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AGNOSTICISME


classe pas les agnostiques de cette espèce avec les simples athées. Quand nous enseig-nons que tout homme acquiert spontanément, naturellement, soit par lui-même, soit — et c’est le cas le plus fréquent par l'éducation, l’idée du vrai Dieu, nous ne voulons pas dire que tout homme ait une connaissance de Dieu aussi explicite que la donnent nos catéchismes, v. g'. : « Dieu est un esprit souverainement parfait, infini, éternel, tout-puissant, créateur et maître de toutes choses. « Evidemment, tout homme venu en ce monde ne sait pas tout cela, puisque ni Platon, ni Aristote n’en ont connu autant. C’est à des préjugés intellectiuilistes cartésiens que l'école spirilualiste française a dû de s’obstiner longtemps à ne reconnaître comme réelle connaissance du vrai Dieu, que celle qui parvient à la hauteur et à l’ampleur de cette réponse de nos catéchismes. (Cf. JANKT, /'/j/ ; f/y ; e.s de métaphysique, Paris, 1897, t. II, ). 86.) Nous ne hlàmons pas cette école — dont les rêveries des modernistes font regretter la netteté et la vigueur d’esprit — d’avoir assez cru à la raison pour soutenir qu’elle peut démontrer, qu’elle démontre de fait, que telle est bien la nature ou la manière d'être intrinsèque de Dieu. Les théologiens lui reprochent seulement d’avoir péché par excès et par défaut : par excès, en prétendant pénétrer les mystères et se passer de la révélation (Denz., poS sq. (1550), 1808 et 1810 (1655)) ; par défaut, en méconnaissant, au-dessous de cette connaissance relativement parfaite dont nous venons de parler et que la masse des hommes doit, de fait, à la révélation (Denz., 1786 (1 635)), une connaissance confuse, initiale, de Dieu, svillisante pour que l’homme puisse commencer sa vie morale et religieuse, mais ne s'élevant pas jusqu'à la clarté de nos formules catéchétiques. C’est cette connaissance confuse de Dieu, de l’Etre suprême, que les Pères ont admise chez les païens. Tous, dit S. Augustin, quand ils entendent le nom de Dieu, comprennent qu’il est question d’une nature tout à fait supérieure : naliiram excellentissimum : et ailleurs : « 11 n’y a personne, même parmi les paient, , nui Jioc Dei(mcredat esse, qiio aliquid melius est » , De aoct. christ., 1, 7 ; cf. Lossada, Summulæ Barcinone, 1882, disp. 6, cap. 6, p. 182. Cette connaissance confuse ne se traduit pas en une formule iixe et nécessaire ; et la raison en est, que le vrai Dieu peut être confusément conçu et désigné de bien des façons. Voici quelques-unes des formules que donnent les manuels de théologie : eus realissiniurn, eus eniium, eus quo inajus cogitari uequit, eus necessarium : causa liujus mundi, snpreinus artifex, gubeniatur hujus mundi ; aucior et vindex legis moialis, eus impræferihile, summum bunum, eus ah omnibus colendum etc. Dès et tant qu’un homme désigne Dieu de la sorte, les théologiens disent avec les Pères que cet homme a l’idée du vrai Dieu, parce que toutes ces classes de fornuiles, qui sont loin d'être équivalentes, signifient le vrai Dieu, l’idée d'être s’y trouvant déterminée par un prédicat qui, de fait, convient à Dieu et ne convient qu'à lui : prædicatum convertibile cum Deo. (Cf. Fhanzklin, de Deo uno, th. 24.) Dès et aussi longtemps que le même homme admet l’existence réelle, indépendante de la représentation intellectuelle que nous pouvons en avoir, de l'être ainsi conçu et désigné par lui, on nie en théologie qu’il soit athée, jjarce quc. dit Cajelau, il tient ceci pour certain : prædicata qatiedam itn-eniri in reruni natiira, quae secundum i’eritatem sunt propria J)ei, in I, quæst. 3, art. d. IJien plus, s’il tombe dans le polytliéisme ou dans d’autres erreurs, <[ue cette connaissance confuse n’exclut pas explicitement et nécessairement, si même il en vient à nier l’existence de Dieu, l’idée du vrai Dieu ne fait pas nécessairement luiufrage avec la croyance.

