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prophétique : « Vous enverrez votre esprit… et vous renouvellerez la face de la terre. »

Les faits religieux envisag^és donneraient une conclusion toute pareille. L’art trouve là un travail immense, donc aussi d’immenses ressources. Celles-ci d’ailleurs n’ont jamais été contestées. Le Christ en sa personne, sa Aie. son œuvre est bien sans exception la plus haute matière d’art qui se puisse rêver ou contempler dans le monde. Ses préparations dans le passé et ses suites éternelles, avec tout ce qui l’entoure, ou le révèle, ou en dépend, n’est-ce pas un thème inépuisable ?

Le double humain du Christ : la Vierge ; les saints, où sa divinité se reflète, fournissent un thème à développements psychologiques dont le cadre historique est immense. La vie de la Vierge et des saints a fourni aux arts plus que les arts n’ont fourni eux-mêmes à la glorification de ces héros du surnaturel. La réciprocité est certaine, mais inégale. Enfin la vie de l’Eglise, ce Christ social, donne aussi à l’art plus qu’elle n’en reçoit, dans l'échange de services où leurs natures respectives les engagent. Ce que Dante y a trouvé est sous la main de tous, enrichi encore de beaucoup, à enrichir toujours, tant que durera, en même temps que l’art, cette large coulée de divinité sur la terre.

A leur tour les dogmes, et plus que tous le « dogme générateur de la piété catholique y sont aussi des générateurs d’art. Le temple est destiné chez nous à abriter Dieu, en son humanité revêtue de mystère. L’abri que nous lui donnons, nous le voulons glorieux, afin que le toit révèle son hôte. La natiu’e donne ici l’exemple à l’homme. Or c’est l’art qui est chargé de réaliser cette création nouvelle. Cette nature de pierre et d’or, de bois et de marbre, de verre, de plomb, de fer, de céramique, c’est lui qui doit y infuser l'àme humaine, la faire vibrer aux grands souffles d’inspiration, la dresser haute et large, profonde de symbolisme, vivante de toute la vie du culte auquel l’art aussi présidera.

Le Temple en acte par le culte, le Temple dans l’intégrité de sa fonction autant que de sa constitution, c’est le résumé de l’art chrétien, c’est donc pour l’art tout court un domaine sans limite, une source d’inspiration que nulle ne peut prétendre égaler. Un comité d’artistes capable de construire un Temple chrétien, de l’orner, de le faire vivre, de lui faire remplir sa destination représenterait à lui seul l’art humain. S’il travaillait avec convenance à cette tâche, il se mettrait sur la route des œuvres souveraines. S’il pouvait réussir entièrement, il aurait réalisé le beau absolu et complet : absolu par la hauteur de l’idéal exprimé ; complet par l’immensité des ressources que le Temple chrétien dans sa totalité et son efflorescence suppose.

Il va de soi que toute diminution de la vérité religieuse impliquera pour l’art une diminution correspondante. D’une façon générale, on peut dire que les hérésies comme les schismes ont régulièrement appauvri les ressources d’art que le catholicisme conserve. Ici, moins de vie intérieure : d’où moins de poésie et de musique ; là moins dévie cultuelle : d’où moins d’architecture, de sculpture et en général d’art plastique. Ailleurs, moins de socialisation du sentiment religieux : donc moins de tout. C’est ainsi que l’art byzantin fléchit après la séparation par le fléchissement de la liturgie. Les hérétiques iconoclastes tuent la sculpture et la peinture. Les Slaves schismatiques héritent de l’art byzantin et ne le renouvellent pas. Il en est ainsi partout.

En ce qiii concerne le protestantisme, l’infériorité est trop manifeste. En vain cite-t-on Rembrandt, Milton et quelques autres. Il ne vient certes à l’esprit

de personne de rabaisser de tels génies ; ils appartiennent au genre humain. D’ailleiu-s la sève chrétienne n’est pas tarie chez ceux que nous appelons nos « frères séparés)> : la Bible et ses richesses leur demeurent ; les dogmes n’y ont pas tous péri ; la morale y est pour la plus grande part identique. Mais si, oiibliant les hommes, nous comparons les doctrines et les sources d’inspiration qu’elles fournissent, nous devrons reconnaître que la partie, entre elles, n’est pas égale. Tout ce que garde le protestantisme, le catholicisme l’exalte, et inversement, dans le premier, le christianisme se trouve diminué en deux choses. D’abord dans sa valeur sociale. « Les protestants, disait Comte, ne savent pas ce que c’est qu’une religion » ; ils ne relient pas les hommes ; ils les jettent, un à un, à l’Objet en face duquel précisément les différences individuelles s’effacent, qui devrait donc plus cjue tous nous unir, et qui invite par sa grandeur à l’emploi de toutes nos ressources, entre lesquelles les plus riches sont les ressources sociales. Or, cela porte esthétiquement de grandes conséquences. Toutes les pompes de l’art catholique s’y réduisent à un minimum. Plus de grande vie collective ; moins de sympathie visible ; moins d’extérieur religieux, et donc aussi moins d’art, celui-ci ayant les attaches que l’on sait avec la vie physique et la vie sociale.

En second lieu, le protestantisme en vidant le temple et le monde de tonle présence réelle, en proscrivant le culte des saints, en affaiblissant le lien visible établi par l’authentique religion entre le ciel et la terre, tarit d’autant les réserves où l’art puise. Ce qu’il en reste pourra soutenir l’effort du génie ; mais au cours du développement historique des Eglises, la différence se fera voir, et il n’est personne qui puisse nier, sur ce terrain, la transcendance du catholicisme.

A fortiori celle-ci éclate-t-elle à l'égard des religions non chrétiennes. L’islamisme et le bouddhisme, les plus élevées de beaucoup, rétrécissent l’art en diminuant la Aie religieuse. Le premier se renferme dans un individualisme rêAcur qiii limite l’impression esthétique ; son fatalisme réduit l’intensité de la Aie. L’effort d’une poésie charmante avec le charme exquis, mais court, de constructions décoratÎAes compliquées, ne peuvent Aaincre à eux seuls le poids nécessairement opprimant d’une pareille conception de l’existence. Quant à la religion du Bouddha, livrée au panthéisme, elle dévcloppe une poésie admirable, mais jette les arts plastiques à l’anéantissement de son nirvana. De ces états d'àme à celui du chrétien complet, on dcvra mesurer la distance. La Aie partielle des religions déviées ou tronquée-^ ne peut lutter, aux yeux de l’art, avec la Aie intégrale unie à Dieu.

III. — On a reproché au christianisme la sévérité de principes moraux qui, en restreignant le libre épanouissement de la Aie, en restreindraient d’autant les manifestations esthétiques. La loi de renoncement, la défiance delacliair, l’héroïque attitude qui consiste à reproduire en nous le Crucifié représentent sans nul doute, nous dit-on, une beauté. C’est là un de ces grands partis pris dont l’art est friand. Mais cette donnée est restreinte. Le vrai domaine de l’art, nous l’avons dit nous-mêmes, c’est la Aie intégrale. Retrancher à celle-ci par le renoncement, c’est mutiler aussi son miroir.

En fait, on nous oppose les prohibitions juiA’es ; la pauvreté de l’art chrétien à ses débuts ; la constatation peu flatteuse que, durant les premiers siècles, les plus fervents précisément, la Aaleur d’art de l’iconographie chrétienne ne fit que déchoir par rapport à ce que lui avait légué le paganisme. On nous rappelle