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les prescriptions de certains conciles des premiers siècles relatives aux représentations graphiques. On nous reproche l’attitude de quelques mystiques, tel S. Bernard, oùse reflète, dit-on, au maximum, l’esprit chrétien, et par qui l’art fut mis au rang des pompes séculières. Ou ajoute, en vue de faire face à de trop criantes évidences, que si nous avons une histoire artistique qu’on veut bien dire glorieuse, l’honneur en revient à l’esprit laïque, dont l’influence oblio’ea les chrétiens même fervents à briser le cadre étroit de leur doctrine. Le christianisme, en art, devrait à ses ennemis ce qu’il a de meilleur.

Pour répondre avec loyauté, il convient de faire la part du vrai dans les outrances cpi’on vient de lire. Nous n’en serons que mievix en état d’ajouter : Une chose où il y a du vrai est une chose fausse. D’ailleurs ici comme partout, un exposé lucide etcomplet serait la meilleure défense. On ferait voir d’abord que la religion chrétienne est intégriste dans le sens le plus complet et le plus élevé ; qu’elle ne méconnaît rien de ce qu’est l’homme ; qu’elle veut sauver en lui le corps et l’àme ; que si certains sacritîces lui semblent nécessaires, c’est à titre provisoire et en vue du meilleur bien de tout l’homme, puisque la vie éternelle de la chair, aussi bien que celle de l’esprit, est au nombre des dogmes fondamentaux du christialisiue. Contrairement au rationalisme matérialiste, [iii ne donne à la vie soi-disant intégrale que des imiées terrestres, c’est-à-dire le contraire d’une inté : i ilé sulfisante ; contrairement au spiritualisme excesif qui ne s’inquiète que de l’àme, se résignant à la /// de toute chair sans nulle reprise d’espérance, nous nitlons, nous, que l’homme ive à jamais, et que ce it tout l’homme. Si une doctrine est intégriste, c’est a nôtre. Aussi l’Eglise a-t-elle toujours combattu les iii-tendus spirituels : Manichéens, Albigeois ou Calieires, qui sous prétexte de puritication reniaient me moitié de l’œuvre divine.

Seulement, après avoir posé sa foi, d’où ressovtent

(S espérances, le christianisme se souvient qu’il est

me discipline pratique. Il se sent invité à tenir

oinpte des faits que le naturalisme oublie, et après

^ oir fixé la nature abstraite de l’homme, d’où il con lut sa destinée eu égard à la courbe totale de la

ic en y comprenant la survie, il en revient à l’im iicdiat qui est le réel d’aujourd’hui et qui inclut le

léché. Tel est le sens de la mortification en morale,

t. en art, de certaines prohibitions ou de certaines

l( liances. L’intégrisme immédiat ne nous est pas

lossible. Les Grecs qui s’y essayèrent ont roulé au

ice ; le socialisme qui tente de reprendre aujourd’hui

I xpérience ne sera pas plus heureux ; déjà les faits

1 pondent dans la mesure oùon les sollicite. Ne rien

irider en nous, c’est favoriser le pire, au lievi de

iionter vers l’harmonie.

A cause de cela, notre discipline chrétienne se

Kintre peu favorable à certaines branches de l’art

ni tendent à la glorification de la chair et en géné al à l’idolâtrie de la forme comme telle. Ses préoc Mjiations sont ailleurs, et il invite volontiers l’œu 1 ! d’art à glorifier, au lieu de la chair traîtresse et

ntatrice, des objets plus élevés, appartenant au

lan supérieur de la vie, là où notre pente natui-elle

< nous porte plus et où tous les secours humains,

ri compris, ont toute raison d’cssayei". de hausser

homme.