Les formules citées, et autres semblables, peuvent être entendues par ceux qui les énoncent en des sens très différents. a) Sens absolu, sens relatif : Dieu, v. g. être suprême, peut être conçu ou bien comme une nature absolument supérieure, ou simplement comme le meilleur de tous les êtres existants, h) Sens de droit, sens de fait : Dieu peut être conçu comme la cause de droit de tout ce qui n’est pas lui, et cela entraîne son unité, ou comme la cause de fait de cet univcrs. c) Sens objectif et direct, sens symbolique et indirect. Prenons les formules ens impræferibile, summum bonum, ^ens ab omnibus colendum : pour parler a^ec M. Le Roy, elles désignent Dieu par « des symboles de Aie, sous les espèces de l’action « , comme ce mot du poète : « Celui dont le nom terrible et doux, Fait courber le front de ma mère. » Celui qui les entend au sens objectif et direct met l’accent sur la raison objective qui commande en fait, légitime en droit, l’attitude subjectivc, morale ou religieuse, que les termes énoncent. Au sens symbolique et indirect, elles ne désignent Dieu que « comme postulat de notre Aie morale et condition de notre bonheur » (Kaxt) ; ou bien seulement « en fonction du retentissement de la réalité divine dans l’homme » (Le Roy, Dogme, ». 134 ; Tyruell, Through Scylla and Charybdis, London, 1907, p. 289). Au sens absolu,

« Dieu est notre souvcrain bien) signifie, dit S. Thomas, qu’il est notre cause finale : ce qui exprime

explicitement toute une métaphysique (I, dist. 18, q. I, art. 5). Quand au contraire on dit que Dieu est « /<? s()U<, 'erain bien » , en ce sens qu’il est ce qui satisferait tout notre désir de bonheur, ou comme dit M. Tyrrell,

« nos besoins spirituels, moraux et mj’stiques » {ibid.,

p. 27^), on parle seulement au sens relatif. Sans doute on peut passer de l’idée du summum bonum relatif, à celle du sujnmum bonum absolu ; et S. Thomas ne le nie pas, bien qu’il n’admette pas que l’idée du summum bonum signifie déterminément Dieu, si l’on n’a pas déjà l’idée de Dieu par ailleurs (Summ^i, l, q. 2, art. i, ad. I ; coll. 1-2, q. i, art. 4 et q. 2, art. 8) ; mais on peut très bien penser le summum bonum relatif, sans penser l’absolu : et la réserve de S. Thomas prouve que psychologiquement cette précision est possible.

Si l’on se tient rigoureusement au sens relatif, de fait et symbolique de ces formules, elles ne signifient rien d’intrinsèque à Dieu, bien que de fait elles désignent le vrai Dieu. Elles désignent le vrai Dieu, conmie de pures périphrases désignent l’objet qu’a en Aue l’orateur ou le poète ; mais elles ne disent explicitenu’nt et directement rien de la nature intrinsèque de Dieu. Voici conuuent on le montre dans l’Ecole. Celui qui conçoit Dieu relativement comme le meilleur de tous les êtres, comme la cause de fait de cet univcrs, connue cet x dont la non-existence est pour nous inadmissible et dont l’idée excite en nous certains retentissements d’ordre moral et religieux que n'éA eille aucune autre idée ; celui qui conçoit Dieu ainsi, ne conçoit directement rien des constitutifs intrinsèques de la nature diA ine, puisqiR^ si Dieu n’avait rien créé, il serait en luimême exactement ce qu’il est, sans être relativement le meilleur des êtres existants, la cause de fait de cet uniA’ers, la fin à hujuelle nous tendons. El, c’est dans ce sens que Cajelau, glosant sur hi conclusion directe des cin([ argunuMits par h’Squels S. Thonuis prouve l’existence de Dieu, écrit que ces jireuves ne concluent pas à Dieu ut Deus est, mais seulement à l’existence d’un substratum à qui couviennent de fait les prédicats de premier nu>leur, de cause etc. et qui n’est autre que le vrai Dieu. Il ne s’agit d’ailleurs point là d’une opinion particulière à Cajelau. Prises au sens dont nous nous occupons, les formules précitées expriment ce qu’on appelle les attribuls