tout d’abord rigoureusement au sens que nous avons appelé relatif, de fait, symbolique, sans cjue l’individu passe aucunement au sens absolu. C’est là une connaissance de Dieu tout à fait rudimentaire ; on l’appelle dans l’Ecole connaître quia est et qaid non sit, au sens comparatif : non talis quol'.s. S. Thomas en montre ainsi la possibilité : Sicut per effectus déficientes devenimus m causas excellentes, ut cognoscamus de eis tantum quia sunt ; et dum cognoscimus quia sunt causae excellentes, scimus de eis, quia non sunt taies quales sunt earam effectus : et hoc est scire de eis magis qiiid non sunt. quam qaid sunt (de anima, q. 2, art. 16). Rien de plus simple à comprendre que la facilité avec la(iuclle l’erreur se glissera dans l’esprit de celui qui en est à ce stade inférieur de la connaissance religieuse, s’il reste totalement livré à lui-même et, plus encore, s’il vit dans une société polythéiste, panthéiste ou (jui admet la corporéité divine, les dieux anthropomorphes. Comme en effet il n’entend — c’est l’hypothèse — les formules par lesquelles il désigne le vrai Dieu que dans leur sens relatif, ce sens n’exclut pas par lui-même v. g. le culte des astres.