Ici se placerait la question du nu. Elle est com lixe et délicate. Qu’il suflise d’assurer que le chris aiiisme est très loin d’y être opposé en principe. Le

aluaire de l’Eden a autorisé suffisamment ceux qui

Midraient venir à sa suite. Mais le danger moral

ni se joint ici d’ordinaire au travail même le plus’vé fait que l’Eglise se défie et que seules des garan ties sérieuses ou des circonstances spéciales lui seml )lent devoir autoriser pour le chrétien ce genre de recherches. S’ensuit-il, pour l’artiste qui se soumet, une infériorité irrémédiable ? D’aucuns le prétendent d’autant mieux qu’ils trouvent là un facile grief à opposer aux morales religieuses. Mais la démonstration n’est pas faite. Le nu, techniquement difficile, supérieur au point de vue du morceau, n’est pas pour cela plus favorable qu’autre chose à l’inspiration, d’où procède le grand art. Qu’on regarde les œuvres des maîtres, aussi bien dans l’antiquité que dans les temps modernes, on se convaincra qu’à égalité de réussite et de génie, les figures drapées ne sont pas inférieures aux autres. La Victoire de Samothrace vaut la Vénus de Médicis, et les Sibylles ou les Prophètes de Michel-Ange valent les nus si nombreux de cet artiste. La draperie est d’ailleurs une ressoui’ce, en ce cjue cachant la forme en apparence — et réellement au point de vue de la pudeur — elle la révèle aussi et surtout, au point de vue de l’artiste. Elle enrichit les combinaisons de lignes, renforce l’expression, fait agir même la forme immobile. N’y a-t-il pas aussi une infériorité esthétique dans ce fait que le nu rompant — heureusement — a^ec nos habitudes sociales, tend à produire chez le spectateur une gène, quelque chose comme un remords inavoué, donc aussi un trouble certain de cette harmonie intérieure en laquelle l’admiration consiste.

Quoi qu’il en soit, si le dédain de la chair, et dans une mesure aussi de la forme comme telle, menace l’art chrétien d’une infériorité relative, absolument parlant nous savons que sa supériorité est immense. Ce n’est pas pour rien que les sacrifices partiels sont voulus. On n’en ouvre que plus grandes, au delà, les avenues de l’idéal. Qu’on prenne dans l’art païen ami du nu et idolâtre de la forme, puis dans l’art chrétien qu’on en dit ennemi — qu’on prenne, dis-je, des sujets parallèles, tels Apollon ou Eros et le Christ, la Vierge et Vénus, la Mère douloureuse du Stabat et Niobé, et qu’on dise où sont les plus hautes ressources esthétiques. On ne peut préférer les types antiques qu’après avoir méconnu les autres. En dépit de ce que les données païennes ont suscité de chefs-d’œuvre, un juge désintéressé reconnaîtra que, tout compte fait et les droits du génie mis à part, les profondeurs d’humanité y cèdent trop souvent à la forme pure, le sujet au prétexte et la richesse du sens à la calligraphie merveilleuse.

Démontrer par des faits la supériorité écrasante du christianisme serait la matière d’un grand ouvrage. Qu’on ijarcoure quelques-uns de ceux que nous citons à la fin de cet article, on aura de quoi se convaincre. Quant aux objections de détail, elles se résoh’ent en faisant la part : i" des temps, 2° des circonstances, 3° des hommes. Les débuts d’une institution ne peuvent suffire à la caractériser toute : cette seule remarque résout le cas des peintures souterraines, si l’on songe que les premiers chrétiens, absorbés par un effort de lutte morale gigantesque, avaient autre chose à faire que de peindre. La preuve que cette solution est exacte, c’est que l’Edit de Milan, qui donna la paix à l’Eglise, fut le signal d’une splendide éclosion de l’art.

La considération des circonstances résout le cas des prohibitions juives et de ce qui leur ressemble après le Christ. Un petit peuple entouré de puissantes civilisations idolâtres, adonnées au culte des statues animées et à la superstition du signe où la chose signifiée était censée résider mystérieusement, ne pouvait manquer d’être exposé à de graves abus religieux par le fait de représentations pouvant faire office d’idoles. Il en fut de même plus tard, toute proportion gardée. Il s’agissait de prudence, non de

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